Photo : Les garçons qui ont été détenus par l’armée il y a deux jours. Crédit : Emil Salman
Tout d’abord, les journalistes ont entendu de sources militaires israéliennes, que, mercredi, des soldats avaient arrêté des enfants pour avoir soi-disant volé des perruches dans l’avant-poste colonial de Havat Ma’on en Cisjordanie. Par la suite, quand la vidéo de l’arrestation s’est répandue sur Internet, Maurice Hirsch, l’ancien chef de l’accusation militaire en Cisjordanie, qui habite dans la colonie de Efrat, a émis des hypothèses sur Twitter : « La honte ici, c’est que quelqu’un - peut-être Btselem ? - a en fait envoyé des enfants commettre un crime juste pour qu’ils puissent piéger des journalistes sans méfiance afin de répandre des mensonges sur Israël. »
Mais il n’y avait ni perruches, ni conspiration de la part de B’Tselem. Jaber, 13 ans, Zeid, 12 ans, Omar, 10 ans, Yassin et Saqr, tous les deux 8 ans, sont des cousins qui habitent dans le village palestinien de Umm Lasafa, à l’Est de Yatta, dans le Sud de la Cisjordanie. Mercredi matin les garçons ont pris des seaux, ont prévenu leurs parents de leurs projets et sont allés chercher de l’akkoub (Gundelia tourneforti, sorte de chardons), une herbe sauvage utilisée dans la cuisine palestinienne. Ils auraient dû être en classe par visioconférence, mais puisque la plupart des familles palestiniennes dans le secteur n’ont ni connexion Internet, ni ordinateur, les enfants ont séché l’école.
Le magasin de produits locaux paie les enfants 9 shekels (2,25 €) le kilogramme d’akkoub, qu’ils utilisent pour acheter des jouets ou des sucreries que leurs parents ne peuvent pas leur payer. Les pères des garçons, trois frères de la famille Abu Hmeid, ont travaillé en Israël jusqu’à il y a quelques mois et sont actuellement au chômage. Les garçons ramassaient de l’akkoub depuis déjà quelques jours. Cette fois, ont-ils dit, ils sont allés au Sud-Est vers le village de Al-Tuwani, dans l’espoir de prendre de l’avance sur la concurrence.
Peu de temps avant midi jeudi et moins de 24 heures après qu’ils aient été arrêtés, les garçons étaient assis dans la salle de réception de leur famille élargie. Les garçons les plus âgés, Zeid et Jaber, ont décrit aux journalistes et aux chercheurs de terrain des associations des droits de l’Homme comment la recherche d’Akkoub a mal tourné. Les plus jeunes sont restés silencieux. « Quand il est revenu à la maison après l’arrestation, il était trop effrayé pour parler » a expliqué le père de Omar.
Dans leur quête de l’herbe sauvage, les garçons sont descendus dans des vallées et ont escaladé des collines. Ils ont ramassé un peu d’Akkoub, mais n’en ont pas trouvé beaucoup. Après avoir rendu visite à des parents dans le village de Umm Faqara, au Sud de Al-Tuwani, ils ont pris la direction du Nord, vers la colline qui fait face à Al-Tuwani. Havat Ma’on a été fondée sur cette colline il y a plus de 20 ans. Jaber a déclaré que lui et ses cousins ne savaient pas qu’il y avait là une colonie, et ne connaissaient pas son nom. Ils ne savaient pas non plus que depuis 16 ans (jusqu’à ce que la pandémie de coronavirus ait commencé), des soldats israéliens escortaient chaque jour les enfants d’un village voisin à l’école et sur le chemin du retour, parce que la route passait directement en dessous de l’avant-poste. Il est plus facile pour l’armée d’affecter des soldats pour escorter les enfants à l’école qu’il ne l’est pour elle d’empêcher les Israéliens de quitter l’avant-poste pour attaquer les enfants. En raison de cette menace permanente, les Forces de défense israéliennes interdisent aussi la circulation des Palestiniens sur cette route. Si les garçons avaient été au courant de la violence liée à l’avant-poste, ils n’auraient probablement pas osé s’en approcher.
