18 août 2005 - un jalon dans l’histoire de l’Etat d’Israël.
C’est le jour où l’entreprise de colonisation de la Cisjordanie s’est inversée pour la première fois.
Certes, l’activité de colonisation en Cisjordanie se poursuit à plein régime. Ariel Sharon entend enlever les petites colonies de la bande de Gaza afin de consolider les grands blocs de colonies de Cisjordanie.
Mais ceci ne diminue pas la signification de ce qui s’est passé : il a été prouvé que les colonies peuvent être démantelées et doivent être démantelées. Et des colonies importantes ont vraiment été démantelées.
L’entreprise de colonisation, qui est toujours allée de l’avant, seulement de l’avant, de centaines de façons, ouvertes ou déguisées, a fait machine arrière. Pour la première fois. (Yamit et ses colonies n’étaient pas dans Eretz Israel, et donc leur évacuation en 1982 ne constitue pas une cassure idéologique. Mais cette fois-ci, c’est arrivé dans « la terre de nos pères ».)
Un événement historique. Un message pour l’avenir.
C’est le jour où le message du mouvement de paix israélien est finalement passé. Une grande victoire, à tous points de vue.
Certes, ce n’est pas nous qui l’avons fait. C’est un homme très loin de nous. Mais, comme le dit un dicton hébreu : « Le travail des vertueux est fait par les autres. » Les autres signifiant ceux qui ne sont pas vertueux, qui peuvent même être mauvais.
Au début de l’activité de colonisation, lors d’un de mes accrochages avec Golda Meir à la Knesset, je lui ai dit : « Toute colonie est une mine explosive sur la route de la paix. Le moment venu, vous devrez enlever ces mines. Et permettez-moi de vous dire, Madame, en tant qu’ancien soldat, enlever des mines est un travail vraiment très désagréable. »
Si je suis en colère, profondément triste et frustré aujourd’hui, c’est à cause du prix que nous avons payé pour cette monstrueuse « entreprise ». Les milliers de morts à cause d’elle, Israéliens et Palestiniens. Les centaines de milliards de shekels déversés. Le déclin moral de notre Etat, l’abrutissement rampant, l’ajournement de la paix à des dizaines d’années. Colère contre les démagogues de tous poils qui ont commencé et poursuivi cette marche de la folie, à force de stupidité, d’aveuglement, d’avidité, de soif de pouvoir ou de simple cynisme. Colère pour la souffrance et les destructions imposées aux Palestiniens, dont la terre et l’eau ont été volées, dont les maisons ont été détruites et dont les arbres ont été arrachés - tout cela pour la « sécurité » de ces colonies.
J’ai aussi de la sympathie pour le sort des habitants de Goush Katif, qui ont été incités par la direction des colons et les gouvernements israéliens successifs à y construire leur vie - incités soit par une démagogie messianique (« c’est la volonté de Dieu ») soit par des tentations économiques (« une villa luxueuse entourée de gazon, où pourriez-vous trouver cela ailleurs ? »). Beaucoup de gens des communes éloignées du Neguev, frappés par la pauvreté et le chômage, ont succombé à ces tentations. Et maintenant c’est fini, le doux rêve s’est évaporé et ils doivent recommencer leur vie ailleurs, même si c’est avec de généreuses compensations.
Les chaînes de télévision nous ont rendu un grand service quand elles ont rediffusé, entre les scènes d’évacuation, d’anciennes séquences de la fondation de ces colonies. Nous avons réentendu les discours d’Ariel Sharon, de Joseph Burg, de Yitzhak Rabin (oui, lui aussi), de Hanan Porat et d’autres - toute une litanie d’absurdités, de tromperies et de mensonges.
Durant les quelques dernières années, le camp de la paix a été saisi par une sorte de désespoir, de découragement et de dépression. Je le répète : il n’y a pas de raison à cela. A long terme, notre point de vue est gagnant. Maintenant on doit souligner que les Israéliens n’auraient pas soutenu cette opération, et Sharon n’aurait pas pu la mener à bien si nous n’avions pas préparé l’opinion publique en lançant des idées qui étaient très loin du consensus national et en les répétant sans relâche durant des années.
C’est le jour où l’idéologie des colons a fait faillite.
S’il y a un Dieu, Il n’est pas venu à leur secours. Le messie est resté à la maison. Aucun miracle n’est venu les sauver.
De nombreux colons étaient si sûrs qu’un miracle se produirait au tout dernier moment qu’ils n’ont pas pris la peine de faire leurs bagages. A la télévision, on pouvait voir des maisons où le repas préparé était encore sur la table et les photos de famille sur le mur. Des scènes de la guerre de 1948 dont je me souviens bien.
