Lundi 24 octobre
"C’est un beau pays n’est-ce pas" ?
"Nous partons en taxi de Halhul à 7h30 en direction de Hébron. A Hébron, nous prenons un second taxi pour nous rendre au barrage israélien situé sur la route des colons et assure le contrôle du camp de réfugiés d’Al Fawwar, au sud d’Hébron. Ensuite, nous prenons un troisième taxi pour contourner la route des colons et nous rendre sur la propriété de A., près de la colonie d’Otniel.
Cet agriculteur palestinien d’une soixantaine d’années ne peut plus cultiver l’ensemble de ses terres et cueillir ses olives sans la présence de volontaires internationaux. Cette terre appartient à sa famille depuis plusieurs générations A plusieurs reprises, ses récoltes ont été pillées par les colons.
Une présence étrangère assure une relative protection pour la cueillette, qui est normalement réalisée par des membres de sa famille.
La route la plus directe pour se rendre de Halhul à Otniel fait 20 km. Nous devons parcourir une distance de 30 km, nous arrêter au milieu des champs, marcher quelques dizaines de mètres puis traverser la route de contournement. Ces routes sont interdites d’accès aux Palestiniens, hormis les transports collectifs.
A. nous attend chez lui. La journée est coordonnée par le Comité de Défense de la Terre d’Hébron. Nous prenons le matériel (des sacs, des bâches, une échelle) et empruntons un quatrième taxi pour nous rendre sur ses terres. Il est 8h30.
Pendant la première partie de la journée, nous cueillons les olives sur le flanc de la colline où se trouve la colonie. Nous avons l’autorisation de cueillir dans la partie la plus basse du terrain de A.. Il nous est interdit de monter trop près de la colonie. R., qui assure le bon déroulement de la cueillette, nous explique que les Autorités d’Occupation ont peur de voir des Palestiniens s’approcher de trop près des constructions israéliennes pour perpétrer des attentats.
Au bout d’une heure trente environ, une 4x4 blanche se gare au bord de la route. Il s’agit du responsable de la colonie. Il a une trentaine d’année et il est francophone. Pendant une dizaine de minutes, une caméra est fixée sur nous et cherche à avoir l’image des visages de l’ensemble des volontaires. Un véhicule de l’armée arrive et se gare près de la voiture. A ce moment, le responsable de la colonie descend et se dirige vers nous accompagné de quatre soldats.
"Que faites-vous là ? Qui est responsable de ce groupe ?".
M. répond que nous travaillons en collaboration avec le Ministère Palestinien de la Jeunesse et des Sports (qui, depuis deux ans, ne participent plus en réalité aux campagnes de cueillette des olives, après une décision des autorités palestiniennes à Ramallah). Le chef des colons essaie de déterminer qui nous sommes, ce que nous sommes venus faire et combien de temps nous comptons rester. Nous restons assez évasifs dans nos réponses. Nous sommes censés résider à Bethléem et participer à un échange culturel.
Un soldat nous explique que nous n’avons pas le droit de nous rendre dans les champs qui sont situés plus près de la colonie.
Après son départ, deux soldats restent en faction près de nous, et plusieurs autres au bord de la route. La cueillette continue. Des enfants de la colonie commencent à nous insulter en hébreu du haut de la colline : "Allez-vous en d’ici ! Bande de connards ! Bande de fils de pute !". Une voiture de la police israélienne arrive à son tour. Nous traversons la route pour nous rendre dans la partie du champ située de l’autre côté.
Un colon s’arrête au bord de la route et nous demande avec agressivité : "Qu’est-ce que vous faites ici ?".
Nous recommençons la cueillette. Au bout de quelques dizaines de minutes, une seconde voiture de la police arrive et trois policiers descendent vers nous. Ils nous redemandent qui nous sommes et ce que nous faisons là. Le chef parle français. Nous redisons ce que nous avons expliqué auparavant. Il demande à voir les passeports de tout le monde. R. reste en retrait. N. a laissé son passeport à Halhul. Ils lui disent de les suivre.
M. l’accompagne mais les policiers lui interdisent de les suivre. Nous continuons la cueillette en gardant un œil sur lui. Par chance il a sa carte d’identité et se souvient du numéro de son passeport. De plus, il retrouve un document qui lui a été remis à l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv. Pendant vingt minutes, les policiers cherchent à déterminer la validité de ses dires. Ils appellent leur bureau et finissent par avoir une confirmation de leur collègue. M. redescend et nous explique ce qu’il a vu.
La cueillette se poursuit jusque vers 13h30. Nous avons récolté environ 150 kilos d’olives. Le geste est en un sens plus symbolique qu’autre chose mais A. semble satisfait d’avoir pu accéder à ses terres. Nous prenons un taxi qui nous ramène à Halhul. Nous arrivons au barrage d’Al Fawwar où les soldats arrêtent le véhicule et nous demandent à nouveau nos passeports. L’un d’eux nous demandent : "Vous aimez Israël ? C’est un beau pays n’est-ce pas ?". Après le barrage, le taxi tombe en panne d’essence. Il doit s’arrêter et profite du passage d’un camion d’essence pour remplir son réservoir de quelques litres d’essence. La police israélienne arrive au bout de quelques minutes et demande ce qui se passe, en restant à bonne distance.
Nous contournons Hébron par la route des colons, à l’est de la ville. R. nous montre une colonie israélienne qui jouxte Hébron. En arrivant à Halhul, nous tombons sur un nouveau barrage. Les soldats semblent très tendus. L’un d’eux nous dit qu’il est très dangereux de se promener à pied à cet endroit. La remarque nous fait sourire : après ce que nous avons vu tout au long de la journée, il semble que ce soit d’abord leur présence qui constitue une menace pour la sécurité des Palestiniens."
A suivre...