La dernière chose à laquelle Wafaa Zbeidat s’attendait était d’être arrêtée chez elle et de devoir passer la nuit en prison.
Mme Zbeidat, militante politique de 40 ans et mère de quatre enfants, raconte comment la police israélienne a fait irruption chez elle mercredi matin dernier. "Ils ne se sont pas souciés du fait que j’étais à la maison avec mes enfants, ou que mon mari a un cancer et est en mauvaise santé, qu’il ne peut pas être laissé seul un seul instant", dit-elle. "Ils m’ont arrêtée de la manière la plus humiliante, m’ont mise dans une cellule et n’ont commencé l’interrogatoire qu’au bout de six heures. Après cela, ils m’ont transférée dans un centre de détention."
À minuit, Zbeidat a été conduite dans un tribunal, où un représentant de la police l’a accusée d’incitation contre l’État d’Israël lors d’une manifestation à l’entrée de son village natal de Basmat Tab’un, dans le nord d’Israël. "Ils ont dit que j’avais chanté en soutien aux shaheeds [martyrs] et demandé aux jeunes qui m’entouraient de filmer les policiers arabes. Le procureur n’avait pas de preuve vidéo, alors le juge m’a laissée derrière les barreaux jusqu’au matin."
Le lendemain, Zbeidat a de nouveau été conduite au tribunal, où le juge a décidé de la relâcher faute de preuves. "De toute évidence, le but était de me faire peur et de m’humilier, pour m’empêcher d’exprimer mon opinion légalement", remarque-t-elle. Lorsqu’elle est rentrée chez elle, l’état de son mari s’était détérioré et il a dû être hospitalisé.
Zbeidat est loin d’être la seule personne à subir cette expérience. Au cours du mois dernier, les raids, les arrestations et les peines de prison sont devenus la réalité pour de nombreux Palestiniens en Israël - parfois parce qu’ils ont participé à des manifestations, d’autres fois parce qu’ils ont exprimé une opinion politique ou mis une photo en ligne, et parfois sans aucune raison.
Depuis le début des manifestations à Jérusalem et dans les "villes mixtes" le mois dernier, les autorités israéliennes mènent une campagne de violence contre les citoyens palestiniens de l’État. Après qu’un cessez-le-feu ait été conclu avec le Hamas à Gaza, la police israélienne a lancé une opération d’arrestation à grande échelle baptisée "Loi et ordre".
La police affirme que l’objectif de la campagne est de "rétablir la dissuasion et d’accroître la gouvernance dans des lieux désignés de l’État d’Israël, tout en maintenant la sécurité personnelle des citoyens israéliens." Mais les militants et les avocats affirment que cette opération est une tentative de réprimer le soulèvement palestinien actuel.
Depuis début mai, la police israélienne a arrêté plus de 1 900 personnes dans tout le pays, et 348 autres depuis le cessez-le-feu à Gaza. Selon les groupes de défense des droits de l’homme, les personnes arrêtées sont en grande majorité palestiniennes, le nombre de détenus juifs ne dépassant pas 10 %. Le commissaire de police Yaakov Shabtai a décidé de prolonger l’opération d’une semaine supplémentaire.
En annonçant la prolongation, Shabtai a déclaré que les autorités ont arrêté des centaines de suspects et localisé des dizaines d’armes. "Le but de l’opération", a déclaré la police dans un communiqué, est de poursuivre "les personnes impliquées dans les événements, notamment pour possession et commerce d’armes, incendie criminel, délits contre la propriété et appartenance à des organisations criminelles."
Cependant, les avocats qui défendent les détenus affirment qu’il n’y a aucun lien entre l’opération actuelle et la lutte contre le crime organisé et la prolifération des armes illégales dans la société arabe.
"Dès le début, il était clair qu’il y avait une politique de répression des manifestations", déclare Janan Abdu, avocate du Comité public contre la torture en Israël, qui fait également partie d’un groupe d’avocats bénévoles organisé par le centre juridique palestinien Adalah. Adalah avait appelé les avocats de tout le pays à se porter volontaires pour suivre les arrestations, et très rapidement, un groupe WhatsApp a été créé pour chaque ville et village arabe. L’initiative a été rejointe par plus de 150 avocats, dont beaucoup ont passé près d’une semaine en ne dormant pratiquement pas.
