Depuis 2004, l’AFPS traduit et publie chaque semaine la chronique hebdomadaire d’Uri Avnery, journaliste et militant de la paix israélien, témoin engagé de premier plan de tous les événements de la région depuis le début. Cette publication systématique de la part de l’AFPS ne signifie évidemment pas que les opinions émises par l’auteur engagent l’association. http://www.france-palestine.org/+Uri-Avnery+
Mon père était un sioniste de la première heure. L’humour populaire juif en Allemagne en ce temps-là disait qu’“un sioniste est un Juif qui veut prendre de l’argent à un autre Juif pour installer un troisième Juif en Palestine.
La Palestine était alors un pays dépourvu d’arbres ornementaux. Les habitants arabes cultivaient des oliviers d’où ils tiraient leurs moyens d’existence, et c’est à cette époque que les agrumes furent introduits. L’olivier y est depuis toujours – déjà dans l’histoire biblique de l’arche de Noé, la colombe rapporte un rameau d’olivier comme signe de vie.
Selon une légende populaire, au cours de cette guerre l’administration turque abattit les arbres pour construire une ligne de chemin de fer à travers la péninsule du Sinaï afin de déloger les Britanniques du Canal de Suez. Cependant, les Britanniques traversèrent le Sinaï dans l’autre direction pour conquérir la Palestine.
APRÈS CETTE guerre, les sionistes commencèrent à venir en masse dans le pays. Parmi beaucoup d’autres choses, ils se mirent à planter des arbres en grandes quantités. De véritables forêts surgirent, bien que pitoyables en comparaison des forêts russes ou européennes.
Les sionistes ne se demandèrent pas pourquoi le pays était dépourvu de tant d’espèces d’arbres. La réponse évidente était que les Arabes ne s’en rendaient pas compte, simplement parce qu’ils étaient ainsi. Pas d’amour du pays. Pas d’amour des arbres.
Le mouvement sioniste était plein d’assurance. Les sionistes pouvaient réaliser tout ce qu’ils envisageaient. Ils haïssaient le paysage palestinien tel qu’il était. Ils allaient créer un pays différent. Quand David Ben-Gourion, jeune homme de 20 ans, atterrit à Jaffa en 1906, il fut complètement dégoûté. « Est-ce là la terre de nos pères ? » s’écria-t-il.
Alors les sionistes entreprirent de modifier le paysage. Ils importèrent de beaux arbres du monde entier et ils plantèrent des forêts partout où ils le pouvaient : le long de la route de Tel Aviv à Jérusalem, sur le Mont Carmel et dans beaucoup d’autres endroits. Ils étaient beaux.
Les nouveaux immigrants ne se demandèrent pas pourquoi le pays, qui avait été peuplé depuis la nuit des temps et était resté ainsi de façon continue jusqu’alors, était si dépourvu de ces espèces d’arbres. C’était évidemment de la faute des Arabes.
En réalité la raison était tout à fait différente. La Palestine souffre d’une pluviométrie extrêmement faible. Tous les cinq ans environ il y a une grande sécheresse, le pays devient complètement sec et des incendies éclatent partout. Les arbres qui ne sont pas adaptés au pays sont tout simplement détruits par le feu.
Il y a six ans, il y eut une alerte. Un incendie important se produisit sur le Mont Carmel. Il consuma de vastes parties de la forêt et tua 47 policiers, qui furent surpris par le feu alors qu’ils allaient évacuer une prison.
Il y a deux semaines ce fut très sérieux. Pendant huit mois il n’y eut pratiquement pas une goutte de pluie. Un fort vent d’est chaud a soufflé du désert. La terre s’assécha. La moindre petite étincelle pouvait déclencher un énorme incendie.
SOUDAIN LA TERRE prit feu. Environ 150 incendies distints se déclenchèrent, beaucoup près de Haifa, la troisième ville d’Israël. Haifa est belle, un peu comme Naples, et plusieurs de ses quartiers sont entourés d’arbres. Personne n’avait réfléchi à des distances de sécurité ou à des choses de ce genre.
Plusieurs quartiers prirent feu. Près de dix-huit mille habitants durent être évacués, abandonnant des biens de toute une vie. Beaucoup d’appartements furent détruits par le feu. C’était déchirant.
Les pompiers ont fait de leur mieux. Ils ont travaillé sans relâche. Aucune vie n’a été perdue. Avec des lances à incendies au sol et des avions légers en l’air, ils ont progressivement maîtrisé la catastrophe.
Comment les incendies ont-ils éclaté ? Dans les conditions climatiques actuelles, la moindre petite étincelle pouvait déclencher une énorme catastrophe. Un feu de camp pas bien éteint, une cigarette allumée jetée d’une voiture, un narguilé renversé.
Mais cela n’est pas assez dramatique pour les médias et l’est encore moins pour les politiciens. Bientôt le pays fut plein d’accusations. Ce sont les Arabes qui l’ont fait. Bien sûr. Qui d’autre ? La télévision était rempli de gens qui avaient réellement vu des Arabes en train de mettre le feu à des forêts.
