Ce 8 février a été conclu à La
Mecque, entre le Fatah du Président
Mahmoud Abbas et le
Hamas du Premier ministre Ismail
Haniyeh, un accord fondé sur le document
des prisonniers politiques palestiniens
: il engage l’OLP, par l’intermédiaire
du Président Mahmoud Abbas, à
négocier avec Israël pour parvenir à
l’édification d’un Etat palestinien dans
les frontières de 1967, et annonce que
le gouvernement en tant que tel respectera
les accords conclus avec Israël...
Pour y parvenir, il aura donc fallu la
médiation de l’Arabie Saoudite après
celle de l’Egypte.
Que signifie le retour en force de pays
arabes alliés traditionnels des Etats-
Unis, dans le conflit du Proche-Orient,
et quelles peuvent en être les effets et prolongements
? Traduirait-il d’abord la
double inquiétude de ces régimes -à la
tête de pays à majorité sunnite- face à
l’impasse américaine en Irak et à
l’influence de mouvements chiites irakiens,
du Hezbollah et d’une certaine
façon, derrière ceux-ci, de l’Iran ? S’agitil
d’une tentative de l’Arabie Saoudite
de se rapprocher du Hamas ou bien
faut-il y voir l’envie ou l’occasion de
tenter d’instrumentaliser de nouveau la
lutte palestinienne, en disputant à une
OLP affaiblie de ne pas avoir abouti à
la création de l’Etat palestinien, l’autonomie
politique si chèrement acquise
par Yasser Arafat ? « Un des mérites
de Yasser Arafat, rappelait Bernard
Ravenel, avait été d’imposer les Palestiniens
comme acteurs de leur combat
national, et d’opérer la rupture avec la
tutelle ambiguë des régimes arabes complices
et conservateurs... Ce qui a nécessité
de toujours chercher une ligne
d’équilibre délicate, conscient que la
cause palestinienne ne pouvait pas se passer
du concours et du soutien de l’environnement
arabe. [1] »
Une ligne rouge a été franchie
Depuis 2006, la violence jusqu’alors
circonscrite aux règlements de compte
des clans familiaux ou des services de
sécurité (principalement du Fatah) s’est
politisée, s’inscrivant dans une bipolarisation - instrumentalisée par l’extérieur-
risquant de faire de la cause palestinienne
un enjeu des affrontements
régionaux qui opposent l’axe Hezbollah-
Syrie-Iran (en dépit de la spécificité et
des intérêts propres de chacun) aux pays
arabes alliés aux Etats-Unis et à Israël.
Les affrontements meurtriers de ces derniers
mois montrent, en tout cas, que le
fil rouge d’une possible guerre civile a
été franchi, rompant avec l’évolution
d’un mouvement national qui, « sous la
direction de Yasser Arafat, avait toujours
su imposer et faire respecter le
pluralisme du paysage politique palestinien -à l’inverse de ce qui s’est passé
dans les autres fronts de libération de
l’Algérie au Viêt-Nam- et le refus de
combattre son propre peuple, en quoi il
s’est distingué radicalement des autres
dirigeants arabes. Le mouvement national
palestinien a toujours été hétérogène,
traversé de multiples courants
facteurs de diversité, et son processus
de maturation parsemé d’hésitations,
d’erreurs, d’impasses et de tensions
internes. » [2] Mais toujours le spectre de
la guerre civile avait été repoussé.
Au-delà des conflits de légitimité au
sein de l’Autorité nationale palestinienne
entre présidence et gouvernement -tous deux légitimés par les urnes- et des conflits d’intérêts entre organisations
se réclamant du Fatah et du
Hamas, les responsabilités de la communauté
internationale sont énormes.
Elle s’est d’abord refusée à imposer la
reprise de la « feuille de route » ; elle a
en outre piétiné ses propres principes
démocratiques en invalidant le droit du
nouveau gouvernement palestinien, élu
démocratiquement, à gouverner, lui
imposant un blocus quasi permanent ;
elle a également laissé à la puissance
occupante les mains libres de bafouer
les accords signés. Pire, elle a autorisé
ouvertement un mécanisme totalement
arbitraire de contournement de l’aide ;
en annonçant accorder son soutien financier
au président palestinien voire à des
ONG proches du Fatah, elle a renforcé
les luttes pour le pouvoir et encouragé
les exigences de certains dirigeants
palestiniens (tels Mohamed Dahlan) de
voir organisées de nouvelles élections.
Au risque d’une guerre civile. Les Etats-
Unis, eux, n’ont cependant pas hésité à
faire pression pour la tenue de nouvelles
élections.
Un gouvernement d’unité
nationale, avec quel
programme ?
