Photo : Capture d’écran d’une vidéo d’Aljazeera montrant un Palestinien utilisé comme bouclier humain par des soldats israéliens à al-Shuja’iyya. (Capture d’écran/Chaîne Youtube d’Al Jazeera).
Entouré de dizaines de soldats, de chars, de voitures blindées, de drones bourdonnants et de chiens de l’armée, Ahmad Safi s’est retrouvé face à un énorme trou dans le sol.
« De tous les scénarios de mort que j’ai imaginés depuis le début de la guerre, je n’aurais jamais imaginé que je verrais ma propre tombe », a déclaré à Mondoweiss cet habitant de Khan Younis âgé de 26 ans.
Ahmad et les hommes de sa famille avaient été arrêtés par l’armée israélienne et enrôlés de force pour se tenir devant une base militaire de la résistance, tandis que les soldats israéliens s’abritaient derrière eux. Ils ont été pris au milieu d’un échange de tirs entre les soldats et la résistance.
Dans la nuit du 22 janvier, l’armée israélienne a lancé une attaque soudaine sur l’ouest de Khan Younis, où se trouvaient cinq abris pour personnes déplacées.
Au milieu de la nuit, les troupes israéliennes ont avancé vers les bâtiments de Tiba, où Ahmad et sa famille s’étaient réfugiés au milieu de la « zone de sécurité » désignée ainsi par les Israéliens. Ces bâtiments étaient entourés de l’université al-Aqsa, de l’hôpital al-Khair, de l’école industrielle, du centre du Croissant-Rouge palestinien et de la zone côtière d’al-Mawasi, qui abritent tous des dizaines de milliers de Palestiniens déplacés.
Au début de la nuit, Ahmad s’est rendu compte que les drones quadcoptères israéliens occupaient entièrement le ciel. Il savait ce que cela signifiait grâce à son expérience des tactiques de guerre israéliennes : l’armée préfère lancer des opérations majeures sous le couvert de la nuit.
Cette nuit-là, Ahmad a entendu des coups de feu ininterrompus au loin, mais ils étaient relativement éloignés, alors il a continué à regarder une série animée pour se distraire.
Quelques instants plus tard, le bruit des tirs s’est intensifié et se rapproché, et soudain il a entendu des cris provenant de la pièce opposée. Son cousin avait été touché par une balle. Alors que les tirs s’intensifiaient, Ahmad s’est jeté sous son lit lorsque le reste de sa famille s’est précipité dans sa chambre en portant son cousin blessé.
C’est alors que les soldats israéliens ont pris d’assaut leur appartement, faisant irruption dans la pièce dans un éblouissement de lampes torches.
« C’était la première fois que je voyais un soldat israélien en chair et en os » a déclaré Ahmad à Mondoweiss.
L’armée a séparé les femmes des hommes et a forcé les femmes à fuir vers le sud, à Rafah. Les hommes ont été attachés avec des colliers de serrage et sont restés sous la garde de l’armée.
Un commandant israélien a ordonné à Ahmad et aux hommes de sa famille de descendre les escaliers en file indienne. Il leur a ensuite ordonné de s’agenouiller contre le mur sud de leur appartement, qui faisait face à une base militaire de la Résistance.
Le corps d’Ahmad tremblait de façon incontrôlée. Ses lèvres tremblaient et sa respiration était lourde.
« J’ai essayé de me ressaisir » a raconté Ahmad. « Mais lorsque j’ai entendu ma mère nous dire au revoir alors qu’elle était traînée dehors par les soldats israéliens, je n’ai pas pu retenir mes larmes. »
Le lendemain matin, le 23 janvier, les soldats israéliens ont ordonné à Ahmad, à son père, à son frère et au reste de ses cousins de sortir et leur ont demandé de se déplacer horizontalement devant les véhicules militaires blindés.
« Alors qu’ils nous ordonnaient de nous arrêter et de rester immobiles, je me suis retrouvé à quelques mètres de la base militaire de la résistance » raconte Ahmad. « C’est à ce moment-là que j’ai compris que nous étions utilisés comme boucliers humains. »
Les soldats les ont obligés à s’agenouiller au milieu de la rue et se sont mis à l’abri derrière Ahmad et les hommes de sa famille.
Ils ont été forcées de porter des vêtements léger dans le froid hivernal, et leurs mains ont été attachées par des colliers de serrage si serrées qu’ils ne pouvaient plus sentir leurs doigts. À plusieurs reprises, les soldats ont tiré des balles à côté de leurs pieds dans le but de les terroriser, peut-être pour les rendre plus malléable à obéir aux ordres.
« Chaque fois qu’ils nous tiraient dessus, je me touchais instantanément le dos pour vérifier si j’étais encore en vie » a déclaré Ahmad, se souvenant des rires des soldats face à la peur que lui et sa famille avaient ressentie.
À d’autres moments, un char se dirigeait rapidement vers eux, puis reculait à moins d’un mètre. Ahmad s’est rendu compte que les soldats jouaient avec eux.
À un moment donné, les soldats ont pris le frère d’Ahmad, Saeed, et l’ont torturé, lui brisant la mâchoire. Ils lui ont donné des coups de pied dans les parties génitales comme s’ils « frappaient un ballon de football », selon Saeed. Ils l’ont battu si violemment qu’il s’est évanoui à un moment donné.
