Photo : L’accès humanitaire restreint est un problème de vie ou de mort pour les gens dans la bande de Gaza © UNRWA
« Quelle que soit l’intention, il s’agit clairement d’une militarisation de l’aide humanitaire à Gaza » a déclaré Philippe Lazzarini, le Commissaire général de l’UNRWA.
L’UNRWA est toujours là…
Grâce à son implantation et à la présence de son personnel de terrain dans toute la bande de Gaza, l’UNRWA joue un rôle central dans les distributions d’aide et la fourniture de services à une population soumise à 15 mois de bombardements constants, de déplacements forcés et de manque de ressources essentielles. Depuis le début du cessez-le-feu du 19 janvier, l’Office a fourni une aide alimentaire à environ 2 millions de personnes. Ses équipes ont donné plus de 400 000 consultations médicales, dans des cliniques fixes et mobiles, et a largement participé à la troisième campagne de vaccination anti-polio des enfants de moins de dix ans. Elles ont fourni des articles non alimentaires (matelas, couvertures, vêtements, ustensiles de cuisine…) à plus d’un demi-million de personnes, gèrent 120 abris accueillant environ 140 000 personnes déplacées. Des milliers de camions humanitaires – dont plus de 2 300 camions de l’UNRWA – ont traversé la bande de Gaza depuis le début du cessez-le-feu jusqu’au 1er mars. Cela a posé des défis opérationnels, notamment en raison de la destruction de routes et d’entrepôts.
En Cisjordanie, les camps de réfugiés de Jénine et de Tulkarem en particulier ont subi des destructions sans précédent. Leurs habitants ont trouvé refuge dans des villages aux alentours, chez des familles, dans des structures publiques. L’UNRWA, d’autres partenaires du système des Nations unies et les communautés locales leur apportent un soutien, fournissent des articles non alimentaires, une aide financière, un hébergement lorsque cela est possible. Mais les besoins dépassent clairement leurs capacités.
... Malgré deux lois d’Israël
Ces capacités sont entravées par la mise en œuvre fin janvier 2025 de deux nouvelles lois, adoptées le 28 octobre 2024 à une écrasante majorité, par le parlement israélien et condamnées même par les alliés d’Israël. Elles empêchent l’UNRWA de continuer à opérer en Israël et dans le territoire palestinien occupé (Jérusalem-Est, Cisjordanie et bande de Gaza) [1], et bloque ses comptes dans les banques israéliennes, menaçant le paiement de ses fournisseurs et le versement des salaires à ses employés.
Selon la Loi sur la cessation des activités de l’UNRWA, l’Office ne pourra établir « aucune représentation, fournir des services ou mener des activités sur le territoire souverain de l’État d’Israël ». En violation de la Convention de 1946 sur les privilèges et immunités des lieux diplomatiques onusiens, dont Israël est signataire. L’Office a dû fermer le 30 janvier son quartier général à Jérusalem-Est occupée, dans le quartier de Sheikh Jarrah, précarisant environ 70 000 patients et plus d’un millier d’étudiants bénéficiant de soins de santé et de services éducatifs – dont des réfugiés du camp de Shu’fat [2]. Son siège avait été visé par des manifestations extrémistes israéliennes et un incendie criminel début mai 2024.
La seconde loi stipule que les autorités de l’État ne doivent maintenir aucun contact avec l’UNRWA ou ses représentants. Le statut diplomatique de ses employés internationaux et leur immunité sont ainsi révoqués, entraînant le refus ou le raccourcissement de leurs visas, permis de résidence et de déplacement en Palestine occupée, et leur redéploiement temporaire en Jordanie. Ainsi l’UNRWA n’est officiellement plus en mesure de coordonner ses missions.
Déjà l’État d’Israël avait interdit, dès le 7 octobre 2024 tout lien entre l’UNRWA et le Coordinateur des activités gouvernementales dans le territoire occupé (Cogat), un accord conclu entre l’ONU et Israël… le 14 juin 1967. Israël contrôle alors l’ensemble du territoire palestinien, y compris les dix-neuf camps de réfugiés de 1948 et des nouveaux déplacés de la guerre de 1967. Moshe Dayan avait obtenu qu’ils continuent d’être pris en charge par l’ONU, c’est-à-dire la communauté internationale, et non par la puissance occupante comme le stipulent les Conventions de Genève de 1949 [3]. Sous l’autorité du ministère de la Défense, le Cogat contrôle l’aide et les services entrant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Le porte-parole de l’Office, Jonathan Fowler, a précisé que le personnel, en majorité palestinien, demeure sur place, déterminé à rester au service des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza.
