Un symbole fort
Quand la municipalité a sollicité l’AFPS pour une œuvre symbolique qui corresponde au camp de réfugiés, nous avons tout de suite pensé à une clé. En effet, nos contacts et échanges fréquents avec les habitants du camp de Jénine, nous ont montré que la question du droit du retour, symbolisée par la clé, est forte dans la culture des habitants du camp, jeunes ou vieux. C’est Najet qui l’exprime : « mes grands-parents et mon père vivaient dans le village d’El Mansi à 27 km de Haïfa. En 1948, ma grand-mère et sa famille (mon père avait 7 ans) chassés de la région d’Haïfa sont partis vers l’est. Pour nous, notre rêve, notre espoir, c’est le retour à Haïfa. Peut-être que cela ne se réalisera pas pour moi, mais pour mes enfants : ils savent d’où ils viennent et quelles sont leurs racines, c’est important et c’est un droit ».
Cette clé en fer forgé, sur le « Rond-point de Jénine » est certes plus modeste que celle du camp d’Aïda à Bethléem, mais elle reste de dimension respectable : 2,50 m et 250 Kg. Elle a été forgée bénévolement par un professionnel installé dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes avec le concours de militants AFPS. La fabrication fut l’occasion de faire parler de la Palestine notamment dans la presse. Préciser pour les passants le sens de cet objet est nécessaire : une plaque explicative sera posée sur le trottoir accompagnée d’un QR code renvoyant au site national de l’AFPS.
Jénine, terre de résistance
Le camp et la région de Jénine sont connus de longue date pour leur résistance à l’occupant. Selon les époques et les circonstances, cette résistance a pris différentes formes : résistance armée des deux premières Intifadas*, résistance culturelle, initiée par Arna Meir-Khamis [1] qui aboutit à la création du Théâtre de la Liberté par Juliano son fils et Zakaria Zubeidi. Ce dernier a été fêté par la population après son évasion de la prison de Gilboa avec 5 autres camarades de Jénine.
Les nouvelles générations prennent le relais en tentant de s’opposer aux incursions de l’armée israélienne au péril de leur vie puisque 12 jeunes du camp ont été assassinés par l’occupant en 2021. Les initiatives sanitaires ou sociales que nous accompagnons relèvent également de la résistance. Appareiller des personnes amputées, soutenir des enfants en difficulté, sont autant d’actions visant à restaurer la dignité face à l’occupation qui cherche à détruire la société. Reconstruire, réhabiliter des logements vétustes [2], embellir et fleurir les rues et les places du camp, s’organiser en associations… vivre malgré l’occupation et l’oppression, c’est aussi résister.
Ce n’est pas un hasard si la résistance est plus forte dans les camps car les réfugiés sont ceux qui ont tout perdu.
Vingt ans de coopération
Nos liens avec le camp de Jénine remontent à 2003 quand 5 millitant.e.s de notre groupe participent à une mission avec l’AJPF [3] de Fernand Tuil. Le camp, attaqué un an plus tôt, est dévasté : des dizaines de morts et des centaines de blessés ont provoqué un traumatisme pour les habitants et pour nous un choc que nous partageons au retour avec la population de notre ville.
Spontanément nous recueillons des fonds pour répondre aux besoins exprimés par les associations du camp. Même si plusieurs familles ont tout perdu, leur demande ne porte pas sur la reconstruction matérielle, mais sur l’éducation et le lien avec l’extérieur : fournir des ordinateurs pour permettre aux enfants et aux femmes de s’initier à l’informatique et communiquer avec le monde. C’est la réponse que nous apportons dès l’année suivante.
D’autres projets suivront. Le soutien à une association qui apporte des soins aux handicapés s’est traduit par un achat de matériel et l’accueil de praticiens souhaitant une formation complémentaire en France. L’initiation de jeunes aveugles ou mal voyants à la pratique du cécifoot est un projet en cours. Nous avons également apporté un soutien aux paysans de la région qui se sont organisés en une coopérative d’huile d’olive. Plus récemment, avec d’autres groupes de l’AFPS, notamment celui d’Albertville, nous accompagnons la « Maison chaleureuse », une institution intégrée au Centre des femmes qui accueille durant l’année scolaire une trentaine d’enfants en difficulté sociale ou psychologique. En effet, beaucoup d’enfants sont traumatisés par les incursions fréquentes des soldats israéliens qui pénètrent dans les maisons la nuit en défonçant la porte. Lourdement armés et parfois accompagnés de chiens, ils terrorisent les enfants à peine réveillés, avant de capturer un membre de la famille. Pour certains enfants cela se traduit par des comportements anxieux ou violents. Des difficultés de concentration conduisent à des retards scolaires. Par ailleurs, le chômage élevé et l’emprisonnement des pères créent des situations de précarité qui impactent les enfants.
Élargir la mobilisation à différents secteurs de la société
A travers les missions et l’accueil de nos partenaires, différents publics sont touchés. Un établissement d’accueil d’enfants handicapés reçoit deux praticiens de Jénine en formation qui iront également s’initier aux techniques modernes d’appareillage dans des entreprises nantaises. Le monde sportif local accueille une équipe de cécifoot de Jénine tandis qu’une équipe de footballeuses du canton se rendra en Palestine. Les milieux de la culture sont également intéressés : le Théâtre de la Liberté s’est produit deux fois dans notre canton, l’exposition de Joss Dray « Revenir à Jénine » est présentée à Nantes en 2019 avec la participation d’une troupe locale créée pour l’occasion. Un groupe de musique bretonne a donné un concert dans la région de Jénine tandis que des danseurs bretons de la Chapelle-sur-Erdre sont allés sur place à la découverte du dabké.
Impliquer les collectivités en France
A l’origine, c’est l’AFPS qui est à l’initiative de la coopération avec le camp, mais très rapidement nous choisissons de solliciter les communes, le Conseil départemental et la Région qui apportent leur concours financier aux projets que nous soutenons. Nous proposons alors aux élus d’aller découvrir sur place la situation et l’avancement des projets qu’ils soutiennent. Au cours des années, 5 maires du canton, un conseiller général et un député participent à des missions en Palestine avec l’AFPS, notamment à Jénine.
Du soutien associatif à la coopération décentralisée
La mobilisation des citoyens et la sensibilisation des élus ont conduit la municipalité à signer un Pacte d’amitié avec le camp de Jénine en 2019, prélude à un futur jumelage. Le Comité populaire du camp a récemment exprimé des besoins concernant l’eau et les déchets qui seront traités dans le cadre de la Coopération décentralisée.
Les fréquentes coupures d’eau sur le réseau public géré par Israël, oblige à s’approvisionner périodiquement à une source palestinienne distante de 4 km. Le matériel de l’UNRWA, vétuste, est souvent en panne et le Comité populaire souhaite s’équiper d’un tracteur neuf qui servirait également à la collecte des ordures ménagères du camp. Cette demande a été déposée auprès de Nantes-Métropole dont la Ville de la Chapelle-sur-Erdre est une composante.
Pour les réfugiés palestiniens la « clé du retour » ne relève pas de la nostalgie du pays perdu, mais elle est un espoir pour l’avenir. Pour nous, militants ou élus, cette sculpture ne marque pas un aboutissement, mais l’ouverture à de futurs engagements et de nouvelles actions.
*On a coutume de dire que la première Intifada - dite des pierres- fut non-violente et la seconde, armée. (note de la rédaction)