Selon Mme. Abdu, les médias sociaux étaient remplis d’incitations racistes de la part de la droite israélienne ces dernières semaines. Certains ont appelé d’autres citoyens juifs à venir à Haïfa, par exemple, avec des posts leur disant quoi porter et d’apporter des matraques plutôt que des couteaux. "Les Palestiniens de Haïfa sont sortis pour protéger leurs maisons, leurs véhicules et leurs biens", a-t-elle expliqué. "On avait le sentiment que nous approchions d’une seconde Nakba et qu’ils allaient nous chasser de nos maisons. La police est arrivée et, dans les cinq minutes qui ont suivi, elle a commencé à frapper violemment et à arrêter les Palestiniens, tout en protégeant les militants de droite."
Khaled Zbarka, militant politique et avocat bénévole de la ville de Lydd, affirme que l’État n’a aucun intérêt à collecter les armes illégales des organisations criminelles qui opèrent dans les villes et villages palestiniens. "L’objectif est de nous briser, d’effrayer la société arabe, de nous transformer en esclaves et eux en maîtres", dit-il. "C’est la signification de l’État juif : La suprématie juive, l’infériorité arabe et la judaïsation de l’espace public."
Transformer les manifestations en provocations
La plupart des citoyens palestiniens arrêtés par la police étaient âgés d’une vingtaine d’années, dit Abdu, et certains avaient la trentaine. Les Palestiniens plus âgés qui ont été arrêtés étaient généralement des dirigeants locaux et des personnalités publiques, ajoute-t-elle.
Selon Abdu, les accusations portées par la police contre les détenus ne correspondent pas à leurs actions. "Ils arrêtaient une personne, l’interrogeaient sur une certaine question, et le lendemain, ils l’amenaient au tribunal et l’accusaient soudainement d’autre chose", explique-t-elle. "Cela n’est pas valable. On ne peut pas porter plainte pour avoir dérangé ou agressé un policier ou jeté des pierres lorsque l’enquête porte sur un sujet totalement différent."
Dans un cas, se souvient Abdu, la police voulait prolonger la détention provisoire au motif que le détenu accusé avait participé à la manifestation. "Mais lorsque la défense et les juges ont demandé ’Quand ? A quelle manifestation illégale spécifique a-t-il pris part ?’ [la police] n’a pas été en mesure de répondre, elle a donc répondu ’au cours du mois de mai’".
Alors que les accusations initiales étaient principalement liées à des émeutes, à la participation à des manifestations illégales et à des jets de pierres, elle ajoute que "soudainement, l’acte d’accusation inclut l’"incitation". Tout à coup, la même personne qui est sortie dans la rue pour protéger ses biens est accusée de racisme et de provocation."
Dans certains cas, les détenus se sont vu refuser tout traitement médical. "Nous sommes arrivés au poste de police les premiers jours et il y avait 30 détenus", se souvient Abdu. "Six d’entre eux avaient besoin d’un traitement médical urgent après que [la police] ait utilisé des grenades assourdissantes et des balles en caoutchouc. L’un d’entre eux a été battu et a eu une hémorragie à l’œil." Bien qu’ils aient eu besoin d’être soignés, la police a tout de même exigé de les interroger d’abord. De plus, les détenus ont été interrogés en hébreu, alors qu’ils ont le droit d’être interrogés dans leur langue maternelle, l’arabe. Certains détenus n’ont même pas été informés qu’ils avaient le droit de rencontrer d’abord un avocat.
"On nous empêchait de rencontrer les détenus", poursuit-elle. "Un jour, je suis arrivée au poste de police à 21 heures et je suis repartie à 8h30 le lendemain matin. Il y avait 38 détenus, et mes collègues et moi n’avons pu en rencontrer que huit - on nous a interdit de rencontrer les autres. On nous a demandé : "De quelle organisation faites-vous partie ? Et nous avons répondu que nous n’appartenions pas à des organisations, que nous étions des volontaires. Dans un poste de police, ils ont poussé les avocats dehors, dans d’autres, ils ont fermé la porte et n’ont pas laissé entrer les avocats, et ils n’ont pas répondu au téléphone. À Nazareth, un avocat a même été arrêté".
La police a même interrogé des enfants palestiniens, parfois sans la présence de leurs parents. "Il y avait une tendance claire à s’en prendre aux mineurs pendant les deux premiers jours", dit Abdu.
"Nous avons vu qu’ils ont amené beaucoup d’entre eux au tribunal et les ont relâchés le jour suivant. Les juges libéraient les mineurs sans conditions, ou sous des conditions telles que l’interdiction de participer à des manifestations illégales pendant 30 jours, lorsque le ministère public demandait une ordonnance d’interdiction et une prolongation de la détention provisoire. Il y a également eu des cas où les juges ont décidé de libérer les mineurs, mais où le ministère public a demandé un délai supplémentaire pour enquêter ou présenter des preuves, et où le juge a été contraint de ne pas procéder à la libération, laissant les mineurs en détention pour un jour supplémentaire.
