Dans son rapport « L’annexion qui était et qui est toujours » publié le 27 octobre par B’Tselem, l’organisation israélienne pour les droits humains décrit comment sans annexion officielle, Israël traite la Cisjordanie comme faisant partie de son territoire, agissant unilatéralement depuis des décennies pour établir et maintenir le contrôle israélien sur cette région. L’exposé détaille les nombreux moyens par lesquels la Cisjordanie est annexée de fait et fourni des exemples concrets pour comprendre comment Israël poursuit sa politique, après que la possibilité d’une annexion officielle a été remisée.
Les soutiens, ainsi que quelques détracteurs, de l’annexion maintiennent qu’une annexion officielle libérerait Israël des restrictions imposées par les lois internationales, lui permettrait d’appliquer les lois israéliennes en Cisjordanie et l’aiderait à atteindre son but. Pourtant, même aujourd’hui, et après plus de 50 ans, Israël ne se considère toujours pas tenu à respecter les dispositions de la loi internationale – y compris les principes fondamentaux de la loi d’occupation prévue pour protéger les Palestiniens.
La réalité qu’Israël a créée en Cisjordanie ne peut être considérée comme temporaire, contrairement aux principes des lois d’occupation. En organisant l’espace, Israël a radicalement changé la carte de la Cisjordanie pour servir ses intérêts, créant un espace contigu pour ses colonies et repoussant les Palestiniens dans des enclaves isolées et surpeuplées.
Plus de 400000 Israéliens répartis en presque 250 colonies (à l’exclusion de Jérusalem Est – la seule partie formellement annexée de la Cisjordanie) vivent maintenant en Cisjordanie. De nombreuses lois israéliennes ont été élargies par le processus parlementaire législatif ou des décisions militaires pour maintenant s’appliquer aux colons et colonies, les transformant en « îlots israéliens », isolés des territoires Palestiniens. Les colons bénéficient de presque toutes les protections ainsi que tous les droits et financements accordés aux Israéliens vivant à l’intérieur des frontières du pays. Une troisième génération grandie aujourd’hui dans ces colonies, et la plupart des Israéliens ne se souviennent pas d’un temps où elles n’aient existé.
En plus de construire ces colonies, Israël a engagé un large éventail de projets d’infrastructure pour les développer, y compris la construction de routes. Les projets d’autoroute à travers la Cisjordanie comprennent, par exemple, le doublement du nombre de voies pour la route 60, connue sous le nom de la route des tunnels, le goudronnage d’une bretelle pour contourner le village Palestinien d’al-‘Arrub, la construction du périphérique de Jérusalem Est, la bretelle Huwarah (le long de la route 60), et l’expansion de la route 55. Ces projets, coutant des milliards de shekels, prouvent la vision à long terme d’Israël de conserver le contrôle sur la Cisjordanie, même sans annexion formelle, ainsi que l’expansion de la colonisation. L’ONG israélienne « Peace Now » à récemment révélé qu’après la déclaration d’Israël d’établir 5000 nouvelles habitations en Cisjordanie – publiée après que la menace d’une annexion formelle a été abandonnée – 2020 est devenue l’année record en termes de construction dans les colonies.
En plus de l’investissement significatif dans les colonies, Israël œuvre pour minimiser la présence palestinienne en la confinant dans des enclaves surpeuplées et isolées. Toute construction en dehors de ces enclaves, c’est-à-dire la majorité de la Cisjordanie où le potentiel de développement réside, a été interdit par Israël et reste strictement surveillé. D’après les chiffres de B’Tselem, entre 2006 et le 30 septembre 2020, Israël a démoli au moins 1623 habitations palestiniennes en Cisjordanie (à l’exclusion de Jérusalem Est). Ces démolitions ont laissé au moins 7068 personnes, dont au moins 3543 mineurs, sans foyer. Pareillement, du début de l’année 2012 jusqu’au 30 septembre 2020, l’Administration Civile a démoli 1804 structures non résidentielles en Cisjordanie (incluant des clôtures, citernes d’eau, hangars, structures agricoles, commerces et bâtiments publics).
La nouvelle législation militaire à permis à Israël d’accélérer les démolitions d’habitations ces dernières années. D’après les données de l’Administration Civile, en 2020 seulement Israël a confisqué 242 préfabriqués, contre 6 en 2015. En 2019, l’Administration Civile à confisqué 700 tracteurs et tractopelles et déraciné 7500 arbres dans la zone C. Ces actions ont également fait diminuer le nombre de projets de l’aide internationale pour les Palestiniens de la zone C à seulement 12 en 2019 comparés aux 75 de 2015. Ces projets comprennent l’installation de préfabriqués et la mise en place d’infrastructure.
Malgré les lois internationales sur l’occupation, Israël viole les droits des Palestiniens quotidiennement en maintenant un régime militaire strict. Les forces de sécurité israéliennes ont tué des milliers de Palestiniens lors d’incidents où leur vie n’était pas en danger et sans aucune justification. Durant la dernière décennie, 427 Palestiniens ont été tués par les forces de sécurité israéliennes en Cisjordanie. Les militaires limitent la liberté de déplacement des Palestiniens à leur guise et bouleversent leur quotidien. Les soldats envahissent des foyers Palestiniens tous les jours – et toutes les nuits – réveillant la famille entière sans fournir ni mandat ni explication. Israël a également interdit globalement toute manifestation palestinienne en Cisjordanie, limité la liberté d’expression dans la presse et sur les réseaux sociaux, et bloque les associations, même celles à but uniquement social. Des milliers de Palestiniens sont jugés chaque année par un tribunal militaire – un système qui les déclare pratiquement toujours coupables.
Le risque d’une annexion formelle a ébranlé la communauté internationale qui a menacé Israël, comme c’est rarement le cas, de mesures concrètes. Aujourd’hui, il semblerait que nous soyons revenu à la « routine habituelle » - l’intolérable réalité connue sous l’euphémisme de « statut quo ». Israël a remisé pour le moment l’idée d’une annexion formelle, en contrepartie d’être libéré de la pression internationale. La communauté internationale a réaccueilli Israël à bras ouverts – légitimant sa politique habituelle d’expropriation sans contrepartie.
La communauté internationale aurait dû arriver à la conclusion inverse. Un facteur clé dans la volte-face d’Israël au sujet de l’annexion était la reconnaissance d’une potentielle perte significative de réputation internationale. A nouveau, les requêtes polies et l’indignation ont été inefficaces, contrairement aux mesures concrètes. Remiser temporairement l’idée d’une annexion formelle ne doit pas donner licence à poursuivre comme d’habitude. La communauté internationale doit reconnaitre sa responsabilité, sa force et sa capacité à prendre des mesures immédiates envers l’occupation et l’annexion de facto actuelle – afin de permettre l’éclosion d’un futur libre et équitable pour tous les habitants de la Méditerranée au Jourdain.