« Ils l’ont soupçonné d’être un combattant de la résistance en raison de son apparence. Pour les soldats israéliens, tout homme barbu qui porte la marque du sujoud sur le front est un membre du Hamas" explique Ahmad (de nombreux musulmans pieux qui touchent leur front au sol lorsqu’ils sont agenouillés en prosternation pendant la prière développent des marques sur leur front en raison du frottement répété avec le tapis de prière).
Quelques instants plus tard, un échange de coups de feu intensifié a éclaté alors qu’Ahmad et sa famille se trouvaient entre les soldats israéliens et les combattants de la résistance, sans aucun abri. Ils se sont allongés sur le sol, dans une tentative désespérée de se mettre à l’abri.
Nous avons continué à crier en arabe « arrêtez les tirs » et quelques instants plus tard, les tirs ont cessé" a déclaré Ammar, un autre cousin d’Ahmad, à Mondoweiss.
Ils ont été contraints de rester là pendant plus de 12 heures, enrôlés par les soldats israéliens comme boucliers humains contre leur gré. À la fin de la journée, ils étaient déshydratés et pouvaient à peine se tenir debout.
À midi, dans un moment de relâchement de la surveillance, Ahmad a décidé d’accomplir la prière de midi avec ses yeux, une méthode autorisée dans l’islam lorsqu’une personne est paralysée ou mourante. Dans la situation d’Ahmad, il pensait que les deux cas s’appliquaient.
Avant le coucher du soleil, les échanges de tirs ont repris. Trois soldats israéliens se sont précipités vers Ahmad et le reste des hommes et les ont tirés vers une grande dune de sable, sur laquelle ils les ont forcés à se tenir de manière à être visibles et exposés à la ligne de feu. Alors qu’ils se trouvaient au sommet de la dune, ils ont regardé vers le bas et, de l’autre côté, il y avait un grand fossé dans le sable sous leurs pieds.
Les soldats les ont forcés à rester debout sur la dune, exposés à la ligne de feu et avec le fossé se profilant en contrebas.
« Mon cousin, Ammar, nous a dit de nous accrocher aux doigts les uns des autres et de croiser nos pieds, de sorte que si une balle touchait l’un d’entre nous, il ne tomberait pas dans cette fosse commune », a raconté Ahmad à Mondoweiss.
Des images de civils enterrés vivants ont traversé leur esprit, exactement comme ce qui s’était passé à l’hôpital indonésien en novembre 2023, d’après ce qu’ils ont entendu. C’était également bien avant que la nouvelle des massacres et des fosses communes découverts à l’hôpital al-Shifa et à l’hôpital Nasser, révélant des centaines de cadavres, n’éclate au grand jour en avril de cette année.
Une fois les échanges de tirs terminés, les soldats israéliens ont forcé Ahmad et le reste des hommes à entrer dans un bâtiment. Le bâtiment était entièrement sombre, à l’exception de la pièce dans laquelle Ahmad et sa famille ont été forcés d’entrer. Les murs sud et est de la pièce ont été détruits, ce qui rendait les personnes à l’intérieur visibles à tout le monde depuis la base de la résistance.
De temps en temps, un soldat venait pointer un laser rouge vers eux pendant quelques minutes, puis s’éloignait.
« Je pense qu’il essayait de faire comprendre aux combattants de la résistance que nous nous trouvions également à l’intérieur de ce bâtiment, car ils nous utilisaient, une fois de plus, comme boucliers humains » a expliqué Ahmad.
Quelques instants plus tard, des soldats les ont emmenés un par un dans une autre pièce. C’était la première fois en plus de 18 heures de détention qu’ils commençaient à les interroger.
Les soldats ont commencé à leur donner des coups de pied et à les insulter pour leur demander des informations. Ils ont forcé le frère d’Ahmad, Saeed, à dire des choses dégradantes sur lui-même, juste pour pouvoir se moquer de lui lorsqu’il le faisait.
« Le commandant des services de renseignement m’a demandé de localiser ma maison sur des images en direct qu’ils m’ont montrées d’un drone dans ma région » a raconté Ahmad à Mondoweiss. « Au début, je n’y arrivais pas, car toute la zone semblait aplatie. Heureusement, je l’ai localisée avant le deuxième coup de poing. »
« C’est à ce moment-là que j’ai appris que ma maison avait été détruite » a-t-il ajouté.
Après environ deux heures, les soldats ont libéré Ahmad et sa famille et leur ont ordonné de se diriger vers le sud en leur faisant suivre un rayon laser en pleine nuit.
En tâtonnant sur les routes, Ahmad et sa famille ont finalement pu atteindre une école des Nations unies située à environ un kilomètre et abritant un certain nombre de personnes déplacées.
« Lorsque nous avons atteint l’école et entendu le bruit de quelques personnes à l’intérieur, nous avons éclaté en sanglots mêlés à des rires hystériques » a déclaré Ahmad. « Nous n’arrivions pas à croire que nous avions survécu à ce cauchemar. »
L’école étant fermée, l’un d’entre eux a dû sauter par-dessus les murs et appeler quelqu’un pour ouvrir. Les personnes présentes leur ont donné de l’eau et du pain, mais Ahmad était déterminé à trouver la tente de son oncle, près de l’école, et à chercher sa mère et ses sœurs. Ils les ont finalement trouvées avec son oncle.
Le lendemain matin, toute la famille a fui vers Rafah, laissant derrière elle tout ce qu’elle avait à Khan Younis.
Traduction : AFPS