Dans le contexte de plus de 4 mois d’une guerre épouvantable d’Israël contre les Palestiniens (dite Israël-Hamas), où le risque de génocide est engagé ; comment et pourquoi l’idée de votre délégation s’est-elle constituée ?
Sabrina Sebaihi : Nous nous demandions, séparément, comment nous pouvions agir plus activement et concrètement pour un cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza. Éric Coquerel a proposé qu’une délégation de parlementaires se rende à Rafah dès novembre, départ qui a été retardé pour des raisons de sécurité de la délégation. Cette proposition a été faite aux membres de la NUPES du GEVI (1), ainsi qu’à certains membres du GEVI hors NUPES. Tous n’ont pu venir.
Notre premier but était de témoigner de la situation sur place. C’était également un moyen de faire revivre une diplomatie parlementaire ; de montrer notre soutien aux Palestiniens ; qu’en France des avis divergents existent ; qu’ils y ont des amis ; en portant la parole de Français qui toutes les semaines sont dans la rue pour demander le cessezle-feu ; également porter un message de soutien aux ONG qui sont en grande difficulté.
Il est plus que jamais difficile (et dangereux) d’entrer dans la Bande de Gaza. Comment vous êtes-vous préparé·es ?
S. S. : Notre sécurité était la priorité. Les autorités égyptiennes ont donné les autorisations. L’ambassade de Palestine au Caire a également contribué. L’Égypte donne les autorisations de son côté. Coté Gaza, ce pouvoir revient au gouvernement israélien. Donc impossible d’entrer.
Quels contacts avez-vous pu nouer à Rafah ?
S. S. : Nous avons pu rencontrer des acteurs majeurs de l’aide à Gaza. Nous avons rencontré des représentants de l’UNWRA qui nous ont alertés sur le risque de cessation de leur activité faute de moyens financiers si les six principaux pays donateurs arrêtent leur financement. Les attaques d’Israël ont pour objectif d’empêcher l’exercice du droit au retour. Nous devrons nous battre pour que la France ne suspende pas ses versements.
Le Croissant-Rouge égyptien nous a décrit les difficultés auxquelles il est confronté pour acheminer l’aide humanitaire fournie par de nombreux pays. Des centaines de camions, bloqués sur des kilomètres remplis de matériel attendent les autorisations israéliennes pour entrer dans la bande de Gaza. Des entrepôts et des chambres froides pour stocker les produits qu’Israël refuse de laisser entrer ont dû être construits.
Israël ne laisse passer qu’une ambulance par jour pour emmener des malades, des blessés, en Égypte. L’armée d’occupation cible délibérément le personnel soignant lorsqu’il intervient auprès de blessés victimes des tirs israéliens. Nous avons rendu visite à des blessés hospitalisés à l’hôpital El-Arish au Caire. Les membres d’une même famille peuvent être pris en charge dans différents pays : Émirats arabes unis, Turquie, Égypte. Les familles sont éclatées et n’ont pas de nouvelles des uns et des autres.
Les représentants de l’AN et du Sénat égyptiens que nous avons rencontrés nous ont dit être surpris et choqués par la position de la France, son alignement avec d’autres pays, sans demande de cessez-le-feu.
Ils nous ont expliqué pourquoi ils ne souhaitent pas laisser entrer la population de Gaza, par crainte d’une seconde Nakba sans retour possible ; l’extension du conflit dans le Sinaï ; l’embrasement de la région et l’entrée de l’Égypte dans le conflit. De plus, l’Égypte vit une crise économique, aggravée par la fermeture du canal de Suez (50 % de l’économie en est tributaire) et compte 10 millions de réfugiés.
Des infirmières et médecins français au sein de l’organisation PalMed ont témoigné de ce qu’ils ont vu et pu faire, face à une situation de chaos total dans un hôpital où les réfugiés sont dans des conditions sanitaires inimaginables. Sans médicaments, ni anesthésiants, avec des moyens médicaux précaires. Ils ont dû trier à même le sol les personnes qu’ils étaient en capacité de soigner, en fonction de leur état et des médicaments disponibles. Le taux de décès en réanimation était de 90 %. Ils n’ont vu et soigné que des civils.
Ce sont les Américains qui ont obtenu d’Israël leur autorisation d’entrée. Les difficultés de la France pour obtenir des accords de transit de nos ressortissants montrent le poids réel de la France pour Israël.
