15 août 2020
Voici le Polaris, garé à côté des véhicules de la ferme. Omer Atidiah utilise-t-il son véhicule tout-terrain pour menacer les travailleurs palestiniens qui tentent de construire un nouveau village en face de lui, comme on nous l’a dit ? Est-ce ce qu’il utilise pour chasser les bergers et les militants de gauche qui osent s’approcher trop près de sa ferme ? Qui, en réalité, sont Omer Atidiah, le cauchemar de la région, et sa femme Naama, fondateurs d’Einot Kedem, alias la Ferme d’Omer ? Il s’agit d’un avant-poste de colons dans la vallée du Jourdain dont même le bureau du Coordonnateur des activités gouvernementales dans les territoires a admis qu’il avait été construit sans autorisation ni permis – en un mot, illégalement.
Le 17 juillet, nous avons raconté l’histoire du village palestinien qui est en cours de construction à proximité, avec le financement par une association de paysans de la région de Jéricho, et sur la terreur qu’Atidiah leur fait subir. La point de vue du côté palestinien montre l’apartheid israélien dans toute sa laideur : des communautés de bergers palestiniens s’accrochant aux collines environnantes, dans une misère indigente, et en face d’eux la vaste étendue de la ferme d’Omer, verdoyante, florissante, provocante.
Quelques jours plus tard, un e-mail : « Je suis Naama Atidiah, propriétaire de la ferme, épouse d’Omer Atidiah. Alors, c’est sympa de vous rencontrer. Nous ne nous connaîssons pas. Quand j’ai lu votre article, j’ai vu beaucoup d’informations incorrectes (par exemple, sur les vols et les menaces par nous contre eux, ce qui n’est absolument pas notre truc). J’ai senti l’énergie négative et j’ai pensé : Intéressant, qui est ce Gidéon ? Intéressant de savoir si la vérité est importante pour lui, et s’il serait prêt à me rencontrer et à me parler. Je suis une personne très gentille, sociable, même très agréable. Et j’ai pensé, comme ce serait sympathique si nous pouvions tous prendre un café et un morceau de gâteau, parler joyeusement de la vie, et réussir à mener un dialogue captivant et fructueux - au lieu de l’aliénation, de l’isolement et des pensées négatives ».
« J’étais très curieuse de savoir qui est cette personne qui cherche la vérité et la justice et se rend dans le sud de la vallée du Jourdain pour apporter la vérité au reste de l’humanité. J’imagine qu’un journaliste est une personne motivée par la vérité, la justice, la bienveillance et la curiosité. Parce que le sujet est vraiment chaud, fort et explosif, le mieux serait de se rencontrer et de se parler. Après tout, nous sommes frères. Il y a un café formidable à Mifgash Habika » – une aire de repos le long de l’autoroute 90 dans la vallée du Jourdain.
Nous nous sommes rencontrés quelques jours plus tard. La personne qui a servi le smoothie au café était armée d’un pistolet. Notre longue conversation est passée de la foi religieuse changeante de Naama à son droit à la terre sur laquelle elle vit. Je lui ai dit qu’elle vivait sur des terres volées, et elle a gloussé. Elle a dit qu’il ne fallait pas faire cuire un enfant dans le lait de sa mère, et j’ai demandé pourquoi on devrait même faire cuire une jeune chèvre. Elle m’a frappé comme une femme qui cherche ses réponses dans le domaine spirituel – faire l’amour, pas la guerre – et qui fuit la politique autant qu’elle peut, alors qu’elle est dans un endroit où l’on ne peut échappéer à la politique. Elle préférait parler d’amour, moi de guerre.
Nous avons pris rendez-vous pour visiter Einot Kedem deux semaines plus tard.
Des paons vagabondent librement dans la cour, un vase dans la maison de la famille expose leurs plumes. C’est une grande maison de campagne avec un salon spacieux et une véranda en bois donnant sur le paysage désertique. Les Atidiah ont sept enfants. Yardena Arazi chante sur la chaîne hifi, un arôme d’encens flotte dans le salon. Il y a quelques livres religieux sur l’étagère. Aussi une copie de « La sourcve vive » d’Ayn Rand et quelques autres volumes, mais pas beaucoup.
