La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) vient de publier son rapport annuel sur « La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie ». Comme chaque année, il étudie l’évolution de l’opinion publique, mais aussi les statistiques des menaces et des violences enregistrées par les ministères de l’Intérieur et de la Justice. Ce qui frappe, c’est l’apparente contradiction entre la première et les secondes.
Ainsi l’indice de tolérance, créé en 2008 par le chercheur Vincent Tiberj, a-t-il atteint un sommet, augmentant de 13 points depuis cinq ans. S’il se fixe en moyenne à 67, il évolue différemment selon les communautés : il atteint 79 pour les Noirs, 77 pour les Juifs, 73 pour les Maghrébins, 61 pour les musulmans et… 35 pour les Roms.
Mais, note la CNCDH, « la progressive montée de la tolérance, selon un mouvement ininterrompu depuis plusieurs années, ne fait pas obstacle à un regain des actes racistes provenant de personnes demeurant hostiles : les actes de menaces ou de violences (…) n’ont pas diminué avec la diminution de l’intolérance ».
C’est notamment le cas des violences antisémites, dont le rapport rappelle qu’elles ont cru de 74 % en 2018. Dommage qu’il ne signale pas que l’importance de ce chiffre est largement due à la décrue de ces délits depuis 2014, si bien que leur nombre en 2018 (541) reste très inférieur à celui de 2014 (851).
Sur l’antisémitisme, la CNCDH appelle – comme je l’ai fait dans toutes mes conférences – à croiser toutes les données. « Les juifs, écrit-elle, sont la communauté la mieux considérée dans l’opinion publique, et ce depuis les années 2000. » Mais elle note aussi « la persistance de préjugés anciens fondés sur la croyance que les juifs auraient un pouvoir excessif, un rapport particulier à l’argent et une double allégeance ».
En revanche, elle estime que « l’évolution des actes antisémites constatés apparaît davantage liée aux soubresauts du conflit israélo-palestinien depuis les années 2000 ».
Elle ajoute : « Les résultats nuancent la thèse d’un “nouvel antisémitisme” qui serait structuré par l’antisionisme et porté par l’extrême gauche. » Et d’expliquer que, contrairement à l’extrême droite, l’extrême gauche « n’adhère pas » aux préjugés sur les juifs, « tout en se montrant plus critique envers Israël ».
Le rapport de la CNCDH consacre enfin une page très claire à l’application de la définition de l’antisémitisme par l’International Holocaust Rembrance Alliance.
En voici le texte intégral : « Vigilance sur la définition de l’antisémitisme proposée par l’IHRA. Le 20 février 2019, le Président de la République a annoncé que la France allait endosser la définition de l’antisémitisme utilisée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Le Parlement européen appelle les États membres à adopter la définition de l’IHRA suivante : « L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs, qui peut être exprimée comme une haine envers les Juifs. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme sont dirigées vers des individus juifs ou non juifs et / ou leurs biens, vers des institutions communautaires juives et des installations religieuses ». Ce texte multiplie ensuite les références à l’État d’Israël, tendant ainsi à s’écarter de son objet premier.
La CNCDH réitère qu’elle n’est pas favorable à cette transposition en France :
- il est contraire au droit constitutionnel français d’opérer pareille distinction entre les racismes, le droit français retenant une définition globale et universelle du racisme ; une telle singularisation de l’antisémitisme vis-à-vis des autres formes de racisme pourrait remettre en cause le cadre républicain et encourager d’autres groupes victimes de racisme à revendiquer à leur tour pareille reconnaissance ;
- elle risquerait de fragiliser l’approche universelle et indivisible du combat antiraciste qui doit prévaloir, d’autant plus dans un contexte d’exacerbation des revendications identitaires ;
- la CNCDH insiste sur la vigilance à ne pas faire l’amalgame entre le racisme et la critique légitime d’un État et de sa politique, droit fondamental en démocratie.
Concernant les musulmans, le rapport évoque « un moindre rejet ». Mais il souligne la « perception d’une religion conquérante » et « le sentiment que certaines pratiques musulmanes sont peu compatibles avec le “vivre ensemble” ». Et d’ajouter : « Si les arguments liés à un supposé conflit de valeurs sont souvent avancés, l’enquête CNCDH révèle que l’aversion à l’islam n’est en réalité pas liée à un attachement plu marqué aux principes de la laïcité, aux droits des femmes ou encore à l’acceptation des minorités sexuelles, c’est même l’inverse. »
Ainsi 59 % des sondés « considèrent que le port du voile n’est pas compatible avec la société française », chiffre qui monte à 85 % s’agissant du voile intégral. 20 % expriment la même opinion sur le jeûne du ramadan. Idem pour 42 % concernant l’interdiction de montrer une image du prophète. Et 24 % pour l’interdiction de manger du porc ou de boire de l’alcool. Autant d’opinions néanmoins en recul depuis 2015.