Certains réalisaient difficilement leur liberté - comme les milliers
qui se sont répandus à travers le bouclier maintenant vide de Neve
Dekalim, ont passé les huttes de Mawasi pour finalement arriver à la
mer : pour beaucoup d’entre eux, c’était la première fois qu’ils
accédaient au rivage depuis les 5 dernières années. Huit Palestiniens
se sont noyés, suite au manque de maîtres nageurs et de l’impossibilité
pour les ambulances de traverser la foule.
Certains ont eu envie de se
venger : brûlant des synagogues, écrasant des jouets sous leurs pieds
et plantant des drapeaux palestiniens sur les ruines des villas
carrelées de rouge.
Certains exprimaient leur sentiment de victoire,
comme ces camions remplis de combattants du Jihad, cagoule noire sur le
visage, grenades à propulsion attachées au bras et criant que « la
résistance va continuer ».
Des milliers sont venus pour un nettoyage, tamisant le sable à la
recherche des balles couvertes de cuivre - « 2$ le kilo » - prenant
tout ce qui pouvait l’être dans les serres, empilant des piliers en
béton, des câbles métalliques, des tuyaux en plastique et même des
palmiers sur des charrettes tirées par des ânes épuisés. Au milieu de
la journée, lundi, Neve Dekalim ressemblait à un véritable marché
égyptien.
Mais la plupart sont venus pour regarder - ayant eu peur tant que Gaza
n’était pas libérée des soldats, des colons et des colonies. « Je ne
peux pas encore tout à fait y croire », nous dit Abu Tukia, un garçon
de 16 ans, monté sur la tour de guet maintenant détruite de la colonie
de Netzarim. « Pendant des années cette chose était un fléau pour nous
et maintenant, maintenant c’est un château dans le sable ».
Mais ce qui dominait, c’était une profonde ambivalence dans les
émotions. « Je ressens de la joie car les colons sont partis, et parce
que les bulldozers qui ont détruit nos terres, nos champs, ont
maintenant détruit leurs terres et leurs champs », dit Moussa Al-Ghoul
du village de Sifiya au nord de Gaza.
Durant les cinq dernières années,
Al-Ghoul s’est vu divisé en deux par une barrière avec des chaînes. Il
a vu comment 90% (3500 dunums) de ses terres ont été confisquées pour
sécuriser les minuscules colonies d’Alei Sinai et Dugit. Trois membres
de sa famille ont été tués par l’armée israélienne, y compris, en
octobre 2004, Adnan, second-en-chef de l’aile militaire du Hamas, les
brigades Ezzedin Al-Qassam. « Et je ressens de la douleur en pensant au
sacrifice du grand nombre de personnes qui ont donné leur vie pour
arriver à ce moment. »
L’amivalence était aussi ce qui marquait la réponse de l’Autorité
Palestinienne. Deux cérémonies officielles avaient été organisées le 11
septembre pour marquer la fin de « la responsabilité israélienne » sur
Gaza. Les Palestiniens n’étaient pas présents. « La direction
palestinienne a bien compris que les Israéliens n’avaient pas
l’intention de procéder à un retrait complet », a dit le ministre des
Affaires Civiles de l’Autorité Palestinienne (AP), Mohamed Dahlan.
Une des raisons de la colère des Palestiniens a été la décision de
dernière minute du cabinet israélien de laisser en place 23 des 25
synagogues - une manoeuvre cynique que Dahlan décrit comme une « bombe à
retardement » pour laquelle l’AP sera condamnée au niveau international
si ces bâtiments sont détruits et maudits au niveau interne si ce n’est
pas le cas. Même les Américains ont été ennuyés par l’esprit pervers
des Israéliens qui faisaient en sorte que les Palestiniens seront
critiqués « quoiqu’ils fassent ».