"Ils utilisent les mêmes méthodes qu’en Cisjordanie, et même les mêmes unités", dit Abdu. "La police sous couverture, la police des frontières, le Shin Bet - ils sont tous utilisés contre nous. Même les médias ont continué à inciter contre nous. Les arrestations continuent même maintenant. Il y a des arrestations à Umm al-Fahem, Reineh, Kufr Kanna, Shefa ’Amr. Certains des détenus sont arrêtés une deuxième fois. Certains des détenus de Haïfa ont été arrêtés une seconde fois puis relâchés".
Abdu ajoute qu’elle continuera à défendre bénévolement les jeunes Palestiniens qui ont été arrêtés ces dernières semaines. "Cette semaine, nous avons donné des conférences à Haïfa sur les droits des détenus, et je vais donner une conférence dans l’un des lycées où l’un des étudiants a été arrêté et mis en examen. J’ai le sentiment qu’en tant que société, nous évoluons, apprenons et nous améliorons au fil du temps. Les réseaux sociaux ont beaucoup aidé, et nous avons appris à les utiliser. Nous sommes mieux préparés à une situation d’urgence".
La police a refusé d’aborder les allégations de mauvaise conduite au moment des arrestations, et n’a pas répondu à notre demande de savoir si des enquêtes sont menées à ce sujet, ni à notre demande de détails des cas spécifiques de mauvaise conduite de la police.
"Si vous interrogez quelqu’un, interrogez vos dirigeants politiques"
Mu’tasim Taha est un photographe du village de Daburiyya, dans le nord d’Israël. Il a récemment participé à des activités de sensibilisation culturelle dans le village, qui comprenaient des conférences données par des journalistes, des avocats, des militants et des membres de la Knesset. Taha a été arrêté mardi dernier et relâché le jour suivant. Une semaine avant son arrestation, il avait reçu des menaces d’une personne des services de sécurité israéliens exigeant que le village mette fin aux activités culturelles.
"Lorsque l’opération a commencé, à 2 heures du matin mardi dernier, nous avons été surpris par des hommes masqués en civil qui ont pris d’assaut la maison et ont effrayé ma mère et toute la famille", se souvient Taha. "Cinq personnes sont entrées dans ma chambre. Puis un agent du commissariat [local] est arrivé, et un autre agent m’a dit en arabe : ’Tu vois comment on va t’avoir’. Il a commencé à me menacer, tout en mentionnant les noms de jeunes gens de mon village."
"Puis ils m’ont arrêté", poursuit Taha. "Ils ont sorti une arme devant mon frère et sa femme s’est évanouie. Ils ont essayé de menacer les membres de ma famille".
"J’ai été arrêté avec un autre jeune homme du village. Nous sommes restés une nuit au poste de police, puis ils ont prolongé ma détention et m’ont emmené à la prison de Tzalmon, soupçonné d’avoir brûlé des pneus." Les deux hommes ont été libérés après que l’accusation n’a pu fournir aucune preuve pour étayer son affirmation selon laquelle des pneus avaient été brûlés lors de la manifestation.
"Ce qui se passe est une farce ridicule", déclare Rafi Masalha, un avocat représentant les deux jeunes hommes. "La police fabrique des soupçons et arrête des jeunes gens de manière humiliante. Ce sont des tentatives dont le but est clair : faire peur aux jeunes, à leurs familles et à la société en général. Pendant 73 ans, ils ont investi de l’argent pour nuire à la conscience [politique] de la société arabe, et maintenant ils ont découvert que la nouvelle génération a une conscience nationale."
Rashad Omri, un journaliste de Haïfa, a également été arrêté la semaine dernière, et libéré un jour plus tard sans aucune condition. Il décrit également comment d’importantes forces du Shin Bet ont pris d’assaut sa maison et l’ont arrêté. "On m’a dit [par la police] que j’avais incité au meurtre de Juifs. Je leur ai demandé qui était l’idiot qui leur avait dit cela. Ils m’ont laissé en détention pendant de longues heures avant de me transférer au tribunal. Là, le juge Tadmor Zamir leur a dit qu’elle avait examiné le dossier d’enquête, qu’elle ne trouvait aucune preuve pour les accusations, et a ordonné ma libération."
Omri raconte qu’un enquêteur de la police a essayé de lui proposer un accord selon lequel il quitterait Haïfa pendant deux semaines en échange d’une négociation de plaidoyer, mais que si Omri refusait, l’enquêteur demanderait à prolonger sa détention de 100 jours. "J’ai refusé et lui ai dit que ceux qui devraient quitter Haïfa sont les extrémistes fascistes qui sont venus attaquer les citoyens arabes de la ville".
