Photo : Habitant·es de Tulkarem expulsées de leur camp par l’armée israélienne le 10 février 2025. Crédit : Palestine Online - Wahaj Bani Moufleh
Maysa al-Natour n’avait jamais imaginé qu’elle passerait le mois de Ramadan loin de sa maison dans le camp de réfugiés de Jénine.
Mais depuis le début de l’invasion israélienne de cette ville de Cisjordanie occupée, en janvier, cette mère de famille palestinienne et sa famille ont été déplacées à l’intérieur du pays, dans un quartier des environs.
Comme des dizaines de milliers de personnes comme elle, les personnes déplacées du camp de réfugiés du nord de la Cisjordanie ont été confrontées à des conditions désastreuses pendant ce Ramadan.
Leurs besoins ne sont pas satisfaits et beaucoup vivent encore dans des centres d’hébergement.
"J’ai passé plus de 40 jours sans gaz pour cuisiner, et jusqu’à présent je n’ai pas de machine à laver et je dois faire ma lessive chez un voisin" a déclaré Al-Natour à Middle East Eye.
"Il n’y a pas d’ingrédients simples, pas même de nourriture convenable pour mes enfants, et l’iftar et le suhoor quotidiens représentent un grand défi" a-t-elle ajouté.
L’incertitude quant à l’avenir est une autre source de souffrance pour les personnes déplacées, qui entendent constamment le bruit des bombardements, des démolitions et des incendies de maisons dans les camps.
Ils ne savent pas s’ils retourneront un jour chez eux ou si leur vie se poursuivra dans cet état d’agitation à l’avenir.
L’armée israélienne a lancé une attaque de grande envergure sur les villes de Jénine et de Tulkarem, dans le nord de la Cisjordanie, en janvier.
Selon l’ONU, cette opération a entraîné le déplacement de plus de 40 000 Palestiniens.
Le mois dernier, le ministre israélien de la défense, Israël Katz, a déclaré que 40 000 Palestiniens déplacés de force par les troupes israéliennes des camps de réfugiés de Jénine, Tulkarem et Nur Shams ne seraient pas autorisés à y retourner.
Il a ordonné aux forces israéliennes de rester dans la région pendant au moins un an.
Depuis le 7 octobre 2023, l’armée israélienne et les colons ont intensifié leurs attaques en Cisjordanie, faisant environ 930 morts, 7 000 blessés et 14 500 arrestations parmi les Palestiniens.
Vivant un cauchemar
Dans un premier temps, Al-Natour et sa famille de sept personnes ont été déplacées à plusieurs reprises, endurant des conditions difficiles avant de se réfugier dans un immeuble résidentiel vide, où ils se trouvent toujours.
L’appartement dans lequel ils ont été relogés était complètement vide. Les premiers jours, elle et ses enfants ont dormi à même le sol, sans matelas ni couverture.
Al-Natour vivait dans le quartier al-Hawashin du camp de Jénine, et depuis le début de l’assaut israélien, elle n’avait pas pu savoir ce qu’il était advenu de sa maison. Lorsque nous lui avons parlé, elle revenait tout juste d’une tentative d’y accéder.
"J’ai insisté pour aller voir si ma maison avait été endommagée. Je l’ai trouvée à moitié démolie et inhabitable. Tous les meubles avaient été déchiquetés par les balles des soldats" a-t-elle expliqué.
Malgré les destructions, elle a emporté quelques ustensiles de cuisine, bien qu’endommagés. Dans sa maison, elle s’est souvenue quand l’armée israélienne est revenue dans la zone et les a piégé dans une maison voisine pendant une heure avant qu’ils ne parviennent à s’enfuir.
Même si elle est déplacée, l’armée israélienne est souvent stationnée devant l’immeuble où al-Natour et sa famille ont trouvé refuge. Elle ressent également une profonde tristesse lorsqu’elle voit de la fumée s’élever des maisons du camp.
"Il n’y a pas d’avenir. J’ai vendu un morceau de terre pour acheter une maison pour mon fils au-dessus de la mienne, et maintenant toutes nos maisons ont été démolies et sont inhabitables" a-t-elle déclaré.
