Monsieur le Premier ministre,
Le 4 février dernier, dans votre discours au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), vous avez dénoncé les « scandaleux mouvements de boycott des produits casher ou israéliens ».
Sauf le respect que je vous dois, cet amalgame constitue un mensonge qui est indigne de vous. Je vous mets au défi, monsieur le Premier ministre, de produire la moindre déclaration d’un animateur du mouvement français de solidarité avec la Palestine qui appellerait de manière directe ou indirecte à boycotter des produits, magasins ou entreprises juives, a fortiori des produits casher. Ce défi vous ne pourrez le relever pour une raison fondamentale : rien ne nous est plus étranger que l’antisémitisme et le racisme. Et, pour nous, les sources du conflit israélo-palestinien comme les paramètres de sa solution sont de nature, non pas religieuse, mais politique, strictement politique.
Hélas vos propos diffamatoires ont fait école : votre ministre de la Justice a cru bon de vous emboîter le pas. Au dîner de l’antenne bordelaise du CRIF, le 18 février, elle a affirmé que « des personnes, responsables associatifs, politiques ou simples citoyens, appellent au boycott de produits au motif qu’ils sont casher ou qu’ils proviennent d’Israël ». Elle a exprimé le souhait que « le parquet fasse preuve de davantage de sévérité ». Et, joignant le geste à la parole, elle a déclaré avoir « adressé une Circulaire aux parquets généraux, leur demandant d’identifier et de signaler tous les actes de provocation à la discrimination. »
La justice étant, comme chacun sait, indépendante du pouvoir, le tribunal de Bordeaux a d’ores et déjà fait un exemple : les deux autocollants que Sakina Arnaud avait apposés sur des produits israéliens dans un supermarché « Carrefour » de Mérignac lui ont valu 1 500 euros d’amende et de dommages et ceci au motif, excusez du peu, d’« incitation à la discrimination raciale, nationale ou religieuse ». Rappelons que la grande surface avait porté plainte, elle, pour « dégradation légère ». Ici et là, d’autres militants sont convoqués dans les commissariats ou la police judiciaire.
Je vous le dis en toute clarté : si vous espérez ainsi discréditer notre cause, vous commettez une grossière erreur car nous avons la justice et le droit avec nous ! C’est votre gouvernement et la France que vous discréditez en trahissant ouvertement la politique proche-orientale mise en œuvre après la décision courageuse du général de Gaulle, en juin 1967.
Depuis lors, tous les présidents de la République, tous les Premiers ministres ont fait valoir le droit. Ils ont condamné l’occupation et la colonisation par Israël des territoires occupés et prôné la création d’un Etat palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale. Vous en parlez, certes, mais ce sont vos actes qui disent le vrai. Or comme jamais vous donnez des gages à la politique israélienne en multipliant, dans tous les domaines, les coopérations avec cet Etat. Cela ne peut que le conforter dans une posture qui tourne absolument le dos à la paix fondée sur le droit.
Quarante-trois ans plus tard, et après tant de malheurs qui n’en finissent pas de secouer et d’endeuiller cette région, n’est-il pas temps que, conformément au droit international, Israël, comme tous les autres pays du monde qui n’acceptent pas de l’appliquer, soit enfin sanctionné ? C’est tout le sens de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanction (BDS).
Elle s’appuie notamment sur l’Accord d’association entre l’Union européenne et Israël qui, comme la Cour européenne de justice vient de le réaffirmer dans son arrêt du 25 février (Affaire Brita), exclut les produits des colonies israéliennes de Cisjordanie des avantages fiscaux accordés aux produits israéliens. Présenter ceux-ci comme « made in Israël » constitue aussi une « fraude à l’origine » et un abus de confiance des consommateurs réprimés par le droit français. Mais vous restez passif et ne donnez aucune instruction aux parquets sur ces cas précis et patents de violation du droit. Considérez-vous que la décision de la Cour européenne de justice constitue une « incitation à la discrimination raciale, nationale ou religieuse » ? De même qualifieriez-vous pareillement la suspension de cet accord pourtant nécessité par la violation par Israël de son article 2 qui « fonde » ledit accord sur le respect par ce pays des droits de l’homme ?
Monsieur le Premier ministre,
L’ambassadeur d’Israël en France, Monsieur Daniel Shek, a confié à une journal israélien, il y a quelques semaines : « Nous encourageons des organisations à porter plainte contre les organisateurs du boycott. Nous conduisons des activités politiques à l’ambassade en liaison directe avec des ministres, des organisations, des étudiants et des consommateurs, qui se réveillent ». Curieusement, vous n’avez pas fait convoquer ce diplomate par votre ministre des Affaires étrangères. Il avouait pourtant une ingérence brutale dans les affaires intérieures de notre pays.
Je vous le demande clairement : quels sont donc ces ministres avec lesquels le représentant d’Israël se targue d’intriguer ? Dirigeriez-vous un gouvernement comprenant des représentants de ce que le général de Gaulle appelait, non sans férocité, « le parti de l’étranger » ?
En attendant votre réponse, je vous prie de croire, Monsieur le Premier ministre, à notre ferme intention de poursuivre plus encore cette campagne afin de permettre à nos concitoyens de contribuer à l’avènement d’une paix juste et durable au Proche-Orient.
Jean-Claude Lefort
Président de l’AFPS
Paris le 28 février 2010