Le blocus de Gaza imposé par le gouvernement israélien et ses attaques contre les établissements de santé depuis le début des hostilités en octobre 2023 ont engendré des dangers graves et parfois mortels pour les femmes et les filles enceintes durant leur grossesse, lors de l’accouchement et par la suite, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport rendu public aujourd’hui.
Le rapport de 50 pages, intitulé « “Five Babies in One Incubator” : Violations of Pregnant Women’s Rights Amid Israel’s Assault on Gaza » (« “Cinq bébés dans une couveuse” : Violations des droits des femmes enceintes lors des attaques israéliennes contre Gaza »), établit que le blocus illégal de la bande de Gaza imposé par les forces israéliennes, auquel se sont ajoutées de sévères restrictions à l’acheminement d’aide humanitaire et des attaques contre des établissements médicaux et des personnels de santé, ont directement porté préjudice aux femmes et aux filles pendant leur grossesse, lors de l’accouchement et durant la période postpartum. Le gouvernement israélien, en tant que puissance occupante à Gaza, a violé le droit des femmes et filles enceintes aux meilleurs soins médicaux disponibles, d’autres droits comme celui de recevoir des soins médicaux dignes et respectueux pendant la grossesse, lors de l’accouchement et durant la période postpartum, ainsi que le droit aux soins des nouveau-nés.
« Depuis le début des hostilités à Gaza, les femmes et les filles vivent des grossesses en étant dépourvues de soins médicaux de base, d’installations sanitaires, d’eau et de nourriture », a déclaré Belkis Wille, directrice adjointe de la division Crises, conflits et armes à Human Rights Watch. « Elles et leurs bébés sont constamment exposés au risque d’une mort évitable. »
Le rapport est basé sur des entretiens menés avec 17 personnes entre juin et décembre 2024, dont huit femmes palestiniennes qui étaient enceintes et vivaient à Gaza lors des hostilités, des prestataires de santé de Gaza, ainsi que des membres du personnel médical international travaillant pour des organisations humanitaires et des agences internationales disposant d’équipes à Gaza.
Jusqu’à début janvier 2025, des soins d’urgence d’obstétrique et du nouveau-né n’étaient disponibles que dans 7 des 18 hôpitaux partiellement en état de fonctionner à travers Gaza, dans 4 des 11 hôpitaux de campagne et dans un centre de santé communautaire, alors que 20 hôpitaux et autres établissements de santé fonctionnaient avant le 7 octobre 2023.
À la mi-janvier, les autorités israéliennes et le Hamas ont conclu un accord de cessez-le-feu en plusieurs phases qui prévoit l’entrée à Gaza de l’aide humanitaire, le retour d’otages israéliens détenus à Gaza et la libération de prisonniers palestiniens.
La qualité des soins médicaux que sont capables d’offrir les quelques établissements médicaux et prestataires de services encore en activité à Gaza est très réduite. Des femmes enceintes ont été obligées de quitter d’urgence des hôpitaux souvent surchargés, à quelques heures seulement de leur accouchement, afin que des blessés de guerre et d’autres patients puissent y être accueillis. Tous les établissements médicaux de Gaza fonctionnent dans des conditions d’insalubrité et de surpeuplement et connaissent des pénuries d’équipements essentiels, notamment de médicaments et de vaccins.
Deux lois adoptées par la Knesset (parlement israélien) en octobre 2024, et qui prendront effet en janvier 2025, menacent d’exacerber encore les torts causés à la santé maternelle et des nouveau-nés. Ces nouvelles lois interdisent à l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East, UNRWA) d’opérer en Israël et dans Jérusalem-Est occupé ; elles interdisent aussi tout contact entre le gouvernement israélien et l’UNRWA, ce qui rendrait impossible la livraison d’aide humanitaire par l’UNRWA en Cisjordanie occupée ou à Gaza, ainsi que l’obtention de permis ou de visas pour son personnel. Israël a ordonné à l’UNRWA de quitter tous ses locaux à Jérusalem-Est occupée et d’y cesser ses opérations, d’ici le 30 janvier 2025. L’UNRWA fournit de l’eau, de la nourriture, des abris et d’autres services vitaux à des centaines de milliers de Palestiniens à Gaza, dont des femmes enceintes, des mères allaitantes et des nouveau-nés.