Toutes les fanfaronnades et rodomontades du tandem de dirigeants des colons, Wallerstein et Lieberman (qui me font toujours penser à Rosencrantz et Guildenstern, les deux « traîtres » de Hamlet ») sont parties en fumée. En Israël, les gens ne sont pas descendus en masse dans les rues et n’ont pas fait rempart de leur corps pour bloquer les forces envoyées pour vider les colonies. Les centaines de milliers attendus, y compris les adversaires du désengagement, sont restés chez eux scotchés devant leur télévision. Les refus en masse de soldats d’obéir aux ordres, annoncés et sollicités par les rabbins, n’ont tout simplement pas eu lieu.
Au moment décisif, la réalité que nous connaissions depuis toujours est apparue au grand jour : la secte messianique-nationaliste, les dirigeants des colons, est isolée. Par leur comportement et leur style, ils sont étrangers à l’esprit israélien. Les centaines de colons que l’on a vus dernièrement à la télévision, tous les hommes portant des kippas, toutes les femmes portant de longues jupes, avec leurs danses interminables et leurs dix slogans répétés à l’infini, ressemblent aux membres d’une secte fermée venant d’un autre monde.
« C’est comme si nous n’étions pas un mais deux peuples : un peuple de colons et un peuple qui hait les colons ! » gémissait un rabbin quand sa colonie a été vidée. C’est exact. Dans la confrontation entre les rangées de soldats, qui viennent de toutes les couches de la société, et les rangées de colons, ce sont les soldats qui, dans cette situation unique, représentent le peuple d’Israël, tandis que les colons incarnent le côté négatif du ghetto juif. Les accès incessants de pleurs collectifs, les scènes méticuleusement préparées visant à évoquer des images de pogroms et de marches funèbres, l’évocation monstrueuse du garçon terrorisé avec ses bras levés de la fameuse photo de l’Holocauste - tout cela rappelait un monde dont nous pensions nous être débarrassés quand nous avons créé l’Etat d’Israël.
Au moment de vérité, les dirigeants Yesha ont réalisé qu’aucune partie de la société israélienne ne se levait pour eux, sauf les bandes d’élèves, garçons et filles, des séminaires religieux qu’ils avaient envoyés à Goush Katif. Le chahut qu’ils avaient provoqué sur le toit de la synagogue de Kfar Darom, quand ils ont sournoisement attaqué les soldats, a mis fin à leur espoir de gagner le soutien populaire. Mais même auparavant, les colons avaient perdu la bataille cruciale de l’opinion publique quand leur objectif réel a été dévoilé : imposer par la force un régime basé sur la foi, messianique, raciste, violent, xénophobe, s’isolant du monde.
Mais, plus important, c’est le jour où est née une nouvelle chance de parvenir à la paix dans ce pays torturé.
Une grande opportunité. Parce que la démocratie israélienne a gagné une victoire retentissante. Parce qu’il a été prouvé que les colonies peuvent être démantelées sans que le ciel s’écroule. Parce que les Palestiniens ont une direction qui veut la paix. Parce qu’il a été prouvé que même les organisations radicales palestiniennes cessent le feu quand l’opinion publique palestinienne le demande.
Mais il faut clairement le dire : ce retrait porte en lui un grand danger : si nous nous arrêtons en plein élan, nous tomberons dans l’abîme.
Si, à partir de maintenant, nous ne progressons pas rapidement vers un règlement avec le peuple palestinien, Gaza se transformera en une plateforme pour missiles - comme Benyamin Netanyahou le prédit (ce qui peut bien être une prédiction qui se réalise). Aux yeux des Palestiniens, et du monde entier, le retrait de Gaza est - avant tout - un résultat de la résistance armée palestinienne. Si, dans les prochaines semaines, nous ne faisons aucun progrès vers un accord négocié, une troisième Intifada va sûrement se déclencher et tout le pays s’enflammera.
Nous devons immédiatement entamer de sérieuses négociations en déclarant d’emblée que dans un laps de temps donné l’occupation se terminera avec l’établissement de l’Etat de Palestine. Tous les principaux éléments du règlement sont déjà connus : une solution pour Jérusalem conforme à la proposition Clinton (« Ce qui est arabe appartiendra à la Palestine, ce qui est juif appartiendra à Israël »), retrait sur la Ligne Verte avec un échange négocié de territoires, une solution au problème des réfugiés en accord avec Israël.
C’est le jour qui restera dans l’histoire comme le jour où un grand espoir est né.
Non le commencement de la fin de la lutte pour la paix mais certainement la fin du commencement.
Un petit pas vers la paix, un pas de géant pour l’Etat d’Israël.