Naama, 36 ans, a grandi dans un foyer religieux-sioniste à Ramat Gan et a été serveuse à Tel Aviv ; son père est un médecin qui a immigré d’Afrique du Sud, sa mère est un coach personnel. Omer, 44 ans, a grandi au Moshav Ein Yahav dans le désert d’Arava [limite est du Néguev, le long du Jourdain, ndlt], dans le sud. Il a servi dans les forces ultra-élite d’opérations spéciales Sayeret Matkal des Forces de défense israéliennes et dans l’unité commando parachutistes et il est devenu un religieux observant. Maintenant, seuls des restes de la religion sont visibles chez tous les deux.
- Naama, fondatrice d’Einot Kedem, alias la Ferme d’Omer. Crédit : Alex Levac
Le premier-né du couple, Akiva, 15 ans, n’est plus un enfant. Il a quitté l’école en sixième année en faveur de l’enseignement à domicile et a travaillé à la ferme depuis, du matin au soir, portant des vêtements de fermier tachés de boue, au volant d’un véhicule tout-terrain, discutant avec son père sur la façon de réparer un tuyau percé. Six des sept enfants du couple sont nés à la maison.
La ferme est immense, couvrant plus de 2200 dunams (550 acres). On l’atteint par une nouvelle route d’asphalte qu’ils ont eux-mêmes pavée ; il n’y a pas de clôture ni de porte. Mangues, dattes et olives, un troupeau de 550 moutons et des agneaux bêlants. Ils ont acheté une moissonneuse d’occasion au Moshav Kfar Yehoshua dans le nord d’Israël. Agriculture moderne avec accès illimité à l’eau. Deux pataugeoires et un « Jardin d’Eden », où nous irons plus tard.
Il y a ici 17 jeunes qui n’ont pas réussi dans divers autres cadres, certains d’entre eux anciens ultra-orthodoxes ou “jeunes des colline“ de Cisjordanie, le reste de partout en Israel. Devora, de Betar Ilit, une ville haredi en Cisjordanie, est ici depuis deux ans. Et il y a aussi Nevo, qui a servi dans l’armée et vient de la colonie de Kfar Ha’oranim, qui est ici avec quelques amis pour apprendre à établir un avant-poste agricole. Leur but est d’en créer un sur les ruines d’une ancienne forteresse jordanienne abandonnée dans le village palestinien d’Al-Jiftlik dans la vallée du Jourdain.
Certains des jeunes ici font une année de bénévolat, avant d’entrer dans l’armée ; ils viennent, entre autres, du Moshav Nehusha, de Petah Tikva et de la colonie d’Alon Shvut. La ferme emploie également 10 personnes, toutes juives. La synagogue n’est pas utilisée régulierement, les terrains de la ferme sont bien entretenus et agréables ; le vert vif se détache sur le fond du désert jaune environnant. « Donner, c’est recevoir » est inscrit sur le mur de la salle à manger des jeunes – ils reviennent tout juste en tracteur du travail dans la palmeraie.
Les communautés de bergers bédouins de Rashidiya et Ras al-Auja se trouvent à l’ouest. À l’est se trouvent deux monuments militaires, aux victimes de l’accident d’hélicoptère de l’armée de l’air qui a tué 54 soldats en 1977, et aux hommes de l’unité commando Haruv morts au combat. Deux victimes du syndrome de stress post-traumatique de la guerre du Kippour de 1973, de Haruv, qui s’étaient entraînés ici avant la guerre, travaillent et vivent à la ferme.