Benjamin Nétanyahou apparut à l’écran. Vêtu d’une tenue de combat à la mode, entouré de ses larbins, il déclara que tout cela était le travail de terroristes arabes. C’était une ̏ Intifada de feu ̋. Heureusement, Israël a un sauveur : lui en personne. Il a pris les choses en main, a fait appel à un gros avion américain et à plusieurs autres avions étrangers de lutte contre le feu. Les Israéliens pouvaient retourner dormir.
En réalité, tout cela était absurde. Les courageux pompiers et les policiers avaient déjà fait leur travail. L’intervention de Nétanyahou était superflue et même néfaste.
PENDANT LE dernier grand incendie, il y a six ans, sur le Mont Carmel, Nétanyahou avait joué le même rôle et fait appel à un avion géant américain de lutte contre le feu. Il avait fait du bon travail au-dessus de la forêt. Dans des quartiers habités, le gros avion était inutile. Nétanyahou y avait fait appel, s’était fait photographier devant, et voilà.
L’accusation des citoyens arabes comme responsables de la catastrophe était bien plus sérieuse. Lorsque Nétanyahou l’a formulée, beaucoup de gens l’ont cru.
Le ministre semi-fasciste de l’Éducation, Naftali Bennett, fit valoir que le feu prouvait que le pays appartient aux Juifs puisque les Arabes y avaient mis le feu.
Beaucoup de citoyens arabes ont été arrêtés pour interrogatoire. La plupart furent relâchés. En fin de compte il apparut que, peut-être, 2 (deux) pour cent des incendies avaient été allumés par de jeunes Arabes comme actes de vengeance.
Haïfa est une ville mixte avec une importante population arabe. En général les relations entre Arabes et Juifs y sont bonnes, quelquefois même cordiales. Les deux communautés ont affronté ensemble le nouveau danger, des villages arabes ont ouvert leurs maisons à des réfugiés juifs fuyant l’incendie. Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité Palestinienne dans les territoires occupés, a lui aussi envoyé ses pompiers en Israël pour prêter main-forte.
Les propos incendiaires de Nétanyahou, portant des accusations fantaisistes (et sans la moindre preuve) contre les citoyens arabes et contre les travailleurs arabes des territoires occupés, n’avaient pas de sens.
Si bien que cet incendie politique, lui aussi, a été éteint avant qu’il n’ait pu causer trop de dégâts. À mesure que les jours passent, les accusations se font moins nombreuses, mais le mal qu’elles ont fait demeure.
(Lors de mon service dans l’armée, il y a longtemps, ma compagnie avait reçu le titre honorifique de ̏ Renards de Samson ̋. Le héros biblique avait attaché des branches enflammées à la queue de renards pour les envoyer dans les champs des Philistins.)
L’INCENDIE devrait nourrir la réflexion.
Si Nétanyahou et ses larbins ont raison et si ̏ les Arabes ̋ ont l’intention de nous expulser du pays par tous les moyens, y compris le feu, quelle est la réponse ?
La réponse facile est : plutôt les expulser.
Logique, mais inapplicable. Il y a maintenant plus de six millions et demi d’Arabes palestiniens dans le Grand Israël – Israël à proprement parler, la Cisjordanie (dont Jérusalem Est), et la Bande de Gaza. Le nombre de Juifs est à peu près le même. Dans le monde d’aujourd’hui vous ne pouvez pas expulser tant de monde.
Alors, nous sommes condamnés à vivre près les uns des autres – ou bien en deux États, solution rejetée par Nétanyahou, ou bien dans un seul État qui serait soit un État d’apartheid soit un État binational.
Si l’on croit, comme Nétanyahou et ses partisans, que tout Arabe est un ̏ terroriste incendiaire ̋ potentiel – comment, dans un État commun, quelqu’un pourrait-il trouver le sommeil la nuit ?
Seuls quelques Arabes ont des armes. Seuls quelques-uns ont des voitures avec lesquelles foncer sur des Juifs. Seuls quelques-uns peuvent fabriquer des explosifs. Mais tous ont des allumettes. En cas de temps sec, il n’y a plus de limite.
À ce propos, le hasard a voulu que je voie cette semaine un programme de télévision allemand sur un village suisse, très haut dans les Alpes. De temps en temps, un vent chaud très sec, le foehn, y souffle du sud. Deux fois, de mémoire d’homme le village a été complètement brûlé. Tout cela sans le moindre Arabe en vue.
EN ISRAËL, les brigades de pompiers dépendent des autorités locales, assurant des soutiens et des salaires aux valets du parti.
En juin1968, jeune membre de la Knesset, je fis une proposition révolutionnaire : supprimer tous les services locaux de lutte contre les incendies et mettre en place un service national unique de lutte contre les incendies, comme pour la police. Je fis valoir qu’une telle force, pouvait se préparer à toutes les éventualités mettre en place les équipements utiles et allouer les ressources nécessaires.
Contrairement à leur habitude de couvrir de sarcasmes mes propositions, mes adversaires prirent cette proposition au sérieux. Le ministre concerné admit que c’était une bonne idée, mais il ajouta que ̏ le moment n’était pas encore venu ̋.
Aujourd’hui, 48 ans plus tard, le moment n’est évidemment toujours pas arrivé.
Par contre, le grand incendie oui.