Pour la commission d’enquête du Conseil des droits humains des Nations unies, la conclusion est sans appel : dans le cadre de sa nouvelle guerre à Gaza après les attaques sanglantes de combattants du Hamas et d’autres organisations palestiniennes contre des militaires et des civils en Israël même le 7 octobre 2023, Israël commet à l’égard des Palestiniens un génocide. C’est ce qu’a déclaré le 16 septembre dernier sa présidente, Navi Pillay. « Meurtre de membres du groupe ; atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe » : selon le rapport, « il est clair qu’il existe une intention de détruire les Palestiniens de Gaza par des actes qui répondent aux critères énoncés dans la Convention sur le génocide ». « La responsabilité de ces crimes atroces incombe aux plus hautes autorités israéliennes qui ont orchestré une campagne génocidaire depuis près de deux ans maintenant, avec l’intention spécifique de détruire le groupe palestinien à Gaza », a ajouté Navi Pillay.
Dès janvier 2024, saisie par l’Afrique du Sud, la Cour internationale de justice prévenait d’un risque plausible de génocide et réclamait à Israël des mesures conservatoires. Elle ajoutait à l’intention des autres États membres des Nations unies que toutes les parties à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide devaient, sans délai, prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer à leurs obligations.
Génocide et famine
Pourtant, fin septembre, après deux années de bombardements incessants à Gaza, le Bureau pour la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) déplorait la mort de plus de 66 000 Palestiniens, en plus de tous ceux dont les dépouilles gisent sous les décombres et de ceux qui sont morts de maladie faute de soins et d’accès à des hôpitaux réduits en cendres. Plus de 166 000 autres ont été blessés. Le 22 août, une nouvelle enquête du « Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) » confirmait que « plus d’un demi-million de personnes dans la bande de Gaza sont confrontées à une situation de famine, caractérisée par une insécurité alimentaire extrême, des privations généralisées et des décès évitables ». L’enquête précisait : « Près de deux années de conflit, de déplacements répétés et de restrictions sévères imposées à l’accès humanitaire – aggravées par des interruptions et des entraves constantes à l’accès à la nourriture, à l’eau, à l’aide médicale, ainsi qu’au soutien à l’agriculture, à l’élevage et à la pêche – conjuguées à l’effondrement des systèmes de santé, d’assainissement et des marchés, ont plongé la population dans la famine […] La malnutrition chez les enfants à Gaza s’accélère à un rythme catastrophique. »
Le monde sait. En dépit du huis clos imposé par l’armée israélienne, en dépit de l’assassinat ciblé des journalistes palestiniens, parviennent au monde entier les images des camps de tentes incendiés, des écoles bombardées, des lieux des rares distributions de nourriture transformés en champs de tir, des corps sans vie qui s’amoncellent sous le regard d’enfants pour qui la mort des proches et l’insécurité sont devenues la norme quotidienne, ou les images des secouristes risquant leur vie pour tenter de sauver celles des autres.
Tandis qu’en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, l’armée et les colons suprémacistes intensifient leurs pogroms contre des villages entiers pour en déloger les populations, arrêtent des Palestiniens, adultes et enfants, par centaines, projettent une extension sans précédent de la colonisation — dont le projet « E1 » qui vise à couper la Cisjordanie en deux zones discontinues et à séparer Jérusalem de tout contact avec son arrière-pays. Benyamin Netanyahou le répète : « Il n’y aura pas d’État palestinien », l’objectif étant, au détriment même de la vie des otages, d’achever ce qui ne l’a pas été en 1947-1948.
Mise sous tutelle
Dans un tel contexte, si le plan en vingt points qu’a présenté Donald Trump le 29 septembre permettait d’envisager un cessez-le-feu durable, un acheminement sans entrave d’une aide humanitaire vitale, voire la fin de l’occupation, fou qui ferait le délicat. Mais s’agit-il de cela ?
Après avoir rêvé publiquement de construire une Riviera sur les ossements sans sépulture de dizaines de milliers de Palestiniens assassinés, après avoir condamné à l’ONU les reconnaissances tardives — notamment par la France — d’un État palestinien pourtant conditionné à sa démilitarisation et à la mise en place d’une Autorité nationale sous contrôle, après avoir imposé son veto au Conseil de sécurité à toute exigence de cessez-le-feu et d’arrêt de la colonisation, après avoir décrété des sanctions à l’encontre des membres de la Cour internationale de justice ou de Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, et alors qu’il continue de financer l’armement de Tel-Aviv, Donald Trump se serait-il converti au droit international ?