Nous sommes allés au soi-disant Jardin d’Eden pour discuter. Derrière la maison familiale, le couple a installé cette « aire de recueillement », fusion design d’un village de vacances et d’un ashram. Cérémonies chamaniques de cacao et cercles de chansons ; espaces de prière et de solitude ; 12 pierres prélevées sur la terre des 12 tribus, disposées en forme de char ; une porte en bois peinte de deux chérubins et d’une épée enflammée - comme la porte du Paradis - et une cabane de pisé qui est appelée la « tente rouge ». C’est ici que Naama a l’intention d’amener les femmes pendant leur menstruation, pour de la relaxation et de la contemplation. Elle rêve est d’y amener aussi des femmes palestiniennes de la région. « Le couple multi-orgasmic » est le titre de l’un des rares livres sur l’étagère.
- Omer Atidiah, fondateur d’Einot Kedem, alias la Ferme d’Omer. Crédit : Alex Levac
Naama est la force motrice derrière la spiritualité ici, avec un enthousiasme qui peut balayer certaines personnes. Omer porte une chemise bleue sans manches qui a appartenu à son père, qui est mort il y a deux ans en tombant du toit de sa maison dans l’Arava, un short, des chaussures hautes et un charisme à haute tension. Il est très facile de tomber sous le charme de ces deux-là ; les mangues qu’ils cultivent sont aussi plus sucrées que le miel.
« L’idée est de guérir le sol chargé de cette terre », explique Naama, une petite boucle en forme d’étoile de David enfoncée dans le lobe de l’oreille, une écharpe négligemment enroulée autour de sa tête. Le moment est maintenant venu de parler de cette terre – cette terre pillée et volée.
Après avoir quitté l’armée, Omer a travaillé pendant quelques années à Sde Bar, une ferme de jeunes près d’Hérodium (Hérode), l’ancien site dans le désert de Judée en Cisjordanie. C’est là, dit-il, qu’il a d’abord appris l’histoire des colonies. « à Ein Yahav, nous pensions qu’il n’y avait que nous, et s’il y en avait d’autres – à quoi étaient-ils bons. » Il avait commencé à rêver d’établir une ferme à l’âge de 12 ans. Maintenant, il comprenait qu’il allait l’établir dans les territoires occupés. Entre-temps, il était également devenu pratiquant et étudiait une fois par semaine à la yeshiva Netiv Bina à Jérusalem.
En 2004, dit Atidiah, il a été contacté par le Département du développement rural de l’Organisation sioniste mondiale, qui lui a offert quelques terres d’une base militaire et une propriété abandonnée par la colonie de Yitav. Ce sont des terres du Waqf qu’Israël a expropriées comme « terres d’État », en fait juste une couverture pour la dépossession et la colonisation.
Atidiah a reçu les coordonnées géographiques de la propriété du Département de développement rural, raconte-t-il, et il est parti en excursion en jeep pour voir l’endroit qui allait devenir sa résidence. Lors de ce voyage, il a également rencontré la femme qui allait devenir son épouse. Il a fait du thé avec de l’oxeye parfumé, une plante de l’Arava, et l’a servi à Naama. Le mariage en blanc a eu lieu ici quelques mois plus tard. Au début, le couple vivait dans une tente. Naama était serveuse dans un café du quartier branché de La Place de Bâle à Tel Aviv et elle descendait pour le week-end.
Omer commença à construire une ferme. Son père, Micah (Mimi), l’un des fondateurs du Moshav Ein Yahav, et une figure bien connue dans l’Arava, travailla étroitement avec eux et les soutint financièrement.
Un jour, un commandant de bataillon qui était en service de réserve dans la région arriva à la ferme et refusa de serrer la main de Micah. — Je ne serre pas la main des colons, dit l’officier, et le père pleura.
- Einot Kedem, alias la Ferme d’Omer. Crédit : Alex Levac
« Soudain, j’ai compris que nous entrions dans une situation différente ici », dit Atidiah maintenant. « Soudain, j’ai senti un mur. J’ai compris que je m’engageais dans une lutte de pouvoir et que je devais choisir mon camp. Papa a dit : Quand nous avons fondé Ein Yahav tout le monde nous a soutenus. Mais cela n’arrivera pas ici ; réfléchis à nouveau. Je ne supporte pas l’idée que les gens ne se serrent pas la main à cause d’un point de vue. »
Pas à cause d’un point de vue – à cause d’actes, je lui ai dit. « Les actes ont été très agréables. Connectants au sol. Nous n’avons expulsé personne. C’était pratiquement pastoral ». Aux yeux d’Atidiah, il n’y a pas de différence entre Ein Yahav et Einot Kedem.
