A la suite de l’intervention de
l’armée israélienne au Liban, le
12 juillet 2006, Amnesty International
s’est inquiétée plus particulièrement
de graves violations des droits
humains perpétrées durant le conflit, par
Israël mais aussi par le Hezbollah. Ma présentation
traitera plus spécifiquement des
violations des droits humains et du droit
international humanitaire de la part du
gouvernement israélien :
- attaques contre des infrastructures civiles
« aveugles et disproportionnées » de la
part d’Israël [1] ;
- représailles, châtiments collectifs du
Hezbollah sur des populations civiles du
nord d’Israël [2] ;
- attaques directes contre des civils par les
deux parties, attaques disproportionnées
et sans discrimination [3] ;
- manque de précautions dans l’attaque
et dans la défense [4] ;
- dommages sur l’environnement [5] (marée
noire provoquée par les bombardements
de l’armée israélienne...) ;
- destruction de biens nécessaires à la
survie [6] des civils libanais par Israël ;
- utilisation d’armes non discriminantes
et de nature à infliger des blessures et souffrances
inutiles par les deux parties avec
une proportion plus grande du côté israélien [7] ;
- violation des droits humains comme le
droit au logement, l’accès à l’eau, à une
nourriture suffisante... indispensables à la
survie des populations civiles [8] ; entrave aux secours humanitaires [9]
- crimes de guerre [10] .
– Des violations du droit
Dès les premières vingt-quatre heures du
conflit, les attaques israéliennes ont tué au
moins 38 civils dans leurs maisons, dont
nombre d’enfants : 12 membres de la famille
Bzea qui prenaient leur petit déjeuner au
village de Zibqin ; neuf membres de la
famille Zein à Baflay et 12 personnes de la
famille Akash au village de Dweir. Quant
aux roquettes du Hezbollah, elles ont tué
une femme de quarante ans qui se trouvait
chez elle à Nahariya, dans le nord d’Israël,
ainsi qu’une autre personne civile dans la
ville de Safed.
L’ampleur des attaques et le grand nombre
de civils tués en vingt-quatre heures ont
suscité des inquiétudes au niveau international.
Lors d’une conférence de presse le
14 juillet à Tel Aviv, le général de corps
d’armée Dan Halutz, chef d’état-major
israélien, a fait le serment de continuer
l’offensive. Il a déclaré qu’Israël voulait
envoyer un message clair « à Beyrouth et sa
grande banlieue et à l’ensemble du Liban. Ils
ont avalé un cancer, et ils doivent le vomir,
parce que s’ils ne le font pas, le pays paiera
un prix très élevé. » [11]
Dans les jours qui ont suivi, les raids aériens
israéliens se sont intensifiés et le nombre
de victimes civiles a continué d’augmenter.
Parmi les 500000 habitants du sud du
Liban, un grand nombre a rapidement
compris qu’il était trop dangereux de rester,
et a fui vers le nord. Cependant, plus
de 120000 personnes ont été prises au
piège et ont dû subir les bombardements
israéliens à Tyr et dans d’autres villes ou villages.
Certains étaient trop pauvres, trop
malades ou trop vieux pour fuir. Beaucoup
savaient qu’il était déjà trop dangereux
de se déplacer pour se mettre en sécurité.
Dès les premiers jours de la guerre,
les forces israéliennes avaient bombardé
les routes, les ponts, les aéroports, les stations-
service et d’autres éléments d’infrastructure,
et ensuite les bombardements
ont continué, rendant tout déplacement
pour le moins hasardeux, voire impossible.
Des civils ont été tués lorsque les véhicules
où ils s’étaient entassés ont été touchés par
les frappes israéliennes, alors qu’ils obtempéraient
aux ordres israéliens de quitter
leurs villages.