Nous avons rencontré au Caire l’ambassadeur de la Palestine. Il a exprimé l’espoir de paix ; celui de l’existence de l’État palestinien aux côtés de l’État israélien. Il nous a aussi alertés sur la situation critique et inquiétante des Palestiniens bloqués en Égypte, dont 13 000 étudiants.
D’une façon générale, un grand nombre de matériel est refusé sous prétexte de sécurité, ainsi que tout matériel qui peut permettre l’autonomie : médical, photovoltaïque, électrique, panneaux solaires. Même des boîtes de jouets en bois sont refusées. Malgré toutes ces horreurs, tous nous ont dit vouloir revenir à Gaza.
De retour à Paris, quel est votre état d’esprit vis-à-vis du traitement de la situation en France que ce soit dans le monde des médias ou de la politique ?
S. S. : La conférence de presse s‘est bien passée, mais a connu davantage de retentissement dans les médias internationaux que dans les médias français. Il y a un « deux poids deux mesures » évidents : 29 heures de journaux télévisés (59 JT) sur TFI et France 2, dont cinq minutes consacrées à la Palestine, avec des informations incomplètes.
Notre besoin de transmettre passe essentiellement par les réseaux sociaux et nos prises de parole en réunions publiques.
La France semble évoluer dans son discours officiel, mais il y a peu de changements sur le terrain politique, diplomatique ou des sanctions. Votre mission aura-t-elle un impact à ces niveaux ?
S. S. : Le fait d’avoir témoigné au parlement de ce que nous avons vu, de nos rencontres avec les différents acteurs et témoins a augmenté notre crédibilité. Avant nous étions hués lors des questions au gouvernement. C’est moins le cas. Un cessez-le-feu immédiat et permanent, est réclamé maintenant par le ministre.
Nous voulons continuer à partager ce que nous avons vu, déposer des résolutions, faire rentrer la Palestine dans le débat public, sereinement sur la base du respect du droit international.
> Imposer des sanctions économiques à Israël : Bloquer la vente d’armes, suspendre tous les accords de commerce, suspendre l’accord d’association avec l’UE, désinvestissement des entreprises françaises de leurs intérêts là-bas.
> Saisir la CPI contre Netanyahou, comme cela a été fait pour Poutine. C’est le sens de la résolution que nous avons déposée et qui doit être débattue au sein de l’AN. La lumière doit être faite sur ce qu’il s’est passé le 7 octobre et depuis cette date, des deux côtés, y compris en Cisjordanie occupée. Les mesures appliquées à la Russie doivent l’être contre Israël.
> La France bouge, parle d’un cessez-le-feu et non plus d’une trêve. Elle a réaffirmé qu’elle ne reconnaîtra jamais les colonies. Alors que le parlement français a déjà voté la reconnaissance de la Palestine, Macron indique que ce sujet n’est plus tabou.
> Nous avons demandé un RDV avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères pour échanger sur la position et les actions de la France. Nous allons relancer le ministre sur les ventes d’armes et à propos de la coopération militaire. Les États qui vendent des armes à Israël sont complices. La France doit prendre ses responsabilités.
> Thomas Portes (LFI) suit le dossier des soldats franco-israéliens qui rejoignent l’armée israélienne, commettent des crimes, se mettent en scène. Des avocats montent des dossiers afin qu’ils soient poursuivis.
> Un réseau de parlementaires européens se crée pour peser à ce niveau, l’Europe a un rôle à jouer.
Avez-vous un message particulier pour nos lecteurs ?
S. S. : Malgré un sentiment d’impuissance, continuons à parler des Palestiniennes et des Palestiniens, à les faire exister, dire que ce peuple existe et qu’il est en train de se faire massacrer aux yeux de tous.
Écrivez, interpellez vos élu·es, rencontrez-les, poussez-les à agir. C’est l’opinion publique qui renversera les choses. Elle redonne énormément d’espoir aux Palestiniens.
Propos recueillis par C. P.
Membres de la délégation :
Assemblée nationale : Soumya Bourouaha, Jean-Victor Castor, Éric Coquerel, Sébastien Delogu, Alma Dufour, Pascale Martin, François Piquemal, Thomas Portes, Sabrina Sebaihi, Ersilia Soudais, Andrée Taurinya, Jean-Marc Tellier.
Sénat : Abdeljalil Idyoussef , Akli Mellouli, Anne Souyri