La plus ardente opposante à Israël au Congrès vient du Minnesota. Elle a passé des années à parler des violations des droits de l’homme dans le monde, en s’intéressant notamment à celles commises en Israël.
Ce n’est pas la députée Ilhan Omar, qui a été la cible de critiques pour les interventions qu’elle a faites sur Israël. C’est sa collègue : Betty McCollum.
Cette année, celle qui est élue du Quatrième District du Minnesota, a déposé la seconde version d’un projet de loi qui vise à interdire l’utilisation par Israël de crédits militaires américains pour maintenir des enfants palestiniens en détention : la loi dite de Défense des Droits Humains des Enfants Palestiniens Vivant sous Occupation Militaire Israélienne ou loi H.R. 2407.
Comme la plupart des membres du Congrès, Betty McCollum soutient Israël en tant qu’allié essentiel des États-Unis. Pourtant, elle se distingue de ses collègues représentants au Congrès par sa critique constante et véhémente des violations par les Israéliens des droits humains — et pour avoir pris des mesures législatives pour tenter d’y remédier.
La détention d’enfants
Depuis 2000, plus de 10 000 enfants palestiniens sont passés dans les prisons israéliennes. Depuis 2013, le Département d’État américain a adressé des informations sur les violations des droits de l’homme à l’encontre des mineurs palestiniens dans les prisons israéliennes à de nombreuses instances.
Le projet de loi de McCollum, citant ces rapports du Département d’État, note que le rapport de 2016 montre « un accroissement significatif des détentions de mineurs » et met « en lumière l’usage répété de la détention administrative » à l’encontre de Palestiniens, y compris des enfants, « une pratique par laquelle un détenu peut être maintenu en détention indéfiniment, sans inculpation ni jugement, par ordre d’un officier de l’armée ou d’un autre responsable gouvernemental ».
Des organisations comme le Fonds des Nations Unies pour les Enfants (UNICEF), Human Rights Watch (Observatoire des Droits de l’Homme), et Amnesty International sont toutes parvenues aux mêmes conclusions.
Le chef de l’équipe de McCollum, Bill Harper, explique que la raison du projet de loi est simple : « Ces violations des droits de l’homme sont perpétrés par le gouvernement israélien. Voilà la raison. Point. »
De façon globale, les États-Unis fournissent actuellement à Israël 3,5 milliards d’euros par an au titre de l’aide militaire. Le projet de loi de McCollum ne prévoit pas la suppression de ce financement mais veut empêcher que cet argent soit utilisé pour détenir des enfants palestiniens.
Une partie de notre philosophie en matière de politique étrangère est que la réussite et le bien-être d’une nation sont en partie dictés par la manière dont les enfants sont traités. Donc, lorsque cette question a été soulevée et puisque nous considérons qu’il s’agit d’une violation manifeste des droits de l’homme et des droits humains de l’enfant, c’est ce qui nous a incités à agir ainsi.
Cette insistance a recueilli l’approbation d’au moins 26 associations axées sur la défense des droits de l’homme, parmi lesquelles Jewish Voice for Peace.
« Les enfants palestiniens, comme tous les enfants, ne devraient jamais être trainés en pleine nuit hors de chez eux par des soldats en armes, privés de contact avec leur famille, et détenus dans des prisons militaires où ils sont souvent maltraités et violentés », estime Beth Miller, responsable des affaires gouvernementales à Jewish Voice for Peace. « L’argent de nos impôts ne devrait pas servir à financer ces violences généralisées. En déposant le projet de loi H.R. 2407, la Congressiste McCollum contribue à créer les conditions favorables à la justice et à l’égalité ».
Si le projet de loi de McCollum est populaire auprès de ses partisans, il l’est moins auprès au Congrès. Il n’a obtenu que 21 co-signataires à la Chambre.
2006 et après
Se retrouver en petite minorité au Congrès à critiquer la politique israélienne est une situation habituelle pour Betty McCollum.
Elle a été l’une des seulement 37 membres du Congrès à avoir voté contre la loi Contre le Terrorisme Palestinien de 2006, qui a imposé des sanctions sévères à la Palestine et qualifié les territoires contrôlés par l’Autorité Palestinienne de « sanctuaire terroriste ».
