Beita se trouve dans le gouvernorat de Naplouse, entre la Ligne verte et la vallée du Jourdain. Le village occupe une position stratégique au nord-est de la colonie d’Ariel qu’Israël souhaite relier à la vallée du Jourdain par de petites colonies afin d’annexer de fait un couloir nettoyé de tout Palestinien séparant ainsi le nord de la Cisjordanie (Naplouse, Jénine…) du centre (Ramallah, Salfit…).
À proximité se situe le village de Douma, tristement célèbre pour la barbarie des colons en juillet 2015 : c’est là qu’ils ont incendié la maison de la famille Dawabshe provoquant la mort du bébé Ali, 18 mois, brûlé vif. Dans le secteur, les villages de Burin, Beit Dajan, Barqa et tant d’autres, subissent les agres- sions permanentes des colons.
Pour accéder à Beita, il faut franchir le check point d’Huwara au sud de Naplouse, lieu de dizaines d’assassinats de Palestiniens.
La position stratégique du village en fait une cible privilégiée : en 1988 déjà, Israël avait confisqué une partie de ses terres pour y installer une zone militaire. Il aura fallu attendre 1994 pour que le poste militaire soit enlevé avant d’être reconstruit pendant la seconde Intifada, puis démoli de nouveau. En 2013, puis en 2018 et 2019, les colons ont tenté de s’installer ; l’administration « civile » israélienne avait alors démoli les structures.
Le 15 mai 2021, pendant la nuit, les colons ont installé 7 tentes sur le Mont Sabih. Au petit matin, ils ouvraient une route et amenaient des mobile-homes. En quatre jours, on en comptait une quarantaine. Les canalisations d’eau et les lignes électriques leur étaient fournies ainsi qu’une route pavée, cela avec le soutien de l’armée et l’assistance du « Conseil régional de Judée Samarie ».
L’avant-poste de Givat Eviatar est cette fois-ci resté en place. En quelques semaines, les hauteurs du Mont Sabih se sont transformées en village avec les structures nécessaires pour des dizaines de familles : synagogue, commerces, aire de jeux ainsi qu’une route goudronnée. Trente-six hectares des villages de Qabalan, Yatma et Beita confisqués avec l’objectif revendiqué de séparer Qabalan des villages de Beita et de Yatma et d’y installer une yeshiva.
Une mobilisation rapide
Pour les 15 000 habitants Beita il n’était pas question de lais- ser la colonie s’installer. La résistance populaire a rapidement pris une ampleur impressionnante, impliquant toutes et tous dans le village et de toute la Cisjordanie (et au-delà).
Occupation permanente du terrain par les jeunes du village, marches de protestation vers la colonie, pneus brûlés, jets de pierres, affrontements directs à mains nues avec les soldats. Mais aussi une nouvelle forme de résistance : les confusions nocturnes. Haut-parleurs surpuissants entonnant des chants patriotiques ou des prières, klaxons, centaines de faisceaux laser pointés vers l’avant-poste, fanfares venues parfois de loin,autant de petits groupes répartis sur la montagne. Il s’agissait d’empêcher les colons de dormir, de leur rendre la vie impossible pour les forcer à partir.
Les manifestations du vendredi ont rassemblé des milliers de participants, les réseaux sociaux ont permis information, organisation et coordination. Les femmes sont très vite entrées dans le mouvement. Il fallait assurer la logistique pour que les hommes puissent rester sur la colline. Il fallait aussi nourrir les milliers de personnes qui convergeaient certains vendredis vers le village (jusqu’à 3 500).
La répression féroce de l’occupation s’est immédiatement abattue sur le village et les manifestants : gaz lacrymogènes en quantité envoyés par des drones et les jeeps de l’armée, tirs massifs par des snipers de balles en métal recouvertes de caoutchouc, de balles en éponge et de balles réelles. Avec les premiers morts, la colère s’est accrue et tout le monde s’est impliqué. Pas moins de douze jeunes du village ont été assassinés par l’armée d’occupation en une année, dont des enfants. Il faut aussi compter plus de 5 200 blessés dont certains particulièrement graves.
