Peu après son entrée en fonction en 2014, Federica Mogherini a rendu visite à Benjamin Nétanyahou. Elle a assuré au Premier ministre israélien qu’il pouvait « compter sur l’Union européenne » pour prendre un « nouveau départ ».
Elle n’avait pas précisé alors ce qu’elle voulait dire par là, mais elle a modifié – et pas en mieux – les relations internationales.
Sous sa direction, l’Union européenne a adopté un discours encore plus lénifiant sur les graves violations des droits de l’homme.
En février 2001, la position officielle de l’UE était de « déplorer » les assassinats ciblés dont Israël se rendait coupable. Mais après le dernier assassinat ciblé commis par Israël en novembre 2019, l’équipe de la Haute-Représentante de la politique étrangère de l’Union européenne a simplement parlé d’une « opération » sans exprimer la moindre critique.
La dite « opération » a causé la mort du commandant du Djihad islamique Baha Abu al-Ata et de son épouse. Le refus de l’équipe de Federica Mogherini de dénoncer l’acte manifestement illégal d’Israël, revenait en fait à l’approuver.
Caresses et cajoleries
Federica Mogherini a maintenu un contact régulier avec les principaux politiciens israéliens au cours des cinq dernières années. Lorsque le Likoud de Nétanyahou est sorti vainqueur des élections de 2015, elle s’est empressée de le féliciter, rappelant à cette occasion qu’elle considérait les relations d’Israël avec l’Union européenne comme « mutuellement bénéfiques ».
Cajoler de la sorte l’État d’apartheid témoigne d’un grand mépris pour les Palestiniens qui réclament justice et égalité.
La meilleure expression de leurs aspirations est sans doute l’appel palestinien de 2005 au Boycott, Désinvestissement et Sanctions [BDS] d’Israël. Mais après un entretien avec Nétanyahou en 2016, Federica Mogherini a exprimé son « ferme rejet » du BDS.
Pour être tout à fait juste, elle a parfois dit la vérité.
En 2017, le parlement israélien, la Knesset, a approuvé un projet de loi visant à « régulariser » le vol de terres palestiniennes, en reconnaissant officiellement les colonies de peuplement en Cisjordanie occupée, jusqu’alors jugées illégales même par Israël.
Federica Mogherini a alors formulé une critique inhabituellement franche. Si la loi entrait en vigueur, elle « enracinerait davantage la réalité d’un État unique aux droits inégaux », a-t-elle regretté.
Pour une fois, elle identifiait nommément le problème à résoudre.
Une boussole morale ?
Au niveau de la base, de nombreux Palestiniens cherchent à faire évoluer la « réalité d’un État unique aux droits inégaux » vers celle d’un seul État qui garantisse l’égalité à tous.
Bien que la Haute-Représentante de la politique étrangère de l’Union européenne a exposé la vraie nature du problème, elle a continué à traiter par le mépris ceux qui cherchaient à y mettre fin.
Plutôt que de plaider en faveur d’une véritable égalité, elle a préconisé une solution à deux États qui, selon toute probabilité, ne donnerait aux Palestiniens la souveraineté que sur tout petit morceau de leur patrie historique. Federica Mogherini a insisté sur le fait qu’« il n’y avait pas d’alternative » à une solution à deux États.
En parlant récemment de son mandat, elle a déclaré :
Je suis fière que nous, Européens, n’ayons jamais perdu notre boussole et que nous ayons toujours travaillé pour préserver et permettre une solution négociée à deux États pour Israël et la Palestine.
Heureusement qu’elle n’a pas parlé de « boussole morale » car la position de l’UE sur ces questions clés est profondément immorale.
Depuis le 30 mars 2018, Israël a attaqué à plusieurs reprises les Gazaouis qui participaient à la Grande Marche du retour. Lorsque des manifestants ont été tués, l’équipe de Mogherini a laissé entendre qu’ils étaient responsables de leur propre mort.
Les déclarations de son équipe suggéraient que, si de manifestants avaient été abattus, c’est parce qu’ils étaient violents.
Elles passaient sous silence des éléments de contexte cruciaux, comme le fait que les pierres lancées par les manifestants ne sont en rien comparables aux balles explosives ou aux grenades lacrymogènes tirées à grande vitesse par des tireurs d’élite israéliens.
D’ailleurs, depuis quand jeter une pierre sur un soldat lourdement armé est devenu un délit passible de la peine de mort ?
Euphémismes
Une population sous occupation militaire a le droit de résister selon l’ONU. Mais apparemment, elle ne veut pas le savoir.
Le « nouveau départ » dont elle parlait s’est traduit par une frénésie d’euphémismes.
Ce n’est plus à la mode, selon elle, de qualifier la situation à Gaza de siège ou de blocus. Elle préfère utiliser le mot de « fermeture ».
L’exquise courtoisie de Mogherini et son équipe avec Israël n’a pas d’égal ; dans leurs déclarations, les fonctionnaires européens lui demandent de bien vouloir « reconsidérer » les démolitions prévues de maisons palestiniennes.
L’année dernière, ils ont même « espéré » qu’Israël « reviendrait » sur des décisions qui allaient chasser les Palestiniens de Cisjordanie occupée. Évidemment, il n’y avait pas la moindre menace de sanction si Israël ne tenait pas compte de la frileuse demande de l’UE.
Le successeur de Mogherini au poste de Haut-Représentant de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, sera peut-être plus franc : lorsqu’il était ministre espagnol des Affaires étrangères, il n’a pas dansé de joie quand Israël a célébré le 70e anniversaire de sa création en mai 2018.
Dans le quotidien italien La Republicca, il a rappelé que les célébrations étaient « ensanglantées » parce qu’Israël avait commis un massacre à Gaza quelques jours auparavant. [1]
Josep Borrell se comportera-t-il différemment de Federica Mogherini lorsqu’il prendra ses nouvelles fonctions ?
Son aptitude antérieure à dénoncer Israël ne fait pas de lui un vaillant défenseur des droits de l’homme. Il a fait partie d’un gouvernement qui a essayé d’écraser brutalement le mouvement indépendantiste catalan.
Il a même émis de fausses allégations contre des personnalités éminentes de ce mouvement. Il est même allé jusqu’à publier un document classifié pour tenter de salir une de ses personnalités.
Être ministre des Affaires étrangères de l’Espagne n’est pas la même chose que représenter l’UE, qui compte aujourd’hui 28 pays. Collectivement, leurs gouvernements ont toujours plié devant Israël.
Josep Borrell pourrait introduire quelques petits changements, mais il est très probable que la complaisance de l’UE envers Israël ne prendra pas fin. Il est donc vital que les Européens ordinaires fassent ce que les dirigeants politiques ne feront pas : boycotter et isoler Israël.
*David Cronin est le correspondant de l’agence de presse Inter Press Service. Né à Dublin en 1971, il a écrit pour diverses publications irlandaises avant de commencer à travailler à Bruxelles en 1995.
Traduction Chronique de Palestine