Jusqu’à présent, la justice n’a pas été rendue
et aucune enquête officielle n’a été
ouverte concernant ces violations. Selon
l’ONU, il faudra environ trois ans pour
enlever toutes les sous-munitions qui jonchent
le sol du Sud-Liban (réparties sur
170 sites d’après l’ONU),
et blessent voire tuent
des dizaines de civils. Le
conflit en lui-même a
provoqué du côté libanais
la mort de plus de
1300 civils, dont 30%
d’enfants de moins de 12
ans [12], 4000 blessés, environ
250 soldats, ainsi que
le déplacement d’un million
de civils et la destruction
de nombreux
bâtiments, infrastructures
et quartiers résidentiels.
Du côté israélien : plus de 150 morts,
dont 39 civils, 500 000
déplacés du nord du pays
à cause des tirs de
roquettes.
En s’appuyant sur son
travail de recherche et
d’analyse, notamment
sur une étude de l’interprétation
par Israël des
lois de la guerre, Amnesty
International a conclu
que les forces israéliennes
s’étaient rendues coupables
de graves violations
du droit international
relatif aux droits
humains et du droit
international humanitaire,
y compris de crimes de guerre. L’organisation
a estimé, en particulier, que l’armée
israélienne avait lancé de très nombreuses
attaques aveugles et disproportionnées.
Au nombre de ces attaques figurent notamment
les pilonnages de l’artillerie israélienne
dans le sud du Liban et le recours
généralisé, au cours des derniers jours du
conflit, aux bombes à sous-munitions dans
des secteurs habités.
Comme l’indiquait un document préliminaire
publié en août et comme le présent
rapport l’atteste de nouveau, ces
attaques recouvrent également les opérations
lancées contre les infrastructures
civiles - par exemple le bombardement de
la centrale de Jiyyeh qui a, par ailleurs,
entraîné une grave dégradation de l’environnement.
Les forces israéliennes ont,
selon toute apparence, également lancé
des attaques directes sur
des biens de caractère civil,
en détruisant notamment
des usines ainsi que le
petit port d’Ouzaï et ses
embarcations de pêche.
Les attaques lancées
contre les infrastructures
ou contre les biens indispensables
à la survie de
la population, tout
comme le blocus naval et
aérien imposé pendant
toute la durée du conflit
et par la suite, semblent
avoir eu pour objectif
d’infliger une forme de
châtiment collectif à la
population libanaise, afin
de l’inciter et d’inciter le
gouvernement libanais à
se retourner contre le
Hezbollah, tout en portant
atteinte aux capacités
militaires du « Parti de
Dieu ».
En outre, d’après les éléments
disponibles et en
l’absence d’explication
satisfaisante - et même
de la moindre explication - de la part des autorités
israéliennes afin de justifier
les très nombreuses
attaques lancées par leurs forces et ayant
entraîné la mort de civils et la destruction
d’infrastructures civiles (alors qu’aucun
élément n’indiquait l’existence d’opérations
militaires du Hezbollah dans ces
lieux), il apparaît clairement que les forces
israéliennes n’ont pas adopté les mesures
de protection nécessaires. Conformément
aux menaces formulées par de hauts responsables
politiques et militaires dans leurs
déclarations publiques et aux tracts lancés
sur le Liban, les forces israéliennes ont,
en pratique, considéré toute personne civile
se déplaçant dans le sud du Liban comme
une cible militaire, et ce en violation flagrante
du principe de distinction. Toute
attaque conduite en application de cette
vision des choses aurait été une attaque
sans discrimination ou même une attaque
directe contre des civils.
Durant ce conflit qui a duré 33 jours, Israël
a largué un nombre extrêmement important
de bombes sur le territoire libanais
(surtout durant les dernières 72 heures), souvent
de façon indiscriminante et aveugle sur
des zones habitées. Au moment du cessez-le-feu, le 14 août, 1191 personnes - dont des centaines d’enfants - avaient été tuées et plus de 4400 avaient été blessées.
Les bombes utilisées sont les bombes à
sous-munitions [13], les bombes à fragmentation [14] et les bombes en grappe (ainsi
que l’utilisation de phosphore blanc [15]).
