Le 3 novembre dans l’après-midi,
des militants de l’AFPS apprenaient
qu’un des leurs venait
d’être blessé par balle réelle lors de la
87e de ces manifestations non-violentes
de Bil’in qui ont commencé fin février
2005.
José Gendrot et sa compagne Paulette
étaient arrivés la semaine précédente à
Halhul où ils comptaient demeurer trois
semaines, le temps de la cueillette des
olives. Halhul est une bourgade agricole
au nord d’Hébron, menacée d’être
prise en tenaille par deux colonies israéliennes
particulièrement expansionnistes.
Le groupe rennais y envoie depuis plusieurs
années des volontaires au moment
de la cueillette des olives ; il s’agit de
protéger les paysans face aux colons
agressifs, afin de leur permettre de récolter
leurs olives, et d’affirmer leur présence
sur leurs terres pour leur éviter
de devenir des « terres abandonnées »
selon la loi israélienne.
Le 3 novembre, José, sa compagne et
d’autres militants sont partis de Halhul
pour participer à la manifestation de Bil’in,
en accord avec le Comité de défense de
la terre d’Hébron - le partenaire local de
l’AFPS.
PLP : Comment les choses se sont déroulées
à Bil’in ce vendredi 3 novembre ?
José Gendrot : Nous étions dix membres
du groupe rennais basés à Halhul à avoir
pris alors le chemin de Bil’in. Lorsque nous
sommes arrivés, il y avait déjà une vingtaine
d’Israéliens, une quarantaine d’Occidentaux
(Américains, Français, Belges notamment)
parmi lesquels plusieurs membres du Conseil
Oecuménique des Eglises [1]. Avec les Palestiniens,
nous étions à peu près cent. Des
membres du Comité populaire de Bil’in nous
ont donné un certain nombre de consignes
et rappelé le caractère pacifique de la manifestation
; puis le cortège s’est mis en branle.
Comme nous nous approchons du premier
obstacle - des rouleaux de fil de fer barbelé -
les grenades lacrymogènes se mettent à pleuvoir.
Certains s’arrêtent, aveuglés par les larmes
ou asphyxiés, d’autres continuent à avancer,
parviennent à se glisser sous les barbelés et
à s’approcher des soldats israéliens. Ces derniers
interrompent leurs tirs de gaz lacrymogènes
pour ne pas en être eux-mêmes victimes.
Un sit-in plus ou moins houleux se met
en place, ponctué de slogans : plusieurs manifestants
tentent de dialoguer en hébreu ou en
anglais avec les soldats, sans grand succès.
La coordination et la cohésion des manifestants
étant excellente, aucune interpellation n’est à
déplorer. Mais des grenades assourdissantes
sont lancées en direction des manifestants
demeurés en arrière.
Au bout d’une demi-heure, les manifestants qui
font face aux soldats conviennent avec eux
qu’ils vont à nouveau franchir les rouleaux de
barbelé ; tout le monde se dirige vers un point
de ces barbelés où les soldats ouvrent un passage.
Mais tout va se gâter très vite, une fois la manifestation
terminée. Alors que nous nous rapprochons
du village, des coups de feu se font
entendre de temps à autre. S’agit-il de tirs de
gaz lacrymogènes ou de balles en caoutchouc ?
Les organisateurs de la manifestation nous
demandent de rester groupés pour notre sécurité,
tout en nous invitant à placer derrière
nous, sur la route, de grosses pierres destinées
à ralentir les véhicules militaires israéliens.
Le groupe dans lequel je me trouve aborde le
village lorsqu’un organisateur nous invite à
nous abriter dans une des premières maisons ;
une jeep, qui tourne autour d’un pâté de maisons
vingt mètres plus loin, reçoit des volées
de pierres et répond par des tirs nourris. La
maison dans laquelle nous entrons abrite déjà
une dizaine de personnes, en plus de la famille
affolée ; le père et la mère prient et nous pensons
qu’un de leurs enfants est dehors. Subitement
la jeep manoeuvre bruyamment et se
colle à la porte de la maison, tout en tirant en
direction des jeunes ; puis elle repart à leur poursuite,
en laissant sur place des douilles qui ne
correspondent pas à des balles en caoutchouc.
Tout le monde sort, d’autres prennent des
photos, dont moi. La jeep en a rejoint une
autre, 50m plus loin, et les tirs continuent de
plus belle. Je ressens tout d’un coup une vive
douleur au poignet d’où le sang se met à gicler.
Trois Palestiniens, dont un membre du Croissant
rouge, m’entraînent alors vers une ambulance
qui prend la route de Ramallah. Une
jeune femme israélienne et son ami m’accompagneront
jusqu’à l’hôpital.
PLP : Comment cela s’est-il passé à l’hôpital
de Ramallah ?
J.G. : On me fait une piqûre antitétanique et
une piqûre antidouleur, ainsi qu’une radio qui
montre une fracture du radius. Et on m’apprend
que j’ai été touché par une balle réelle qui est
entrée dans mon poignet et est ressortie 15 cm
plus loin, à la hauteur du coude. La position
de mon bras à ce moment précis a empêché
la balle de prendre un autre chemin... On me
pose un demi-plâtre et, le bras en écharpe, je
dois revenir trois jours plus tard : mon bras
sera alors plâtré pour au moins huit semaines.
PLP : Le consulat français de Jérusalem
vous a-il aidé ?
J. G. : Il m’a effectivement offert son
concours, tant économique que diplomatique.
Nous sommes convenus qu’ils nous
ferait assister ma compagne et moi lors de
notre départ de l’aéroport de Tel-Aviv. Nous
avons, depuis, entrepris des démarches juridiques
et envisageons un procès.
Propos recueillis par Christiane Gillmann le 30/11/2006.