"Il est clair qu’il s’agit d’arrestations de personnes qui ont un impact sur la société", déclare Maher Talhami, un avocat représentant à la fois Omri et Wafa Zubeidat. "Il s’agit d’une tentative d’humiliation et d’intimidation. Mais la réaction est à l’opposé de ce qu’ils attendaient. Ils s’attendaient à ce que les arrestations suscitent la peur dans la société arabe, mais elles n’ont fait que provoquer plus de rage."
La police a offert la réponse suivante aux témoignages de Zubeidat, Omri et Taha : "La police enquête sur les troubles sans aucune discrimination, quelle que soit l’identité des suspects ou des victimes. Nous continuerons à enquêter de manière objective afin de traduire les suspects en justice."
Murad Haddad, militant politique et membre du conseil de la municipalité de Shefa ’Amr, a été arrêté lors de l’opération de police, aux côtés de deux autres membres du parti de gauche Hadash, qui est l’une des factions de la Liste commune. "J’ai été détenu pendant quatre jours et interrogé pendant cinq minutes. Ils voulaient me faire peur, ainsi qu’aux habitants de la ville, et pensaient que cela calmerait les choses."
"On m’a demandé . "Etes-vous responsable de l’organisation des manifestations violentes ? J’ai répondu non. J’ai dit que si vous voulez vraiment savoir qui est responsable des manifestations, c’est Itamar Ben Gvir qui a monté sa tente [pour soutenir les colons à Sheikh Jarrah], Benjamin Netanyahu qui a donné l’autorisation au [groupe d’extrême droite] Lehava de défiler à Jérusalem, et le commissaire de police qui a envoyé des agents à Al-Aqsa. Si vous devez interroger quelqu’un, interrogez vos dirigeants politiques."
Haddad a été initialement libéré avec une interdiction de cinq jours de la ville, qui a ensuite été annulée par un juge.
"Les Palestiniens ne sont plus une minorité"
Haddad décrit comment les manifestations à Shefa ’Amr ont commencé suite aux événements de Sheikh Jarrah. " Nous avons organisé un rassemblement de soutien et de solidarité... Nous avons été surpris par le nombre de personnes qui sont venues. Je suis actif depuis plus de 30 ans et j’ai beaucoup d’expérience dans les manifestations. Le nombre de personnes qui ont participé était plus important que d’habitude. J’ai compris que quelque chose d’important était en train de se produire".
Le rassemblement, qui a eu lieu près de l’hôtel de ville, a été relativement calme, dit Haddad. La police n’est pas venue ce jour-là, mais Haddad a vu des centaines de nouveaux visages, dont beaucoup de jeunes, à la manifestation.
"Les jeunes qui ont participé à la manifestation en ont organisé une autre le lendemain", poursuit Haddad. "Il n’y avait aucune instance politique impliquée. Le lendemain, encore plus de gens sont venus. Nous avons défilé dans la ville et d’autres personnes nous ont rejoints. Un millier de personnes. Cela ressemblait à un soulèvement populaire". Sentant la réponse de la police, Haddad savait que les militants devaient se préparer, et a commencé à mettre en place des groupes WhatsApp avec des avocats et des médecins locaux, ainsi qu’un comité d’urgence.
"Nous ne sommes pas des "Arabes israéliens", comme Israël a essayé de nous faire depuis 73 ans", déclare Haddad. "Nous avons toujours dit que nous ne pouvons pas être déconnectés de notre peuple et de notre identité. Notre identité palestinienne ne peut pas nous être volée. Je ne suis pas fier de ma carte d’identité israélienne. Je suis palestinien. Si quelque chose se passe à Jérusalem, cela se passera à Gaza, à Shefa ’Amr, à Haïfa, dans les camps de réfugiés du monde arabe et en Cisjordanie. Il n’est pas naturel que Gaza soit bombardée et que les habitants de Shefa ’Amr dorment tranquillement comme si rien ne s’était passé."
"Nous ne devons pas reculer", conclut Haddad. "Nos exigences doivent être grandes, plutôt que des compromis. Nous allons parler d’un État de tous les citoyens. Nous avons compris que nous avons le pouvoir. Une fois que les Palestiniens de Jaffa, d’Acre, de Shefa ’Amr et de Lydd auront recommencé à faire partie du peuple palestinien, notre pouvoir ne fera que croître. Nous ne sommes plus une minorité, nous sommes la majorité. C’est ce qui a rendu le pays fou."
Traduction : AFPS