Le Premier ministre Naftali Bennett a qualifié mardi la violence des colons en Cisjordanie de "phénomène insignifiant", mais les statistiques gouvernementales et les échanges avec les organisations palestiniennes montrent que l’ampleur des attaques est considérable et qu’elle continue à augmenter.
Son commentaire est intervenu après que le ministre de la Sécurité publique, Omer Bar-Lev, a suscité la controverse en Israël en condamnant la violence des colons lors d’une conversation avec un haut responsable de l’administration du président Joe Biden.
Selon les chiffres du gouvernement, 135 incidents de jets de pierres visant des Palestiniens ont eu lieu cette année, contre 90 en 2019, et 250 autres incidents violents, contre 100 en 2019. La violence contre les services de sécurité israéliens a également augmenté, passant de 50 incidents en 2019 à 60 cette année.
B’Tselem, qui recueille des données sur la violence des colons, a déclaré que les incidents de cette violence sont en hausse de 28,6% cette année par rapport à l’année dernière.
Yesh Din, qui documente également ces violences, a reçu des rapports sur 540 attaques de colons entre 2018 et 2021. Les Palestiniens ont déposé des plaintes auprès de la police dans 238 de ces cas, mais seulement 12 - cinq pour cent - ont abouti à des inculpations.
La police a refusé de répondre à la question de Haaretz concernant le nombre de dossiers qu’elle a ouverts sur la violence des colons l’année dernière.
Musab Sufan, de Burin, près de la colonie de Yitzhar, a déclaré que les colons lapident sa maison depuis 2000, mais que la situation s’est aggravée au cours des deux derniers mois après s’être calmée pendant les deux années précédentes. Sa maison se trouve à la limite du village, près de la route 60.
Habituellement, dit-il, les colons viennent par groupes de 20 à 30 personnes.
"Ils brisent nos fenêtres et nos panneaux solaires avec des pierres ; par le passé, ils ont également tué nos moutons", a-t-il dit. "Ils essaient de nous chasser".
La situation est particulièrement difficile pour les enfants, a-t-il ajouté. "Que fait un jeune enfant qui vit une telle expérience ? Il se cache constamment derrière sa mère ; il a peur."
Sufan a déclaré que la dernière attaque provenait d’une petite tente que les colons ont érigée non loin de sa maison il y a quelques mois.
"Nous appelons la police à chaque fois", a-t-il ajouté. "Ils vont et viennent, mais rien ne se passe et rien ne change".
Ziv Stahl, responsable du département de recherche de Yesh Din, a déclaré avoir constaté "un déclin constant de la volonté des victimes palestiniennes de crimes de déposer des plaintes auprès de la police... en raison de longues années d’absence d’application effective de la loi contre les criminels et d’un vent arrière des organismes d’État" pour les colons. Par conséquent, a-t-elle ajouté, "les auteurs d’infractions à la loi rassemblent le courage nécessaire pour augmenter le rythme et la sévérité de leurs attaques."
De 2018 à 2021, 43 pour cent des Palestiniens qui ont signalé des attaques à Yesh Din ont refusé de porter plainte auprès de la police. Interrogés sur les raisons de ce refus, 21 % ont dit à l’organisation qu’ils craignaient la vengeance ou la perte de leur permis de travail en Israël et 22 % n’ont donné aucune raison. D’autres ont dit qu’ils avaient désespéré de la procédure, ou qu’ils travaillaient pour l’Autorité palestinienne et ne pouvaient donc pas porter plainte en Israël.
Mohammed, qui possède une pépinière à A-Sawiya, a déclaré que les colons avaient déraciné ou volé ses plantes six fois au cours des 18 derniers mois, la dernière fois cette semaine. Il s’est plaint à la police à chaque fois, mais rien ne s’est passé.
"Je leur ai apporté des photos et des vidéos, mais ils n’ont rien fait", a-t-il dit, ajoutant qu’il a vu une fois quatre des vandales, tous âgés d’une dizaine ou d’une vingtaine d’années, entrer dans la colonie voisine de Rahelim.
"Il est clair qu’ils font cela parce que je suis palestinien", a-t-il dit. "Ils ne viennent pas seulement voler, ils s’assurent de faire des dégâts à chaque fois".