En tant que membre de la Commission des Affaires Étrangères de la Chambre, elle s’est opposée au retrait de la commission du projet de loi. Et elle a clairement expliqué son raisonnement en disant que le projet de loi « imposerait tellement de restrictions aux Palestiniens, et tellement de restrictions à la capacité de l’administration à traiter avec les Palestiniens, que même le Département d’État s’y est opposé. »
La même année, quand un bénévole de l’ AIPAC a fait pression sur elle, elle a raconté qu’on lui avait dit que le « soutien aux terroristes » de la part de son secrétariat ne serait plus toléré, quelque chose qu’elle a pris très au sérieux (ledit bénévole a contesté la version des faits de la députée).
« Pendant les dix-neuf années où j’ai exercé une fonction élective, dont cinq dernières années en tant que représentante au Congrès, jamais mon nom ni ma réputation n’ont été calomniés comme ils l’ont été la semaine dernière par un représentant de l’AIPAC », a écrit McCollum dans la New York Review of Books en 2006, en demandant des excuses de la part de l’association. Elle n’en a jamais reçu publiquement.
Plus récemment, Betty McCollum a aussi été l’une des 17 seulement à voter « non » à la résolution du Représentant de l’Illinois, Bradley Schneider, s’opposant au Mouvement Mondial de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), un mouvement qui a pour but d’exercer une pression politique sur Israël par une stratégie comme le boycott des produits israéliens.
Sa connaissance du traitement des enfants palestiniens par les autorités israéliennes ne vient pas de nulle part. Elle a diffusé la première version du projet de loi en 2017 mais avant cela, en 2015, elle avait coordonné l’envoi d’une lettre sur les mauvais traitements des enfants palestiniens, cosignée par 18 autres collègues, à John Kerry, alors Secrétaire d’État.
« Il ne pourrait y avoir de démonstration plus claire de l’engagement américain envers Israël que les plus de 3 milliards de dollars de l’argent des contribuables américains qui sont investis chaque année pour assurer la sécurité des Israéliens », a-t-elle écrit. « Cependant, respecter et défendre les droits humains des enfants, sans considération d’origine ethnique, de race, de religion ou de nationalité, est une valeur américaine fondamentale, ainsi qu’une priorité pour tous les Américains, qui ne peut pas être négligée ».
Israël et l’antisémitisme
Malgré sa critique constante de la politique israélienne, Betty McCollum a fait l’objet de peu d’attention par rapport à Ilhan Omar, dont les brèves déclarations dominent souvent le cycle de l’actualité pendant plusieurs semaines.
Une partie de cette attention vient du moment où elle a décrit sa perception de l’influence israélienne sur la politique américaine comme « tout sur les Benjamins ». Une déclaration condamnée par un multitude d’associations juives comme étant enracinée dans un stéréotype antisémite. Ilhan Omar s’est excusée.
Excuses mises à part, les Républicains, dont le président Donald Trump, se sont mis à qualifier fréquemment Omar d’« antisémite ». En avril, plusieurs Républicains de la Chambre ont rédigé une résolution pour condamner de façon explicite les observations d’Omar. Pour attirer l’attention sur la résolution, le Représentant du Texas, Louie Gohmert, a organisé une conférence de presse dans laquelle un intervenant a décrit Ilhan Omar et la Représentante du Michigan, Rashida Tlaib, (les premières et deux seules Musulmanes du Congrès) comme des « Congressistes djihadistes ».
La résolution critique Ilhan Omar pour avoir déclaré : « Attirer l’attention sur le régime israélien d’apartheid n’est pas, loin s’en faut, haïr les Juifs ». Betty McCollum et des associations juives progressistes, comme Jewish Voice for Peace ont aussi utilisé le mot d’« apartheid » en référence à la situation en Israël.
« Au cours de ses presque deux décennies au Congrès, la Représentante McCollum a fréquemment et véhémentement critiqué la politique d’Israël et son traitement des Palestiniens et, alors qu’elle a recueilli les critiques de la droite juive pro-israélienne, elle est loin de s’être attirée la colère qu’a subie Ilhan Omar pendant son bref séjour au Congrès », a déclaré Libi Baehr, qui s’occupe de la communication de la section de Minneapolis/Saint-Paul de IfNotNow, une association progressiste juive nationale qui s’oppose à l’occupation par Israël de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza.