Cibler et détruire l’UNRWA
Bien que la campagne d’Israël contre l’UNRWA ne soit pas nouvelle – voir le bulletin AFPS Réfugiés n°22 [4] –, elle s’est amplifiée depuis le 7 octobre 2023. Dès le déclenchement de l’offensive militaire israélienne, António Guterres rappelait que, selon le droit international, « les locaux de l’ONU et tous les hôpitaux, écoles et cliniques ne doivent jamais être pris pour cible ». Comme si le Secrétaire général savait de quoi est capable l’état-major israélien…
Fin janvier 2024, Israël a affirmé que douze employés de l’UNRWA à Gaza ont participé à l’attaque du 7 octobre 2023. L’Office y emploie 13 000 personnes, et constitue la colonne vertébrale de l’aide humanitaire. « Aucune des trois enquêtes ouvertes – dont celle du groupe indépendant sur la transparence et la neutralité dirigée par l’ancienne ministre française Catherine Colonna – n’a trouvé de preuves à ces allégations. »
Empêcher l’UNRWA de s’acquitter de son mandat dans la bande de Gaza a été depuis plus d’un an un dogme des forces d’occupation. Par exemple interdire l’entrée de l’aide et des médicaments, organiser leur détournement voire leur destruction, s’ils portent son logo ou si l’Office assume leur distribution, encourager l’acheminement de l’aide et la mise en œuvre de projets par d’autres organisations, prendre délibérément pour cible ses convois et ses installations. En témoigne le rapport de novembre 2024 de Human Rights Watch, « Hopeless, Starving, and Besieged » [5].
Bilan : entre le 8 octobre 2023 et le 13 novembre 2024, les bâtiments de l’UNRWA – écoles, centres médicaux, foyers, bureaux – ont subi 464 attaques israéliennes à Gaza [6]. Plus d’une par jour. Elles ont fait 243 morts parmi ses équipes, et 563 parmi les civils qui s’y trouvaient. Au point que le manque de sécurité, après que plusieurs travailleurs des ONG World Central Kitchen et Save the Children ont été tués le 30 novembre 2024, a contraint Philippe Lazzarini à interrompre momentanément l’acheminement de l’aide depuis le passage de Kerem Shalom.
Pourtant, fin août 2024, lorsqu’un début d’épidémie de poliomyélite a menacé des soldats engagés sur le terrain, – et la population israélienne non vaccinée, les militaires partant périodiquement en permission –, le rôle de l’UNRWA est redevenu primordial ! En un mois, 556 774 Palestiniens de moins de dix ans sont vaccinés. L’armée israélienne a dû admettre que, sans la logistique de l’Office, aidé par l’OMS et l’Unicef, « la campagne de vaccination n’aurait jamais pu être menée à bien » selon Jonathan Adler, journaliste de Local Call. Mais alors qu’il laissait passer 1,2 million de vaccins, l’état-major israélien continuait de restreindre l’entrée d’autres médicaments de première urgence, de l’eau et de la nourriture [7].
Un droit inaliénable
« Le démantèlement permanent de la cause des réfugiés est une illusion », explique Adnan Abu Hasna, porte-parole de l’UNRWA, « le droit au retour des réfugiés palestiniens est inaliénable ». Toutes les décisions ayant trait au statut des réfugiés de Palestine ont été prises avant la création de l’UNRWA en 1949 – résolution 302 (IV) de l’Assemblée générale de l’ONU. Philippe Lazzarini l’a réaffirmé en octobre : « Mettre fin à l’UNRWA et à ses services ne privera pas les Palestiniens de leur statut de réfugiés. » C’est la résolution 194 de l’AGNU qui a affirmé le droit au retour des réfugiés, et elle a été adoptée le 11 décembre 1948.
« Son mandat ne sera rempli que lorsque les Palestiniens cesseront d’être des réfugiés », ont souligné dans leur majorité les représentants des États lors des débats consacrés à l’Office par la Quatrième commission de l’ONU, en novembre dernier. Si la défense du droit au retour ne fait pas partie du mandat de l’UNRWA, qui consiste à soutenir les réfugiés palestiniens jusqu’à une résolution politique de leur situation, elle en est le symbole.
Cécile Renaut, Groupe de travail Réfugiés de l’AFPS