« Il y a deux légitimités qui ont des positions
divergentes. Il fallait que le gouvernement
permette cette cohabitation »
expliquait Camille Mansour dans un
entretien récent [3]. Il y en a même une
troisième : c’est celle de la société civile
qui souhaite depuis longtemps un gouvernement
d’unité nationale et qui exige
la cessation des affrontements meurtriers
entre les différentes branches militaires
palestiniennes. Camille Mansour
ajoutait que si gouvernement d’unité
nationale il y avait, il devrait être constitué
sur un programme et sur la reconnaissance
des accords internationaux
signés par l’OLP.
Car, avec l’arrivée du Hamas au pouvoir,
une autre ligne rouge a été franchie qui
conforte les refus du Fatah. Bernard
Ravenel rappelait que Yasser Arafat
avait vite compris que la cause palestinienne
avait un besoin absolu du consensus
et de l’attention de la communauté
internationale, peuples et Etats, pour
imposer la légitimité des droits palestiniens
et même tout simplement pour
survivre. « En donnant la priorité au
politique, au diplomatique par rapport
au militaire, il a opéré une révision fondamentale
des options stratégiques initiales
du mouvement. En posant la reconnaissance
du droit comme condition
fondamentale pour la paix, Arafat a
donné au combat palestinien une valeur
universelle. » Cette universalité prenait
le risque d’être remise en cause par
l’intransigeance du Hamas.
Saëb Bamya [4] faisait cette analyse en
novembre : « Quand Hamas a accepté
de participer aux élections, il acceptait
également les règles du jeu définies par
l’Accord d’Oslo. Mais il a triché. Il
n’était pas prêt à respecter le minimum
des engagements internationaux pris
par l’OLP. Comment est-ce qu’il pensait
survivre dans la situation d’occupation
et de dépendance de l’aide de la
communauté internationale ? Par la
résistance ? Laquelle ? La résistance
armée ? C’est un débat qui agite la
société palestinienne depuis ce qu’on a
appelé à tort la seconde Intifada. Que
signifie l’Intifada ? C’est une stratégie
de résistance populaire. Il n’y a jamais
eu de deuxième Intifada populaire. Il
faut s’interroger sur l’emploi des armes.
Quelle est leur efficacité ? Il faut savoir
quand on est fort ou quand on est faible.
Le sang palestinien versé doit être considéré
sérieusement. Nous souffrons d’un
déficit de renouvellement de la pensée
stratégique et de leadership. »
La nécessaire recomposition
du mouvement national
Il y a bien une crise de représentation politique
et de recomposition du mouvement
national. Il ne faut pas sous-estimer
le véritable séisme politique qu’a
provoqué en son sein la victoire du
Hamas, en rupture avec ce qui a fait
l’essence « universaliste » de la cause
palestinienne et son projet de société.
Ce sont bien deux visions politiques de
l’Etat qui s’affrontent : l’une pour un Etat
palestinien, indépendant et démocratique,
ouvert à la coexistence de confessions
multiples, l’autre fondée sur une
vision religieuse. « Au nom de la Palestine
“laïque et démocratique”, ces Palestiniens
libres posaient la question palestinienne
comme un projet politique
contemporain et non comme une régressive
répétition des croisades. Ceux qui
avaient vu dans la grande vague mondiale
de la décolonisation et du mouvement
autour de 1968 qui la prolonge,
une promesse d’émancipation du genre
humain pourraient considérer ces Palestiniens
comme des leurs et leurs objectifs
révolutionnaires comme allant dans le sens de leurs aspirations. » [5]. Ce traumatisme, Samia Bamya [6]
l’exprime avec émotion : « Quand je
parle de 40 ans de combat national, je
parle de 30 ans de ma vie de militante
politique. Vous ne pouvez pas savoir
ce que ça veut dire pour moi que cette
Palestine dont on a rêvé, pour laquelle
nous nous sommes battus, n’existe plus
comme projet politique. Cela fait dix
ans que je suis rentrée en Cisjordanie.
Je suis Palestinienne mais
pas du pays. J’appartiens à un
projet politique plus qu’à la
géographie. Ma vie personnelle
est tellement fondue
dans ce projet que je ne peux
pas accepter d’avoir échoué
et de perdre espoir. » [7]
L’accord conclu à La Mecque
constitue-t-il, de ce point de vue,
un tournant ?
Quelles perspectives ?
Pour Samia, « Le Fatah a une
très grande responsabilité
parce qu’il n’a pas su accomplir
sa mutation de mouvement révolutionnaire
en parti de gouvernement.
Totalement amalgamé à l’Autorité palestinienne,
il n’a pas su garder son identité
et son ancrage populaire. S’il veut
continuer à être un parti vivant, il est
temps qu’il se réorganise. Tout dépend
maintenant de la façon dont celui-ci va
résoudre ses contradictions internes.