« Ces réponses disparates ont beaucoup moins à voir avec la lutte effective contre l’antisémitisme qu’elles n’ont à voir avec l’islamophobie, le racisme et la xénophobie. Omar fait face à un plus haut degré de surveillance parce qu’elle est noire, immigrante et musulmane ».
Des accusations semblables ont été formulées à l’égard de celui qui l’a précédée, Keith Ellison, lui aussi noir et musulman.
Pour la sénatrice Sandy Pappas, membre du Democratic-Farmer-Labor Party qui habite le district de Betty McCollum, la raison pour laquelle Ilhan Omar a été l’objet de tant de surveillance se situe quelque part entre la langue et l’identité :
(Omar) n’a rien dit que la Représentante McCollum n’ai dit. Je pense que c’est davantage parce qu’elle est nouvelle, parce qu’elle est musulmane, parce que c’est une femme de couleur. Et les débutantes sont censées se taire et faire attention à leurs aînés. Je pense qu’elle pourrait être un peu plus prudente dans ses déclarations, mais ce n’est pas son genre. Elle dit la vérité au pouvoir.
Sandy Pappas aussi a réagi contre l’idée que toute critique d’Israël est par nature antisémite.
« Les Israéliens ne sont pas monolithiques. Les Juifs américains ne sont pas monolithiques non plus dans la façon dont ils considèrent le Moyen-Orient. Je me sens un peu frustrée du fait qu’à chaque fois que quelqu’un critique Israël il soit rangé parmi les antisémites. »
Sandy Pappas, qui a de la famille en Israêl et qui s’y rend souvent, a déclaré que Betty McCollum défend la paix dans la région de façon inébranlable.
Je soutiens sa loi. Je pense seulement que nous devons être inquiets de la façon dont notre pays traite les enfants migrants à la frontière, et que le gouvernement israélien doit assumer la responsabilité de la façon dont il traite les enfants palestiniens. Donc j’y vois vraiment un parallèle. Je pense qu’il est tout a fait bien que des gens et des Juifs - des législateurs juifs - critiquent le gouvernement israélien quand cela est approprié.
Le projet de loi est un vecteur
Les perspectives du projet de loi de McCollum sont incertaines. La première fois qu’elle a présenté le projet de loi, en 2017, il a eu 30 co-auteurs. Cette fois il n’en a que 21.
Le Représentant Seth Moulton, qui est maintenant candidat à la présidence, a retiré son soutien par une longue déclaration qui reconnaît la détention des enfants palestiniens mais qui avance que le nouveau projet de loi est trop large dans son mécanisme d’application. La Représentante du Connecticut, Rosa De-Lauro, a retiré sa signature du projet de loi au début du mois dernier après avoir déclaré que son secrétariat l’a signé de façon malencontreuse.
Mais le projet de loi a aussi de nouveaux soutiens, comme la Représentante Alexandra Ocasio-Cortez de New York, le Représentant Chuy Garcia de l’Illinois, et Ilhan Omar.
Harper, chef de l’équipe de McCollum, a déclaré que même si le Congrès ne procède pas à un vote sur le projet de loi, à tout le moins il génère des conversations et montre où en sont les élus sur la question.
« Nous avons un allié. Un pays auquel nous apportons 3,8 milliards de $ d’aides. Nous avons un pays qui, dans les les frontières d’Israël, est une démocratie. Qui partage beaucoup de nos valeurs. Et cependant près de 3 millions de personnes vivent sous occupation militaire », a-t-il déclaré. « Et l’armée d’Israël, l’armée la plus puissante de la région, arrête des enfants en pleine nuit. Les emprisonne, les interroge, les violente, certains diraient les torture. Et inflige ce que nous qualifions de traumatisme généralisé. Et cela s’est poursuivi pendant 20 ans au moins. Le projet de loi est un moyen de discuter de la question. Le projet de loi est un moyen de soulever et de mettre sur la table cette question du traitement des enfants. »
Traduction Yves Jardin, du GT Prisonniers de l’AFPS