« Ma mère m’a demandé : Qu’allez-vous faire ici ? J’ai répondu, je vais construire un bel endroit ici. Papa est allé à Ein Yahav et moi je suis venu ici. Je veux continuer dans la voie de papa. Maman a demandé : Qu’y a-t-il ici pour vous ? J’ai dit que quand ils sont allés à Ein Yahav, ils auraient aussi pu poser cette question. La ligne verte n’était pas un gros problème pour moi. Je n’avais pas grandi dans un foyer politique. J’ai signé une entente avec le Département du développement rural, un shekel par dunam par année, pendant 49 ans. »
La terre est presque gratuite, mais il est interdit d’y construire. Atidiah a invoqué la loi jordanienne, qui permet la construction d’une cabane agricole pour chaque 10 dunams, mais bien sûr il n’a pas construit de cabanes agricoles, mais un avant-poste avec de multiples structures – toutes illégales.
« Ne m’entraînez pas dans des questions politiques. Nous n’avons pas une approche politique. Je n’expulse aucun Arabe et je n’ai pas l’intention de laisser quiconque m’expulser », dit-il.
Y a-t-il égalité ici ? « L’égalité est un mot problématique. Y a-t-il égalité entre les femmes et les hommes ? Je crois que d’ici 10 ans, nous verrons ici une forme de vie plus égale. Nous sommes venus ici dans des conditions bien pires que celles de tous les Bédouins ont ici – et nous avons réussi ».
Vous feignez l’innocence. Vous avez un État et une armée derrière vous. « Au début, nous avons dû fuir l’armée. Les Bédouins sont des gens différents. C’est une culture différente ».
- Naama et Omer Atidiah, " Nous n’avons pas d’approche politique. Je n’expulse aucun Arabe et je n’ai pas l’intention de laisser quelqu’un m’expulser », dit-il. Crédit : Alex Levac
Avez-vous un seul ami non juif de la région ? « Cela fait partie de notre objectif ici. »
Peu à peu Atidiah abandonna le discours sucréet devint un peu plus extrême. Il appela les militants de Ta’ayush – une organisation de partenariat arabo-juive – des anarchistes. Qu’est-ce qui fait d’eux des anarchistes ? Une fois, ils lui ont crié « terroriste ».
De son côté, Ta’ayush dit qu’Atidiah a expulsé des bergers palestiniens par la force et les a souvent menacés avec une arme. Le couple nie toutes les allégations de violence.
La semaine dernière, l’avocat Tawfiq Jabareen a déposé une requête contre le ministre de la Défense et les FDI, demandant un décret nisi ordonnant l’évacuation de la ferme d’Omer, au nom du Waqf musulman à Jéricho, le propriétaire du terrain. Atidiah dit qu’il n’a rien contre la construction d’un village palestinien en face de sa ferme – la raison pour laquelle nous étions venus ici il y a un mois – si ce n’est le fait qu’elle endommage la montagne. Les Juifs aussi endommagent les montagnes, lui ai-je dit. Ils ont peur de toi ici.
« C’est l’un des obstacles à l’établissement d’un dialogue », dit-il. « C’est comme quand les gens ont peur d’une femme qui est très féminine, ou d’un homme qui est très masculin. C’est interdit d’être ici ? Tout comme je n’empêcherai personne de vivre sur un terrain particulier, tout comme mon père s’est battu au nom des Bédouins dans l’Arava – nous ne voulons pas non plus expulser qui que ce soit ou être nous-mêmes expulsés. Nous ne sommes pas en guerre ».
Par la suite, j’ai pensé aux fermes appartenant à des blancs en Afrique du Sud, et combien il devait être agréable de les visiter - tant que vous ne regardiez pas autour de vous.
Traduit de l’anglais original par RP pour l’AFPS