C. Rubechi avec le groupe de travail prisonniers de l’AFPS - Pal Sol n°73
Depuis le début de l’année universitaire 2019-2020, la répression contre les étudiants dans toute la Cisjordanie occupée s’est accrue. Toutes universités palestiniennes confondues 250 étudiants sont en prison actuellement, et Birzeit, seconde université par ses effectifs, paye un tribut particulier.
74 de ses étudiants sont détenus (dont 6 arrêtés en 2020, mais d’autres arrestations viennent de se produire il y a quelques jours) et certains sous le régime de la détention administrative.
De nombreuses organisations de défense des droits humains ou spécialisées dans l’aide aux prisonniers dénoncent régulièrement les conditions d’arrestation et d’interrogatoires d’étudiants. Ces dernières ont signalé un nombre croissant de cas de tortures avérées. Les périodes d’interrogatoires peuvent durer 75 jours, voire jusqu’à 90.
Un porte-parole de l’armée israélienne a indiqué que dans certains cas était appliqué l’ordre militaire spécial dit « gag order » interdisant toute mention du prisonnier dans toutes les communications publiques tant que le Shin Bet, agence de sécurité intérieure d’Israël, poursuivait ses interrogatoires.
Le cas de Mays Abu Ghosh, arrêtée le 20 août 2019, est particulièrement représentatif des pratiques mises en œuvre par les services de répression israéliens, en particulier dans le centre d’interrogatoire spécialisé d’Al-Moscobiyeh.
Contrainte de rester des heures dans des positions douloureuses, véritables tortures (accroupie en position « squat » ou en « banane » – attachée par les bras aux pieds d’un tabouret, allongée et cambrée), elle a été battue à plusieurs reprises. Elle n’a pas été autorisée à voir son avocat durant les 25 premiers jours de son arrestation. La détérioration de son état de santé n’a pas empêché le tribunal militaire de prolonger à plusieurs reprises les séances d’interrogatoires.
Elle a été condamnée récemment à 18 mois de prison et à des amendes diverses pour des faits et activités uniquement liés à son action dans les structures étudiantes de son université.
Qsama Al-Fakhouri a été arrêté le 2 juillet 2019. Il a été frappé par les soldats et mordu par un chien lors de son arrestation. Son interrogatoire a duré 55 jours. Initialement privé de soins médicaux il n’a vu son avocat qu’après 40 jours de dé- tention durant lesquels il a été soumis aux « positions douloureuses » lors de séances d’interrogatoires ayant duré jusqu’à 20 heures par jour.
Il a été soumis au test polygraphique (« détecteur de mensonges »). Il souffre toujours de séquelles graves de ces interrogatoires.
Au centre d’interrogatoire d’Al-Moscobiyeh, de sinistre réputation, ont été interrogés pour la période récente notamment Abd Al Majeed Hasan, Oday Al Khateeb, Yahya Rummana et Ahmad Abu Kuweik,, empêchés de voir leurs avocats durant leurs périodes d’interrogatoires.
Ribhi Karajah a été arrêté en août 2019 et soumis à interrogatoire durant 104 jours. Il a subi isolement cellulaire, coups, positions douloureuses durant de longues heures, interrogatoires continus durant de longues périodes, sans possibilité de voir un avocat.
Citons aussi Mohammed Hassan, secrétaire du comité des finances du conseil étudiant à Birzeit, Shatha Hassan, sa sœur, placée en détention administrative, Abdel-Rahman Misbah, coordinateur du bloc islamique sur ce campus, Izz Shabaneh, Mehdi Karajeh, Basil Barghouthi, tous trois enlevés le 21 mai 2020, Yahya Al-Qarout enlevé il y a quelques jours, étudiant à Birzeit comme Leanne Khayed enlevée très récemment lors d’un contrôle routier par des militaires israéliens et dont la famille alerte les services de la Croix-Rouge internationale pour avoir des nouvelles.
Même quand les associations étudiantes ne sont pas classées « organisations terroristes » par les services israéliens, les étudiants qui y participent peuvent être jugés et condamnés pour les motifs les plus divers tels que connexions ou affinités politiques et idéologiques avec des partis palestiniens, démonstration d’une danse traditionnelle folklorique, appartenance au groupe progressiste démocratique étudiant de l’Université de Birzeit, collaboration au département de journalisme de cette université, rencontre avec des activistes libanais durant une conférence…
Le risque pour des activités culturelles, bénévoles (ainsi durant la saison de récolte des olives), la vente de livres, la projection de films, l’organisation de réunions, de discussions, notamment au moment des élections annuelles sur le campus, se concrétise souvent par des menaces, des mises en détention pour interrogatoire, voire des condamnations.