Une autre raison était le lieu d’une
des cérémonies - la sortie nord de Gaza vers Israël. Les Palestiniens
estiment fermement que ce lieu se trouve en territoire occupé et
veulent que la frontière soit repoussée plus au nord sur la ligne
d’armistice convenue en 1949 entre l’Egypte et Israël. Israël ne refuse
pas seulement de restituer cette portion de terre, mais y construit au
contraire un poste frontière très équipé.
Mais la plus forte raison de l’absence des Palestiniens [aux cérémonies
organisées - N.d.T] était la question non résolue du
statut de Rafah, poste frontière sud de Gaza permettant l’accès à
l’Egypte, et seule et unique ouverture sur le monde pour les
Palestiniens de Gaza.
Le 7 septembre - le jour où 750 soldats égyptiens
devaient prendre leurs nouvelles positions sur la frontière de Rafah -
Israël a pris une décision unilatérale. Il a fermé le point de passage
pour 6 mois, disant qu’à partir du 25 septembre toutes les personnes et
toutes les marchandises devaient passer par Kerem Shalom, un coin de
terre où se rencontrent les frontières de Gaza, de l’Egypte et d’Israël.
Jusqu’à ce moment-là, tous les mouvements devront se faire dans le sens
entrant et sortant par Erez, ce qui implique un détour de 120 kms et
pour les Palestiniens l’obligation de traverser Israël.
Après 6 mois
d’essai, Israël pourrait permettre un troisième point de passage par
Rafah, qui dépendrait de la façon dont des accords pourraient être
négociés sur les questions douanières et sécuritaires. Mais le résultat
immédiat serait un fort ralentissement des échanges se transformant en
quasi glaciation.
L’AP a été furieuse, et Dahlan n’était pas le dernier, conscient que la
prétention au leadership dépend de l’amélioration des conditions de vie
des Palestiniens et non pas de leur détérioration. La question est de
savoir ce que peuvent faire les Palestiniens, à part boycotter les
cérémonies ?
Certains pensent que l’Egypte et l’AP devraient décider
unilatéralement d’ouvrir le point de Rafah, mais c’est une décision à
risque. Israël a prévenu qu’une ouverture « non autorisée » du point
frontière pourrait remettre en cause les accords douaniers entre Gaza
et Israël, une sanction économique qui pourraient coûter des millions à
l’AP en taxes non perçues.
Le dernier espoir des Palestiniens est que
Omar Suleiman, responsable des services d’information militaires
égyptiens, puisse négocier un accord qu’il a voulu jusque là éviter.
Mais les Israéliens ont rejeté toute autre solution que celle qu’ils
ont dictée.
Les conséquences sont déjà visibles. Le 12 septembre des milliers de
Palestiniens ont escaladé les murs à Rafah, creusé des tunnels ou
abattu des barrières pour rejoindre leurs proches du côté égyptien de
la frontière. Un Palestinien a été tué dans la mêlée, probablement par
un soldat égyptien. Un marché régulier de cigarettes, de fromages et de
médicaments s’est installé tout au long de la route depuis Arish
jusqu’à Gaza.
Israël s’est senti outragé. « Ceci un test pour eux [les Egyptiens] et
c’est sur cette base qu’ils seront jugés », a raillé le juge Ephraim
Sneh. « Nous ne les avons pas mis à cette place pour faire autre chose
». Tôt ou tard, la frontière sera fermée et Gaza sera réellement plus
isolée après « la libération » qu’avant.
Mais c’est aussi une mauvaise
nouvelle pour l’Egypte, qui sera accusée de renforcer sa présence à la
frontière au détriment du droit d’accès des Palestiniens et pour le
compte de la sécurité d’Israël. « Les Palestiniens vont se poser une
simple question », dit Mona Al-Fara, médecin à Khan Younis. « Après la
lutte, l’immobilisme puis le soulagement de voir les colons partir, ils
vont se demander : c’est cela que signifie le désengagement - le droit
d’aller librement de Gaza à Rafah ? ».