Elles sont illégales car elles sont non discriminantes [16] et de nature à infliger des blessures
superflues ou des souffrances
inutiles [17]. Des villes entières et des zones
habitées ont été arrosées de bombes par
Tsahal, à 90 % dans les dernières 72 heures
du conflit. Il semblerait que 1800 bombes
à sous-munitions aient été lancées, ainsi
que 1800 bombes à fragmentation. Le Hezbollah
s’est rendu coupable d’avoir lancé
4000 roquettes sur le nord d’Israël, dont certaines
avec roulement à billes (ce qui provoque
plus de blessures inutiles), ainsi que
des roquettes Katioucha, qui sont dangereuses
car elles sont imprécises, depuis des
villages du Sud-Liban, au mépris de la protection
des populations civiles, devenues de
ce fait des cibles, et d’avoir utilisé des plateformes
MLRS [18] (aussi imprécises).
De plus, les parties du conflit ont négligé
de :
- enlever les armes après la cessation des
hostilités [19] ;
- prendre toutes les précautions possibles
pour protéger les civils des effets de ces
armes [20] ;
- donner un préavis effectif de toute mise
en place de ces armes qui pourrait avoir
des répercutions sur la population civile [21] ;
- enregistrer et conserver des renseignements
concernant l’emplacement de ces
armes [22] ;
- prendre des mesures de protection pour
les missions de l’ONU, du CICR et d’autres
ONG, contre les effets de ces armes [23].
Au début du mois de septembre 2006,
quatre experts indépendants du Conseil
des droits de l’homme des Nations unies
ont examiné les conséquences du conflit en
matière de droit à la vie, à la santé et au logement
et se sont intéressés à la situation des
personnes déplacées [24]. En août, une commission
d’enquête comprenant trois experts
indépendants a été créée par le Conseil des
droits de l’homme. Le domaine d’enquête
était toutefois limité aux mandats des
experts des Nations unies et, dans le cas
de la commission d’enquête, à un mandat
s’attachant uniquement aux violations perpétrées
par Israël et non par le Hezbollah.
En outre, le déroulement des deux enquêtes
a été entravé par d’importantes contraintes
en termes de délais et de ressources.
– Demande d’enquête
Nous avons demandé au secrétaire général
des Nations unies d’ouvrir une enquête
exhaustive et impartiale, confiée à des
experts indépendants, sur les agissements
des deux camps. Les conclusions de cette
enquête devront être rendues publiques
et comporter des recommandations destinées
à mettre fin aux violations et à en
empêcher de nouvelles. Il conviendrait que
l’enquête examine tous les éléments d’information
disponibles, y compris les renseignements
recueillis par Amnesty International
dans le présent rapport ainsi que
dans les précédents. Elle devrait également
permettre de décider de la forme de réparation
à apporter aux victimes de violations,
notamment en matière d’indemnisation.
Par ailleurs, les enquêtes internationales
jouent un rôle capital en démontrant les
faits et les responsabilités de chacun et
cherchent ainsi à assurer le droit à la vérité
pour les victimes et le grand public, mais
c’est aux parties au conflit et à la communauté
internationale que revient la responsabilité
essentielle de garantir le droit
à la justice, en se prononçant au nom de
celle-ci sur les questions de culpabilité ou
d’innocence ainsi que sur les réparations
à apporter.
Enfin Amnesty International - ainsi que de
nombreuses ONG comme Caritas Internationalis,
Oxfam, le Réseau d’Action International
sur les Armes légères- soutient
un projet de traité international sur le commerce
des armes. Ce projet, qui a obtenu
un vote de soutien à l’Assemblée générale
de l’ONU en décembre 2006, 153 États
ayant voté pour, interdit les transferts de
toutes les armes indiscriminantes dans son
article II [25].
Le titre, le chapeau et les intertitres
sont de la rédaction.