Depuis l’horrible attaque menée par le Hamas contre le sud d’Israël le 7 octobre 2023, nous entendons chaque jour de plus en plus de crimes et d’atrocités qui auraient été impensables dans un passé pas si lointain. Des dizaines de milliers de civils tués, des quartiers entiers anéantis, plus d’un million de personnes transformées en réfugiés d’un coup d’un seul coup, des civils pris en otage et utilisés comme monnaie d’échange. En Cisjordanie, la violence des colons s’intensifie, une expulsion massive des communautés palestiniennes est en cours, et la violence des forces armées israéliennes est endémique. D’innombrables catastrophes d’origine humaine que l’esprit ne peut supporter et que le cœur ne peut contenir. Au milieu de cette réalité tragique, les mécanismes de l’État subissent des changements systémiques terrifiants, dans le cadre d’une exploitation cynique de la perte, de la peur et de la vengeance qui envahissent le pays.
Le présent rapport concerne le traitement des prisonniers palestiniens et les conditions inhumaines auxquelles ils sont soumis dans les prisons israéliennes depuis le 7 octobre. B’Tselem a recueilli les témoignages de 55 Palestiniens incarcérés dans des prisons et des centres de détention israéliens pendant cette période. Trente des témoins sont des résidents de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est ; 21 sont des résidents de la bande de Gaza ; et quatre sont des citoyens israéliens. Ils ont parlé à B’Tselem après avoir été libérés de détention, la grande majorité d’entre eux sans avoir été jugés. Leurs témoignages mettent en lumière une politique institutionnelle systémique axée sur les abus et la torture de tous les prisonniers palestiniens. Il s’agit notamment d’actes fréquents de violences graves et arbitraires, agressions sexuelles, humiliations et dégradations, privation délibérée de nourriture, insalubrité forcée, privation de sommeil, interdiction du culte religieux et mesures punitives qui s’y rapportent, confiscation de tous les biens communaux et personnels, et refus d’un traitement médical adéquat. Ces descriptions apparaissent à maintes reprises dans les témoignages, avec des détails horribles et des similitudes effrayantes. Les témoignages des prisonniers mettent à nu les résultats d’un processus précipité au cours duquel plus d’une douzaine d’établissements pénitentiaires israéliens, tant militaires que civils, ont été transformés en un réseau de camps dédiés aux abus des détenus. Ces espaces, dans lesquels chaque détenu est intentionnellement condamné à une douleur et une souffrance sévères et incessantes, fonctionnent en fait comme des camps de torture.
Au fil des ans, Israël a incarcéré des centaines de milliers de Palestiniens dans des prisons qui ont toujours servi, avant tout, d’outil d’oppression et de domination de la population palestinienne. Les histoires présentées dans ce rapport sont l’histoire de milliers de Palestiniens, résidents des territoires occupés et citoyens d’Israël, qui ont été arrêtés depuis le début de la guerre, ainsi que des Palestiniens qui étaient déjà en prison le 7 octobre et qui ont subi l’augmentation massive de l’hostilité des autorités pénitentiaires depuis ce jour.
Juste avant le début de la guerre, le nombre total de Palestiniens incarcérés par Israël et classés comme « prisonniers de sécurité » était de 5 192, avec environ 1 319 détenus sans procès en tant que « détenus administratifs ». Au début du mois de juillet 2024, il y avait 9 623 Palestiniens incarcérés dans les prisons et les centres de détention israéliens, dont 4 781 étaient détenus sans procès, sans avoir été informés des accusations portées contre eux et sans avoir accès au droit de se défendre. Dans les mois qui ont suivi le début de la guerre, des milliers d’autres Palestiniens ont été arrêtés, détenus pour des périodes plus ou moins longues et libérés sans inculpation.
Les circonstances et les prétextes de l’arrestation varient. Parmi les prisonniers, hommes et femmes, se trouvent des médecins, des universitaires, des avocats, des étudiants, des enfants et des dirigeants politiques. Certains ont été emprisonnés simplement pour avoir exprimé leur sympathie pour les souffrances des Palestiniens. D’autres ont été placés en détention pendant les opérations militaires dans la bande de Gaza, au seul motif qu’ils relevaient de la définition vague d’« hommes en âge de combattre ». D’autres encore ont été emprisonnés parce qu’on les soupçonnait, avec ou sans preuves, d’être des agents ou des sympathisants d’organisations palestiniennes armées. Les prisonniers représentent un large éventail de personnes issues de différentes régions et ayant des opinions politiques variées. Leur seul point commun est d’être Palestiniens. Ces personnes se sont retrouvés sur le chemin de la détention, menottés et les yeux bandés, pour une durée inconnue.
La réalité décrite dans les témoignages des prisonniers ne peut s’expliquer que comme le résultat de la déshumanisation permanente du collectif palestinien dans la perception du public israélien. Ce processus, en cours avec une intensité variable depuis la Nakba et la création de l’État d’Israël, est devenu si fermement ancré depuis la guerre qu’il est désormais prévalent et accepté dans le discours public israélien. Les appels par des personnalités publiques et des hommes politiques au génocide et à l’expulsion massive des Palestiniens sont devenus monnaie courante. Les médias israéliens reprennent et normalisent ces discours incendiaires et ne parlent que très peu des victimes palestiniennes, tandis qu’une grande majorité d’Israéliens juifs se montre indifférente au meurtre de dizaines de milliers de civils dans la bande de Gaza et des centaines en Cisjordanie. Dans ce climat social, les mauvais traitements infligés aux prisonniers palestiniens sont tolérés, voire salués.
Traduction : AFPS