Bethléem. En cette fin d’année
2005, malgré les quelques illuminations
et guirlandes, le sapin
de Noël métallisé au centre de la place
de la Mangeoire face à l’église de la
Nativité ou la crèche de la maison du
Tourisme, l’atmosphère n’est guère à la
fête. Les pèlerins - surtout des Européens
et quelques Américains - ne se
comptent que par dizaines. Un car venu
d’Israël transporte des jeunes femmes
venant des Philippines et qui, chrétiennes,
ont obtenu l’autorisation exceptionnelle
d’abandonner quelques instants leur travail
de domestique pour un pèlerinage furtif
et sous contrôle.
En octobre dernier, Victor Batarseh, le
nouveau maire chrétien de la ville, rendait
visite à Benoît XVI. En ce mois de
décembre, il inaugure par un discours
de grande qualité politique et morale une
conférence internationale sur la résistance
non violente en Palestine. L’heure
est à la fois à la réflexion et à la mobilisation.
Car Bethléem est d’abord une ville prisonnière,
fermée, mise en boîte, avec le
mur qui l’encercle progressivement et
avec l’installation d’un checkpoint démesuré
à l’arrivée de Jérusalem. Il suffit de
se rendre de Jérusalem à Bethléem pour
voir les blocs de ciment armé hauts
d’environ huit à neuf mètres qui entourent
et oppriment la ville et les deux
agglomérations voisines de Beit Sahour
et de Beit Jala, qui bordent la zone est
de Jérusalem. Le checkpoint a effectivement
beaucoup changé depuis l’année
dernière. Il ressemble désormais à celui
que l’on vient aussi de construire à Kalandia,
entre Jérusalem et Ramallah : c’est
un vrai terminal frontalier où les militaires
effectuent des contrôles très sécurisés
des touristes et des résidents palestiniens.
Construction en dur, parking, hangars...
entourent la seule voie d’accès à Bethléem - et de sortie - large de 5 à 6 mètres,
devenue une sorte de brèche dans le mur,
construit sur cette route principale, également
dans le but de soustraire à la ville
le contrôle du site religieux de la Tombe
de Rachel. Pour ce véritable détournement,
300 hectares de terre palestinienne
ont été aussi confisqués. Le mur qui
entoure les 80 km2 du district de Bethléem
devrait atteindre 70 km. Lorsqu’il
sera achevé, on pourra refuser à des
dizaines de familles paysannes l’accès aux
terres qui le jouxtent.
Le gouvernement israélien a dépensé
des millions de dollars pour cette « frontière
» ; et il est évident que, dans ses
projets unilatéraux, le poste de contrôle
terminal est destiné à devenir la « frontière
internationale » séparant, isolant,
Jérusalem de la Cisjordanie du Sud.
Déjà très atteint en 2004, le quartier
proche de la Tombe de Rachel, aujourd’hui,
s’éteint lentement. Nombre de
Palestiniens l’ont quitté, pour ne pas
vivre à proximité du mur ni surtout des
mitrailleuses en position de l’armée israélienne.
Des magasins sont fermés, abandonnés,
les rues sont désertes.
Près de l’Eglise de la Nativité, des amis
palestiniens, dont certains tiennent - à
bout de bras - un magasin de moins en
moins fréquenté, racontent. « Ces derniers
mois, avec la fin de la deuxième
Intifada, on a vu une légère reprise du
flux touristique » et, ajoute l’un d’entre
eux en rangeant ses petites crèches et ses
dromadaires en bois d’olivier sur ses étagères,
« ce n’était pas ce que nous aurions
pu souhaiter mais finalement on recommençait
à respirer et puis les Israéliens
ont inauguré le nouveau checkpoint et du
coup les pèlerins sont beaucoup moins
nombreux. Il faut dire aussi que les opérateurs
touristiques israéliens leur expliquent
qu’à Bethléem, ils risquent de rencontrer
des ‘terroristes’ et qu’il vaut
mieux choisir un hôtel ou un restaurant
à Jérusalem... »
Sans autre ressource que le tourisme,
Bethléem paie très cher cette condition :
50% de chômage, hôtels avec 2 500 lits
vides, restaurants et boutiques désespérément
vides.
La municipalité cherche à aider les
citoyens les plus nécessiteux mais il n’y
a plus un sou en caisse. Avec le chômage,
la majorité de la population n’est
plus en état de payer les impôts municipaux.
Et l’Autorité palestinienne, qui
avait promis des fonds, n’a elle non plus
rien envoyé...
L’avenir des chrétiens
Des amis, en l’occurrence majoritairement
chrétiens, interrogés sur les pressions ou
sur certaines violences qu’aurait subies
la population chrétienne, ici désormais
minoritaire, de la part de certains musulmans,
répondent clairement : il est vrai
qu’il y a eu des moments de tension au
détriment de citoyens chrétiens, mais il
s’est agi d’actes isolés dans une réalité
où les deux religions vivent et coexistent
en paix depuis des siècles. C’est ce que
confirme Edmond Shehadeh, directeur
de l’hôpital du BASR qui soigne et
emploie indistinctement chrétiens et
musulmans, sans le moindre problème.
Bethléem, à l’exemple de la Palestine, est
seule, emprisonnée, étouffée, abandonnée
par la communauté internationale,
même chrétienne. Ce moment de Noël
n’a guère soulevé l’émotion des gouvernements
occidentaux ni les Eglises
chrétiennes. A Victor Batarseh, qui lui
rendait visite et lui remettait un document
sur les conséquences de la construction
du mur autour de Bethléem, le Pape
a répondu « Je prierai pour vous. » Mais
les chrétiens de Bethléem qui ont organisé
la conférence avec de multiples ateliers
dans la grande « Ecole de la Terre
Sainte »sur la résistance non-violente ne
se contentent pas de prier : ils résistent
avec leurs concitoyens musulmans et
avec ceux qui ne croient pas au ciel...
Bernard Ravenel