Des dizaines d’habitants ont été arrêtés depuis le début du mouvement. L’armée a fermé l’entrée principale du village pendant un mois et demi, détruit les routes agricoles menant aux lieux de rassemblements et de manifestations, endommageant les terrasses agricoles et plusieurs milliers d’arbres aux alentours de l’avant-poste. Les morts, les destructions, la dé- possession, les blessés, l’asphyxie du village ne suffisaient pas, Israël a également révoqué les permis de travail d’environ 150 résidents. Les soldats n’ont pas non plus épargné les militants israéliens anticolonialistes qui ont fait face à une grande violence. Certains ont également été arrêtés.
Un succès évident
Et la mobilisation a été couronnée de succès : début juillet, les colons ont quitté les lieux après un accord avec l’armée pour que les structures restent en place en attendant que le gouvernement statue sur le statut des terres, l’armée continuant à occuper la place. Une victoire incontestable, mais un succès relatif : la colonie est toujours là, occupée par l’armée. Une re- quête des propriétaires a été présentée devant la Haute Cour de Justice israélienne.
Les Palestiniens vérifient tous les jours que le « système judiciaire » israélien est au service du projet colonial de dépossession comme l’a souligné B’Tselem récemment au sujet de la confiscation de 3 000 hectares de terres à Masafer Yatta dans les collines du sud d’Hébron. De fait, en août 2021, la requête des propriétaires des terres a été rejetée. Depuis, le procureur de la Cour suprême a recommandé la confiscation de 60 hectares pour l’établissement d’une zone militaire, en attendant d’offrir la zone aux colons. Pour l’instant, les choses restent en l’état dans l’attente d’une décision politique qui peut intervenir rapidement ou attendre des années. Et pendant ce temps, une nouvelle route coloniale commence à être construite, opérant une saignée de plus dans les terres des villages environnants.
La mobilisation n’a pas cessé depuis juillet 2021, semaines après semaines, tout comme les protestations et la répression. Le nombre des morts et des blessés s’égrènent : 85 morts à Beita depuis la première Intifada.
Le centre de santé
C’est une structure associative où interviennent des médecins généralistes, des infirmières ainsi que des spécialistes, mais aussi une équipe de bénévoles.
Depuis un an, on y pratique une médecine d’urgence, voire une médecine de guerre, face à la répression de l’armée d’occupation. Il est en première ligne pour les premiers soins. Plus de 4 000 personnes ont été soignées, 4 personnes ont été sauvées. Son importance est vitale : lors des bouclages du village par l’armée, c’est le seul endroit où recevoir des soins et en temps
« normal », l’hôpital de Naplouse est loin. Les blessés sont soignés gratuitement de même que les gens à faible revenu.
Mais le centre a besoin d’être agrandi, réhabilité. Il a surtout besoin d’un service d’urgence. Il joue le rôle d’un hôpital de proximité. Les besoins sont énormes, en équipement lourd (radiologie) mais aussi en petit matériel médical, en médicaments. Il est aussi confronté aux coupures d’électricité, il faut donc un générateur.
La place des femmes dans le mouvement
Ansam Khader, jeune femme du village de Beita, a participé à la tournée « Jeunesse palestinienne en résistance » organisée par l’AFPS au mois de mai. Elle témoigne : « Quand les hommes ont commencé à occuper la montagne, c’est devenu une évidence que nous devions assurer la logistique pour leur permettre de tenir, les ravitailler en eau et en nourriture deux fois par jour. Nous nous sommes organisées spontanément pour cuisiner. Il fallait aussi accueillir les manifestants venus de toute part. »
Uni et structuré, ce collectif de femmes a permis au mouve- ment de tenir. C’est une aventure collective. Jusqu’à 120 femmes sont mobilisées le vendredi, après avoir préparé la nourriture toute la semaine, pour beaucoup sur leurs ressources personnelles. La place des femmes est centrale dans le mouvement. Il fallait aussi assurer les premiers soins pour ceux qui étaient blessés. Beaucoup de femmes se sont formées pour aider le personnel médical du centre de santé.
Quand les permis de travail ont été retirés à plus de 150 habitants du village, les ressources des familles ont disparu. Les femmes de la coopérative ont alors pris le relais pour assurer des revenus grâce à la vente des savons et des pâtisseries. L’objectif de la coopérative est de permettre aux femmes d’avoir une activité économique et des revenus, une manière de montrer quel rôle économique elles peuvent avoir dans la société. Très volontaires, elles ont de nombreux projets.
Dans ce village plutôt traditionaliste, cet engagement n’était pas du tout évident. Au bout du compte, le regard des hommes a évolué Elles ont aussi trouvé leur place au sein du comité populaire.
Anne Tuaillon, AFPS
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