Ce n’est ni une question d’affrontements
de générations, ni une opposition entre
ceux de l’intérieur et ceux qui sont arrivés
de l’extérieur. Finalement c’est un
problème de programme qui réponde
aux aspirations sociales de notre peuple
et d’organisation. Actuellement,
n’importe quel groupuscule peut se
réclamer de la bannière du Fatah. Seul
un Congrès pourrait mettre un terme à
ces agissements en affirmant son appartenance
au mouvement national palestinien
et en définissant une plateforme
politique claire et des critères stricts
d’adhésion. » [8]
- © Mc Donald, El Heraldo
Le Fatah peut-il réussir cette mutation,
lui qui est un parti nationaliste large,
diversifié, historiquement composé de
réfugiés et de Palestiniens de l’exil, qui
s’est structuré sur l’idée que les classes
sociales palestiniennes s’étaient dissoutes
dans le grand corpus d’une patrie
de réfugiés ? La crise politique du
Fatah ne date-t-elle pas du retour
en Palestine de la majorité
de ses cadres pour former
l’Autorité
nationale et de la confrontation avec les
réalités de classe d’une société palestinienne
qu’ils ne connaissaient pas et qui
ont fait éclater les contradictions sociales
en son sein ? Pourra-t-il se transformer
en un parti porteur d’un projet social et
national sans se diviser ? Et cette rupture,
qui permettrait une recomposition d’un
pôle progressiste, n’est-elle pas souhaitable
? Le Fatah ne peut plus en tout
cas se contenter de sa légitimité historique
et de sa position d’interlocuteur
incontournable des Européens et des
Américains pour prétendre reconquérir
le pouvoir.
La refondation de la dynamique nationale
semble incontournable, analyse Jean-
François Legrain : « La reconquête par
les Palestiniens de leur indépendance de
décision politique est conditionnée par la
fin des combats sur le terrain, mais surtout
par la revivification et la réforme
de l’OLP. Réclamée par toutes les forces
politiques, ces deux exigences figurent
également au coeur du “document
d’entente nationale” que l’Accord de la
Mecque et la lettre de mission du Président
Abbas au Premier ministre viennent
d’élever au rang de référence du
futur gouvernement d’union nationale. » [9]
Se posent les questions qui fondent la
démarche de l’OLP : comment orchestrer
des avancées stratégiques et politiques,
comment mener la question territoriale
et maintenir l’unité nationale ?
On ne pourra pas résoudre ces questions
sans resituer la place de la diaspora dans
l’OLP et sans réfléchir à la recomposition
des forces qui la composent, notamment
la question de l’intégration du
Hamas.
Selon Ghassan Khatib, l’Accord de la
Mecque est à ce titre ambigu : « Il
confirme l’évolution politique du Hamas
vers la reconnaissance de la légalité
internationale et un rapprochement de
la plateforme politique de l’OLP. Cela
ouvre un espoir de rapprochement entre
les groupes politiques palestiniens,
principalement Hamas et Fatah, préparant
la mise en place tellement souhaitée
d’un gouvernement d’union nationale.
En revanche la question de la
refondation de l’OLP n’a pas avancé,
Hamas exigeant des réformes de la plateforme
politique et de la composition
de sa direction. C’est une question épineuse
qui peut s’avérer dangereuse pour la légitimité de la cause palestinienne
et de l’OLP reconnue internationalement
comme son représentant,
si l’OLP accepte en son sein le Hamas
tel qu’il est. » [10]
L’urgence d’un changement
de stratégie internationale
L’accord de la Mecque modifiera-t-il
l’attitude de la communauté internationale
? Pour l’instant, elle ne se précipite
pas pour annoncer la reprise de
l’aide à l’Autorité palestinienne. Le vrai
problème peut être résumé ainsi : il n’y
a aucune volonté de reprendre le dialogue.
Israël n’est pas prêt à prendre le
pari de la paix, conclut Saeb Bamya .
« Où est l’alternative ? Toutes les cartes
sont connues. Les Palestiniens ont
accepté un compromis historique en
acceptant l’existence de deux Etats.
Nous ne ferons pas de nouvelles concessions.
Les Européens doivent voir où
sont leurs intérêts, indépendamment de
la politique américaine. Il ne peut pas
y avoir de nouvelle carte sans une réelle
intervention de l’Europe qui doit envoyer
un message clair. »
« Quel est notre espoir à court terme ?
Nous espérons un nouveau gouvernement
qui respecte les accords internationaux
signés par l’OLP. Je vois deux priorités
: donner à la paix la dernière chance.
Pour sauver la solution de deux Etats,
c’est une question de mois. S’il n’y a
pas très vite de décision internationale
du Quartet d’ouvrir des négociations
sur le statut final, je crois que ce sera
la célébration par les extrémistes de
l’enterrement de deux Etats et la continuation
du conflit pour la future génération
; en finir avec le boycott de la
communauté internationale pour empêcher
la faillite totale de notre économie
et l’échec de l’Autorité nationale. »