Premier point de son plan : « Gaza sera une zone déradicalisée et libérée du terrorisme, qui ne représentera pas une menace pour ses voisins. » Une condition pas même envisagée concernant Israël, accusé de génocide. Second point cependant : « Si les deux parties acceptent ce plan, la guerre s’achèvera immédiatement. » Vient ensuite l’échange des prisonniers et otages, qui ne serait pas un échange faute de simultanéité, et donc de garantie : « Une fois tous les otages libérés [sur 251, 47 sont encore retenus à Gaza dont 25 ont été déclarés morts], Israël libérera 250 prisonniers condamnés à la perpétuité ainsi que 1 700 Gazaouis détenus après le 7 octobre 2023, y compris toutes les femmes et tous les enfants détenus dans ce contexte. »
Côté palestinien, le Hamas devra rendre les armes pour bénéficier d’une « amnistie ». Rien concernant en revanche les criminels de guerre israéliens, ni surtout la protection réelle du peuple palestinien. Le plan prévoit que les États-Unis travaillent « avec des partenaires arabes et internationaux pour développer une Force internationale de stabilisation (ISF) temporaire à déployer immédiatement à Gaza », sans qu’en soit précisé le mandat.
Les Palestiniens ont la mémoire de la mise en place d’une force d’interposition franco-italo-américaine à Beyrouth, censée protéger les réfugiés palestiniens après le départ de l’OLP le 30 août 1982 — une force qui n’a pas empêché les massacres de Sabra et Chatila du 16 au 18 septembre.
En cas d’accord sur ce plan, les forces d’occupation israéliennes se retireraient « par étapes ». Et « une aide complète sera immédiatement acheminée dans la bande de Gaza. […] La distribution et l’entrée de l’aide dans la bande de Gaza s’effectueront sans ingérence des deux parties, via les Nations unies et ses agences, le Croissant-Rouge, ainsi que d’autres institutions internationales non associées à l’une ou l’autre partie. »
Mais la promesse est assortie d’autres conditions, sur l’avenir même du territoire palestinien démilitarisé. Sans aucune mention du droit international, sans aucune référence au droit du peuple palestinien à l’autodétermination, sans un mot sur l’unité du territoire palestinien ni le retour des réfugiés palestiniens, mais en assurant que « personne ne sera forcé à quitter Gaza » et qu’« Israël n’occupera ni n’annexera Gaza », Donald Trump se voit en président d’un territoire sous mandat.
« Gaza sera gouvernée en vertu de l’autorité transitoire temporaire d’un comité palestinien technocratique et apolitique, chargé de gérer les services publics et les municipalités pour la population de Gaza. Ce comité sera composé de Palestiniens qualifiés et d’experts internationaux, sous la supervision et le contrôle d’un nouvel organe international de transition, le “Comité de la paix”, dirigé et présidé par le président Donald Trump, avec d’autres membres et chefs d’État dont l’ancien Premier ministre Tony Blair », le même Tony Blair engagé — sur la base de faux — dans la guerre de 2003 contre le peuple irakien, puis envoyé spécial de 2007 à 2015 d’un « Quartet » inopérant au Proche-Orient.
Et près de 110 ans après la Déclaration Balfour du Royaume-Uni alors puissance mandataire… Le texte précise que « cet organe établira le cadre et gérera le financement de la reconstruction de Gaza jusqu’à ce que l’Autorité palestinienne ait terminé son programme de réformes », avec la mise en place d’une « zone économique spéciale ».
Benyamin Netanyahou s’est félicité du plan, ajoutant que « Gaza ne sera dirigée ni par le Hamas ni par l’Autorité palestinienne » et promettant de « finir le travail » à Gaza si le Hamas n’accepte pas ou ne suit pas à la lettre le plan américain. Le 4 octobre, le Hamas s’est dit prêt à des négociations immédiates dans le cadre de ce plan. Le lendemain, la Défense civile de Gaza faisait état de plus de 50 morts dans de nouvelles frappes israéliennes.
Un cessez-le-feu et un acheminement massif de l’aide humanitaire sont urgentissimes. Et seront bienvenus. Ils ne dispensent pas du droit international, de la fin de l’occupation, du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, au retour des réfugiés, à l’indépendance et à la sécurité, à la démocratie et au choix de ses propres représentants. Ils ne dispenseront pas d’un jugement des criminels de guerre. L’Union européenne, la France notamment, ne peut se contenter de la mise sous tutelle de la Palestine. Et tous le savent : seul le respect du droit, qu’il s’agit d’imposer, peut permettre d’envisager la paix, une paix durable.
Isabelle Avran, 5 octobre 2025
Photo : Gaza en ruines © ONU