L’offensive militaire des forces israéliennes a conduit au déplacement forcé de plus de 90 % de la population de Gaza — 1,9 million de Palestiniens — souvent à de multiples reprises. Il a été dans une large mesure impossible d’informer les femmes sur les endroits où elles pouvaient accéder de manière sûre à des services médicaux et difficile pour les femmes de parvenir en temps voulu dans ces lieux. Les femmes, les filles et les nouveau-nés n’ont eu quasiment aucun accès à des soins médicaux spécialisés pour la période post-natale.
Peu d’informations sont disponibles au sujet du taux de survie des nouveau-nés ou sur le nombre de femmes qui ont failli mourir ou qui sont mortes durant leur grossesse, pendant leur accouchement ou lors de la période postpartum. Cependant, en juillet, des experts en matière de santé maternelle ont affirmé que le taux de fausses couches à Gaza avait augmenté de près de 300 % depuis le 7 octobre 2023. L’UNICEF a indiqué que depuis le 26 décembre 2024, huit nourrissons et nouveau-nés seraient morts d’hypothermie, en raison de « l’absence persistante d’abris de base, conjuguée aux températures hivernales ».
Un médecin travaillant dans une maternité à Rafah a souligné que cet hôpital avait si peu de couveuses et tellement de bébés nés avant terme que le personnel soignant « doit mettre quatre ou cinq bébés dans une seule couveuse. ... La plupart ne survivent pas. »
Le blocus illégal de Gaza par Israël et son recours à la famine comme arme de guerre ont causé une grave insécurité alimentaire pour la plupart des habitants de Gaza. Les femmes et les filles enceintes se heurtent à d’énormes obstacles pour conserver la bonne nutrition et le régime alimentaire sain qui sont essentiels à leur propre santé et au développement du fœtus.
Le gouvernement israélien a également privé délibérément les Palestiniens d’un accès à l’eau, ce qui constitue un crime contre l’humanité et un acte de génocide. De nombreuses femmes enceintes ont fait état de leur déshydratation ou de leur incapacité de se laver.
De nombreuses maladies ou complications peuvent être causées ou sérieusement aggravées par de telles privations, notamment l’anémie, l’éclampsie, les hémorragies et la septicémie, qui peuvent toutes être mortelles sans un traitement médical adéquat.
Les femmes enceintes à Gaza n’ont presque aucune possibilité d’être évacuées, bien que selon le droit international en matière de droits humains, tout civil a le droit de quitter son pays, y compris pour des raisons médicales, ainsi que le droit d’y retourner.
En tant que puissance occupante à Gaza, le gouvernement israélien est également tenu, en vertu du droit international humanitaire, de veiller à ce que la population civile reçoive de la nourriture, de l’eau et des fournitures médicales dans toute la mesure des moyens dont dispose le gouvernement occupant. Selon la Convention de Genève régissant ces pratiques, les autorités israéliennes sont obligées d’autoriser « le libre passage de tout envoi de vivres indispensables, de vêtements et de fortifiants réservés aux enfants de moins de quinze ans, aux femmes enceintes ou en couches ».
Les alliés du gouvernement israélien, y compris les États-Unis, devraient prendre toutes les mesures possibles pour que cessent ces violations et les autres abus commis par Israël. Les gouvernements devraient interrompre leur aide militaire ; réviser et si possible suspendre leurs accords bilatéraux, tels que l’Accord d’association UE-Israël, comme l’ont proposé les gouvernements de l’Espagne et de l’Irlande, et l’Accord de libre-échange entre les États-Unis et Israël ; et soutenir la Cour pénale internationale et les autres efforts visant à faire rendre des comptes aux responsables.
