C’est un communiqué de Sud Rail daté du 10 avril qui a révélé cette « affaire » datant plus d’un mois. Elle tient en deux questions : le 8 mars dernier, à l’occasion de la visite en France du président israélien Shimon Péres, la SNCF et/ou sa filiale Itiremia ont-elles pris des mesures pour s’assurer qu’aucun personnel musulman ne se chargerait d’accueillir la délégation israélienne en Gare du Nord à Paris ? Et si elles ont bien été prises, ces mesures discriminatoires ont-elle été exigées par les représentants israéliens ?
Les informations données par le syndicat, sur la base de témoignages d’agents, sont précises : la veille de l’arrivée de Péres, le responsable de site (Gare du Nord) aurait expliqué à son personnel qu’il ne fallait « pas de salariés musulmans pour accueillir le Chef d’Etat israélien ». Une consigne confirmée, a posteriori, le 25 mars lors d’une réunion extraordinaire du Comité d’hygiène et sécurité (CHSCT) d’Itiremia durant laquelle le directeur de la filiale (et président du CHSCT), Sébastien Budillon, aurait indiqué que « les critères de choix pour accueillir M. Peres avaient été effectués en fonction de l’apparence des salariés » ; et reconnu avoir opéré un « choix confessionnel ». Suite à ces « aveux », le CHSCT a décidé d’ouvrir une enquête interne dont les résultats n’avaient toujours pas été rendu public mardi 16 avril en fin de matinée. Le communiqué note que, toujours à l’occasion de cette visite, « un des contrôleurs du Thalys, qui est métis, s’est également vu interdire de contrôler la voiture où se trouvait Shimon Péres » et que « un conducteur d’origine maghrebine n’a pas pu aller chercher son train en gare du Nord, car il devait traverser la zone où se trouvait Shimon Péres. »
Autant dire que si tout ou partie de ces faits est confirmé par l’enquête, on se trouve dans un cas caractérisé et gravissime de « discrimination et racisme » comme l’affirme l’intitulé du communiqué de Sud Rail.
Dans un démenti consultable sur son site, la SNCF réfute avoir reçu des consignes de l’Ambassade d’Israël comme cela est évoqué dans le communiqué de Sud et renvoie à l’enquête interne : « SNCF dément les faits rapportés par le communiqué de Sud Rail en date du 10 avril 2013. SNCF n’a reçu aucune demande des services du Président israélien, Monsieur Shimon Peres, ni du Ministère Français des Affaires étrangères relative aux personnels concourant à ce déplacement, et n’a, en aucun cas, émis de telles instructions auprès de son prestataire bagagiste, la société Itirémia. Une enquête interne (CHSCT) à Itirémia est en cours. »
Un démenti qui laisse Monique Dabat, représentante Sud Rail à Paris Nord, contactée par regards.fr, très sceptique : « Honnêtement, ça nous paraît difficile que des services israéliens, quels qu’ils soient, aient eux mêmes fait la démarche de dégoter le prestataire français chargé des bagagistes, et qu’ils l’aient appelé directement sans passer par la SNCF. » Quant à envisager que ces mesures discriminatoires seraient le fruit d’une initiative propre et interne à Itiremia, elle n’ose même pas y penser : « ce serait complètement fou ! » Pour elle, les propos tenus aux salariés sont sans équivoque. « Quand les agents ont demandé pourquoi aucun Noir ni Arabe ne figuraient dans la liste des personnels pour l’accueil de la délégation israélienne, il leur a été répondu que le vrai enjeu était qu’il ne fallait pas de musulmans. » Un « Il ne faut pas » qui s’apparente bien, de fait, à une consigne venue d’en haut. Mais d’où et de qui ?
Joint par regards.fr, la communication de la SNCF refuse d’en dire plus tant que l’enquête n’a pas rendu ses conclusions : « On souhaite que l’éclairage soit fait sur cette affaire. Au niveau du groupe et des filiales, on attend que les règles d’éthique et de déontologie auxquelles nous sommes très attachées soient respectées de la même façon par tous. » La porte-parole interrogée se borne à répéter qu’ « aucune demande » émanant des services israéliens n’a été formulée tout en concédant que « chaque fois qu’une délégation de ce type est annoncée, nous nous renseignons pour savoir si il y a des dispositions spécifiques à prendre pour les services, voitures, les bagagistes, etc. »
Sollicitée par Lepoint.fr, la représentation israélienne à Paris assure de son côté qu’elle n’a formulé aucune exigence particulière à Itiremia en vue de cette visite. Rappelons ici que les autorités israéliennes sont déjà directement intervenues, par le passé, auprès de compagnies étrangères. Ainsi, en avril dernier, plusieurs passagers disposant de passeports européens et participant à l’initiative « Bienvenue en Palestine » avaient été bloqués dans les aéroports de Paris et Genève. Interdit d’accès à bord sur la base des listes de « passagers indésirables » transmises à certaines compagnies (Air france, Lufthansa...) par les services israéliens. Un an après, jeudi 4 avril dernier, Air France a d’ailleurs été condamnée à une amende pour avoir, à l’époque, débarquée à Nice une militante (de l’opération « Bienvenue en Palestine ») d’un avion en partance pour Tel-Aviv au motif qu’elle n’était pas juive...
Des faits bien avérés et qui laissent songeur quand on sait que régulièrement les officines dédiées au « soutien inconditionnel » du gouvernement israélien en France accusent les jeunes des quartiers populaires et les associations du mouvement de solidarité avec la Palestine d’« importer le conflit israélo-palestinien » sur le territoire national.
En attendant les résultats de l’enquête, les salariés d’Itiremia Paris-Nord ont envoyé au directeur de la filiale une déclaration/pétition « pour dénoncer ces pratiques [et lui rappeler que ] Itiremia et la SNCF sont notamment signataires de la Charte de la diversité ». Selon l’Humanité, le secrétaire général de la fédération CGT des cheminots a lui adressé un courrier au président de la SNCF Guillaume Pépy où il demande que tout soit éclairci au plus vite. « C’est l’honneur de notre entreprise qui est engagé », souligne-t-il, notant que si les faits étaient avérés « les valeurs républicaines et la législation française auraient été bafouées volontairement pour répondre à des requêtes racistes et xénophobes ».
Pour mémoire, la visite de Péres à Paris début mars avait entre autre pour motif « un plaidoyer pour la paix, entre les religions juives et musulmanes ».