Des attaques similaires de Palestiniens contre des Juifs auraient été traitées depuis longtemps, a soutenu Mohammed. "Mais c’est facile pour eux de nous faire ça".
Peace Now a récemment étudié la localisation des attaques de colons signalées à Yesh Din de 2012 à juillet 2021. Elle a conclu que 63 % d’entre elles ont eu lieu près d’avant-postes de colonies illégales.
Un responsable de la défense israélienne est d’accord. "Il y a eu une augmentation des crimes à proximité des avant-postes autour de Yitzhar et Shiloh, qu’il s’agisse de détruire des oliviers ou de jeter des pierres sur les voitures palestiniennes aux intersections", a-t-il déclaré, expliquant que ces avant-postes "sont des endroits où il y a plus de frictions avec les Palestiniens."
Un autre endroit où la violence a augmenté est le sud des collines d’Hébron, où plusieurs avant-postes et fermes de colons ont été établis ces dernières années. L’un des cas les plus graves de violence des colons depuis des années s’y est produit en septembre, lorsque des dizaines d’Israéliens se sont rendus à Khirbet al-Mufkara et ont jeté des pierres sur des maisons, alors que des soldats étaient sur place.
Plusieurs personnes ont été blessées, dont Mohammed Hamamda, âgé de 3 ans. Mais jusqu’à présent, seules deux personnes ont été inculpées, toutes deux mineures et originaires des colonies de la région.
Khamis, du camp de réfugiés de Jalazun, a déclaré que des colons avaient jeté des pierres sur le bus scolaire de sa fille de 14 ans, près de la colonie de Beit El, le mois dernier. Une pierre a traversé la vitre et a touché sa tête, tandis que le chauffeur a été touché à l’épaule.
Depuis lors, sa fille a du mal à se concentrer et a subi deux examens médicaux, a-t-il ajouté.
Lorsqu’on lui a demandé s’il avait déposé une plainte auprès de la police, il a répondu : "À quoi bon ? Le système israélien est de leur côté ; les soldats protègent les colons qui jettent des pierres. Lorsque les Palestiniens jettent des pierres sur les colons, ils mettent tout le camp de réfugiés de Jalazun sens dessus dessous. Mais quand c’est l’inverse ? Rien."
Hagai El-Ad, directeur exécutif de B’Tselem, a déclaré que "parler d’une tendance particulière manque la vue d’ensemble - c’est la réalité permanente, et elle produit des réalisations stratégiques sous la forme d’une prise de possession de la terre palestinienne. C’est quelque chose qu’Israël fait de nombreuses façons - certaines organisées, avec l’approbation des tribunaux, et d’autres par la violence qui a des résultats stratégiques.
"Il y a ici une façade propagandiste qui convient à Israël", a-t-il ajouté. "Il y a quelques mauvais colons, ou plus, d’un côté, et de l’autre le bon État d’Israël, qui cherche à faire respecter la loi. Mais ce n’est pas la vérité. L’État et les colons veulent tous deux la même chose : déposséder les Palestiniens de leurs terres."
Pendant ce temps, le ministre de la Défense Benny Gantz a fait pression pour un plan qui placerait plus de soldats dans la police dans le but d’envoyer plus de policiers en Cisjordanie, en partie pour remplir des rôles liés à la lutte contre la violence extrémiste. Ce plan est le résultat d’une discussion, il y a quelques semaines, entre le ministre de la défense, le chef d’état-major militaire, le chef du Shin Bet et le commissaire de police, au cours de laquelle le commissaire a déclaré que le district de Judée et Samarie de la police manquait de personnel.
La police a déclaré que " tout rapport ou plainte reçu par la police et faisant suspecter une infraction pénale fait l’objet d’une enquête et est traité de manière approfondie et professionnelle ". Suite à un signalement de jets de pierres sur des résidences à Burin, la police a ouvert une enquête dans laquelle diverses actions sont menées afin de rechercher la vérité et de traduire les personnes impliquées en justice. La police israélienne continuera à agir à tout moment contre les incidents de violence et les perturbations de toute nature avec détermination et quelle que soit l’identité des personnes impliquées. Quant à l’autre cas qui a été mentionné, étant donné que tous les détails ne nous ont pas été donnés, nous ne sommes pas en mesure de répondre à l’incident."
Traduction : AFPS