Ces pays devraient aussi continuer de soutenir les efforts de l’UNRWA à Gaza, y compris en fournissant toutes les ressources nécessaires au fonctionnement des services de santé sexuelle et reproductive. Ils devraient insister auprès d’Israël pour que ce pays permette à des spécialistes de santé sexuelle et reproductive, et de santé mentale, de pénétrer sans restrictions dans la bande de Gaza.
« Les violations flagrantes et répétées du droit international humanitaire et des droits humains commises à Gaza par les autorités israéliennes ont eu un impact particulièrement grave sur les femmes et les filles enceintes et sur les nouveau-nés », a conclu Belkis Wille. « Le cessez-le-feu à lui seul ne mettra pas fin à ces conditions abjectes. Les autres gouvernements devraient exhorter Israël à veiller d’urgence à ce que les besoins des femmes et des filles enceintes, des nouveau-nés et d’autres personnes nécessitant des soins médicaux puissent être satisfaits. »
Informations complémentaires
Expérience vécue par une femme enceinte à Gaza
R.M., 31 ans, était enceinte de deux mois lorsque le gouvernement israélien a commencé sa campagne militaire dans la bande de Gaza.
Sa famille avait du mal à trouver de la nourriture. « J’étais littéralement affamée », a-t-elle dit à Human Rights Watch. « Nous étions tous en situation de famine dans le nord de Gaza. Nous n’avions pas de gaz pour cuisiner. Nous faisions un seul repas par jour pour économiser le bois à brûler. … La farine était très, très chère. Pas de nourriture. Pas de poulet. Pas de viande. J’ai perdu beaucoup de poids. »
Elle avait également des problèmes de santé : « Ma tension artérielle était déjà faible et je m’évanouissais souvent. J’avais la tête qui tournait et j’étais prise de vertiges. Je n’avais aucune énergie, je ne pouvais même pas me tenir debout toute seule. » Sa famille l’a emmenée dans une clinique privée à Rafah, mais le médecin n’a pu effectuer aucun examen à l’exception d’une échographie, et n’a pas pu lui donner de vitamines ou de calcium. R.M. a également eu plusieurs infections des voies urinaires mais n’est pas allée dans une clinique car elle avait entendu dire qu’elles n’avaient pas de médicaments.
Les combats ont compliqué l’accouchement déjà difficile de R.M. le 5 mai. « Je suis entrée en phase de travail à 2h00 du matin », a-t-elle dit. « J’avais des douleurs très fortes, alors que nous essayions de trouver un moyen d’aller à l’hôpital. » Une fois arrivée à l’hôpital, a-t-elle affirmé, « pas un seul infirmier ou infirmière n’est venu s’occuper de moi, m’examiner ou demander comment j’allais. »
R.M. a quitté l’hôpital à 6h00, un peu plus de quatre heures après avoir donné naissance à une fille. « J’étais épuisée et je ne pouvais pas marcher », a-t-elle dit. « Je portais mon bébé et, avec mon mari et nos trois autres enfants, nous avons dû chercher quelqu’un qui accepte de nous conduire en voiture [chez mes parents]. Cela a pris des heures avant qu’une voiture s’arrête pour nous. Mon mari a dit au conducteur que nous lui donnerions ce qu’il voudrait [s’il nous emmenait]. »
Quelques jours plus tard, la famille de R.M. a été forcée d’évacuer Rafah pour aller à Khan Younis, où ils vivent maintenant sous une tente dans des conditions difficiles. Son bébé a rapidement souffert de gastroentérite, affection dangereuse qui peut s’avérer mortelle.
La grossesse et l’accouchement difficiles de R.M. illustrent les défis extraordinaires auxquels font face de nombreuses femmes et filles palestiniennes dans la bande de Gaza depuis le début des hostilités en 2023.