"J’ai l’impression de vivre un cauchemar et je veux me réveiller."
Humiliation pendant le Ramadan
Bayan al-Qaraawi vit dans le camp de Nour Shams, près de Tulkarm, qui subit l’agression israélienne depuis plus de 20 jours. Bien qu’elle réside à la périphérie, les soldats l’ont expulsée avec sa famille, ainsi que les 30 membres de la famille de son mari qui vivaient dans cinq appartements.
Le raid dans les maisons a été violent et brutal, selon al-Qaraawi. Les soldats ne leur ont pas laissé le temps de faire leurs bagages ou d’emporter quoi que ce soit, à l’exception des vêtements qu’ils portaient.
"Nous avons été forcés de sortir sous la menace d’une arme, les soldats criant et nous pressant de partir. Les rues ont été rasées au bulldozer et n’était plus utilisable pour les voitures. C’était une journée terrible" a-t-elle déclaré.
Après un trajet difficile dans les rues, qui s’étaient transformées en tas de terre, Bayan et sa famille ont réussi à quitter le camp.
Ils se sont dispersés dans différents endroits, Bayan al-Qaraawi, son mari et leurs quatre enfants se rendant dans la maison de sa mère à Naplouse.
La famille de son mari a été éparpillée, chacun d’entre eux vivant désormais dans des appartements exigus - dix personnes forcées de partager un petit espace. Certains ont cherché refuge dans des centres d’hébergement où les conditions sont difficiles.
"Nous avions l’habitude de vivre confortablement et je n’ai jamais vu un membre de ma famille demander de la nourriture. Mais aujourd’hui, pendant le ramadan, les personnes déplacées sont confrontées à une humiliation sans précédent, et notre avenir est incertain" a-t-elle déclaré à MEE.
"Nous craignons que nos maisons soient démolies ou brûlées, comme beaucoup d’autres. Nous suivons les nouvelles avec angoisse et crainte" a-t-elle ajouté.
Ses enfants ne vont plus à l’école depuis l’invasion du camp de Tulkarm, adjacent à Nour Shams, il y a plus de 40 jours. Aujourd’hui, ils ont l’air malheureux, sans endroit pour jouer, sans éducation et sans accès aux droits fondamentaux.
Piégés dans le camp
Contrairement à de nombreux habitants des villes attaquées de Cisjordanie, Thaer Daraghmeh et sa famille ont refusé de quitter leur maison dans le camp de Tulkarm, s’enfermant dans un cercle de danger permanent.
Il a déclaré à MEE que plus de 250 familles restaient dans le camp, vivant dans des quartiers qui ne subissent pas d’incursions constantes, mais qui sont toujours en proie à une peur sans précédent dur leur sort.
"Nous avons refusé de partir parce que nous savions que si nous le faisions, nous ne reviendrions jamais. Nous avons donc choisi de rester" explique Daraghmeh.
"À chaque instant, nous entendons des coups de feu, des explosions et la démolition de maisons. Nous voyons une épaisse fumée après que certaines ont été brûlées. Mais malgré tout cela, nous restons inébranlables."
Si l’aide apportée aux habitants du camp s’est améliorée pendant le Ramadan, elle reste insuffisante.
L’eau et l’électricité sont souvent coupées, et il n’y a pas de soutien officiel palestinien à leur persévérance, selon Daraghmeh.
Les incursions fréquentes de l’armée israélienne rendent la vie encore plus difficile. Daraghmeh n’a pas pu quitter sa maison depuis 37 jours, à l’exception d’une sortie de 30 minutes.
"J’ai cinq enfants qui ne peuvent plus vivre normalement. Ils ne peuvent pas s’approcher des fenêtres, ni jouer bruyamment, ni sortir de la maison. Leur état psychologique s’est gravement détérioré" explique-t-il.
Daraghmeh craint que l’armée israélienne ne les oblige à évacuer, comme elle l’a fait pour d’autres résidents du camp.
Pour lui, quitter leur maison signifierait la fin de leur vie dans le camp.
Traduction : AFPS