Video footage of the moments preceding the arrest of the 5 children yesterday : The children gathered Akkoub (a type of wild Artichoke) near the settlement Havat Maon, 2 masked settlers approached them, scared them away and took the buckets and plants they left behind. pic.twitter.com/y0zvtt7AFk
— B'Tselem בצלם بتسيلم (@btselem) March 11, 2021
Mais ils l’ont fait. Roy Sharon, le correspondant militaire de la chaîne publique de télévision israélienne Kan, a publié sur Twitter quelques images prises par une caméra de sécurité qui montrent deux silhouettes floues s’approchant de ce qui semble être une bergerie. « C’est illégal d’arrêter des enfants âgés de 8 ans. Qui que ce soit qui ait pris la décision, il a fait une grosse erreur » a-t-il écrit, en ajoutant : « les garçons étaient dans la zone bâtie de Havat Ma’on. La déclaration de B’Tselem a précisé que [les enfants] "ramassaient de l’akkoub près de la colonie". Ce n’est pas ce qui est arrivé. »
Les garçons nient qu’ils aient été là. Mais même en supposant qu’ils étaient sur l’enregistrement de la caméra de sécurité que Sharon a publié, les deux choses ne pourraient-elles pas être vraies ? Ils ramassaient de l’akkoub et ils sont aussi entrés dans la zone des enclos pour le bétail de Havat Ma’on, peut-être par simple curiosité naturelle d’enfant ?
- Les garçons qui ont été détenus par l’armée pour avoir soi-disant volé des perruches d’une colonie en Cisjordanie, il y a deux jours. Crédit : Emil Salman
Dans tous les cas, une vidéo tournée par des militants israéliens montre les garçons et leurs seaux au Sud d’un bois, se baissant et ramassant des plantes, jusqu’à ce que deux adolescents israéliens, le visage couvert, sortent des bois. Jaber a déclaré que les adolescents ont dit quelque chose en hébreu. Deux hommes israéliens sont alors apparus, leur ont demandé quelque chose en arabe et, dit Jaber, les ont invités à entrer dans l’avant-poste. Les garçons ont refusé et ont vu une camionnette et un véhicule tout-terrain s’approcher, ont senti qu’ils étaient en danger, ont abandonné leurs seaux et sont partis. La vidéo montre trois Israéliens sortant d’une camionnette bleue. L’un sort du sentier, enlève les seaux du terrain pierreux et les met dans la camionnette. Quand les enfants sont revenus vers l’endroit, ils ont découvert que leurs seaux contenant l’Akkoub étaient partis. Ils ont vu des jeeps de l’armée, ont compris que les colons avaient appelés les soldats pour les appréhender et ils ont commencé à s’enfuir. Ils ont couru dans une vallée et ont gravi une colline. Effrayés et à bout de souffle, ils sont arrivés à une maison dans le village de al-Rakiz. Avant que le propriétaire n’ait réussi à les faire rentrer pour les calmer, les jeeps sont arrivées transportant au moins quinze militaires, parmi lesquels quelques officiers. Pour les garçons, il a semblé qu’ils étaient le double de ce nombre. Dans un des véhicules, ils ont vu les colons qu’ils avaient vus auparavant. Les soldats ont fait asseoir les garçons sur le sol, à l’extérieur de la maison, et ont appelé les deux plus vieux, Zeid et Jaber, pour les interroger. Les garçons disent qu’on ne leur a pas posé de questions sur des perruches.
Nasser Nawaj’ah, chercheur de terrain de B’Tselem qui habite dans le village voisin de Susya, a reçu un message sur WhatsApp à 14h41 disant qu’il y avait un problème, et il s’est précipité vers eux. Devant les protestations sur place de Nawaj’ah et d’autres personnes, les soldats ont traîné les enfants dans leurs jeeps, en commençant par les plus jeunes : Omar, 10 ans, et les deux enfant âgés de 8 ans Yassin et Saqr. Chaque soldat a attrapé un garçon, le tenant fermement par un bras ou doucement par une main.
Zeid a couru vers son frère Omar pour essayer de le libérer. Un autre soldat l’a attrapé et l’a balancé en l’air pour les séparer. Les soldats ont placé quatre des garçons dans une jeep, mais ont placé Zeid dans une autre. Les garçons n’étaient pas menottés et n’avaient pas les yeux bandés. Il était un peu plus de 15h, et pendant au moins deux heures de plus, leurs familles n’ont pas su où ils étaient. Les avocats Gaby Lasky et Reham Nasra sont entrés en scène et ont appelé la police et l’armée pour obtenir des informations. Pendant ce temps, les garçons ont été conduits à Havat Ma’on, où ils sont restés enfermés dans les jeeps pendant une heure environ. A partir de là ils ont été emmenés à un commissariat de police en face de Kiryat Arba, mais il sont restés dans les véhicules et n’ont pas été interrogés par la police. Leurs parents les attendaient à une autre entrée du commissariat de police, dans un quartier de Hébron. Les garçons sont rentrés à la maison vers 20h45. Sans Akkoub.
Traduction : Yves Jardin, membre du Groupe de Travail de l’AFPS sur les prisonnier politiques palestiniens