Enlevés à leur domicile dans des conditions de brutalité totale par des unités spéciales travaillant sous couverture (mista’revim), kidnappés sur les campus et parfois avec usage d’armes à feu lors de raids israéliens (ainsi pour le cas d’Omar Kiswani en 2018, alors président du Conseil étudiant), condamnés et éventuellement malades ou blessés à la suite de leurs périodes de détention, des étudiants sont soignés à « l’hôpital » de la prison de Ramleh, comme nombre de prisonniers non étudiants… Ramleh est baptisée « slaughterhouse » (l’abattoir) en Palestine.
D’autres universités palestiniennes sont visées. Celle d’Al-Qods par exemple, où les arrestations sont moins nombreuses, mais les raids militaires sur le campus fréquents.
Il est vrai que cette université est très proche de Jérusalem, à proximité du mur…
Le message israélien est clair, toute réflexion, toute participation à des activités collectives universitaires, toute expression de la culture palestinienne, a fortiori toute réflexion politique voire simplement citoyenne, est susceptible d’entraîner une période de détention et donc d’interruption des études, des interrogatoires, qui peuvent se dérouler dans les conditions rappelées, voire une lourde condamnation pour « mise en danger la sécurité d’Israël », « crimes et activités hostiles et terroristes ».
Les enseignants ne sont pas exempts de ces risques : Widad Barghouti, professeure de médias à l’université de Birzeit, vient de voir un étage de sa maison familiale démoli par un bulldozer ce 11 mai. Elle avait été détenue en septembre 2019 et sa famille avait été informée de l’ordre de démolition.
Les cas de refus de visas pour des enseignants, des invités étrangers, sont fréquents (aucun visa n’a été délivré pour l’année universitaire 2018-2019).
Ubai Al-Aboudi, chercheur palestino-américain arrêté alors qu’il devait participer à une réunion internationale sur la science en Palestine, placé en détention administrative depuis le 12 janvier 2020, vient d’être condamné à 12 mois de prison malgré les appels internationaux pour obtenir sa libération.
Réprimer durement toute expression politique, voire citoyenne, décourager, perturber le déroulement des parcours d’études, pousser les étudiants à partir pour l’étranger, appauvrir les liens avec les milieux académiques étrangers… autant d’aspects du contrôle israélien sur les universités palestiniennes.
Birzeit a vu passer nombre de dirigeants palestiniens (Marwan Barghouthi, emprisonné depuis plus de 25 ans, Khalida Jarrar, militante pour la défense des prisonniers politiques palestiniens et féministe, tous deux membres du conseil législatif et figures de la résistance palestinienne, l’actuel Premier ministre, et bien d’autres…). De longue date c’est un des centres de la vie, intellectuelle et culturelle palestinienne.
Les organisations étudiantes y sont traditionnellement actives et Birzeit était déjà un foyer de résistance à l’occupation lors des Intifada. Elle est très représentative du spectre politique palestinien tout entier, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’OLP. Comme d’autres d’universités palestiniennes elle paye un lourd tribut pour sa résistance à la « normalisation » israélienne.
Est-il même utile de citer l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et au droit à l’éducation, ratifié par l’Assemblée générale de l’ONU le 16 décembre 1966 ? Ou l’article 26 de la déclaration universelle des droits de l’Homme affirmant le droit à l’éducation pour tous ? Alors que des milliers de prisonniers politiques palestiniens croupissent en détention, qu’enfants et mineurs sont condamnés par centaines, que les grèves de la faim massives pour des conditions de détention décentes se succèdent, que la privation des droits de visites familiales, des visites d’avocat, les cas de tortures avérés et de négligences médicales systématiques, les actions de représailles à l’encontre des familles de détenus se banalisent ?
Même si la répression des milieux universitaires n’est pas l’aspect le plus grave des politiques israéliennes, il ne faut pas sous-estimer le rôle de cette jeunesse palestinienne, maintenant comme pour demain, éduquée dans un environnement où le rôle des partis politiques est affaibli.
La France a contribué à la construction de l’Université internationale de Birzeit qui compte actuellement 900 professeurs et membres du personnel administratif et plus de 10 000 étudiants, dont près de 7 000 étudiantes.
La France se tait devant cette répression, cet étouffement de la culture, du droit impératif à l’éducation. Comme elle se tait sur le véritable sociocide qui menace le peuple palestinien, comme elle se tait sur l’occupation, sur la négation des droits d’un peuple. Mais dira-t-on que son silence sur la répression qui frappe les universités palestiniennes est particulièrement affligeant ?
Bâillonner les étudiants et cibler les institutions éducatives et académiques palestiniennes c’est saper la société palestinienne tout entière.