La Haute Cour de justice tiendra une nouvelle audience ce mardi pour les deux requêtes contre l’expulsion permanente des résidents de Masafer Yatta de leurs maisons, dans le cadre d’une tentative de l’État de déclarer une partie du sud-est de la Cisjordanie "zone de tir" pour les exercices militaires israéliens réguliers.
Après avoir reporté la décision sur les requêtes pendant deux décennies, la Haute Cour devrait bientôt rendre sa décision finale. Donner suite aux demandes d’évacuation totale formulées par l’État signifierait la fin de huit villages palestiniens de Masafer Yatta - également connus sous le nom de collines du sud d’Hébron - et l’effacement de leur mode de vie distinct, développé sur plusieurs générations.
L’État affirme que les résidents palestiniens sont des intrus qui ne résidaient dans la région que de façon saisonnière avec leurs troupeaux avant que la région ne soit officiellement désignée comme zone de tir 918 au début des années 1980.
Au-delà de l’avis juridique selon lequel le déplacement forcé d’une population protégée vivant sous occupation viole le droit international, les requêteurs font valoir que leurs familles ont vécu dans ces villages troglodytes de la région depuis avant même la création d’Israël. Ils affirment également que Masafer Yatta constitue un tissu unique de communautés, avec des liens de famille et de subsistance entre elles et avec la ville principale de la région, Yatta.
Un prétexte parfait
Les habitants des hameaux vivent de l’élevage de moutons et de l’agriculture non irriguée, tandis que Yatta leur fournit des services éducatifs, médicaux et commerciaux, ainsi qu’un endroit où vivre pendant la chaleur intense des mois d’été.
Bien qu’Israël prétende que leur "vraie" maison est Yatta, dans le but d’annuler leur revendication sur leurs terres, personne à Masafer Yatta ne nie son lien étroit, voire symbiotique, avec la ville, car c’est exactement de cette manière que de nombreuses communautés palestiniennes se sont développées pendant des centaines d’années.
À mesure que la population et le bétail se sont multipliés, les habitants se sont éloignés pour trouver de nouvelles sources d’eau et davantage de terres à cultiver et à pâturer. Les grottes leur servaient d’habitations principales dans ces nouvelles extensions. Avec le temps, de plus en plus de personnes se sont installées sur les terres de bordure, et avec elles, de nouvelles maisons et des bergeries sont apparues, ainsi que des bâtiments publics et des routes de liaison.
Après la guerre de 1967, Israël a agi pour mettre fin à ce processus naturel et bien connu de développement dans toute la Cisjordanie occupée, et la désignation d’une zone de tir a été l’un de ses moyens pour atteindre cet objectif.
En juillet 2020, le tribunal s’est vu présenter un document exhumé par l’Institut Akevot de recherche sur les conflits israélo-palestiniens, qui a révélé l’objectif explicite de la zone de tir. Lors d’une réunion du comité conjoint pour les affaires des colons le 12 juillet 1981, à laquelle assistaient des représentants du gouvernement israélien et de l’Organisation sioniste mondiale, le président du comité et ministre de l’Agriculture de l’époque, Ariel Sharon, a déclaré au représentant des FDI que "des zones d’entraînement supplémentaires doivent être fermées à la frontière, [entre] le bas des collines d’Hébron et le désert de Judée" - en d’autres termes, Masafer Yatta - afin d’arrêter "la propagation des villageois arabes sur le flanc de la montagne vers le désert."
Peu après sa proclamation, la zone de tir 918 est née.
Les résidents sont cependant restés sur place avec un minimum de perturbations jusqu’au 16 novembre 1999, date à laquelle l’armée et l’administration civile ont expulsé de force plus de 700 personnes de leurs maisons. C’était l’époque des négociations de paix israélo-palestiniennes, basées sur les accords d’Oslo ; le travailliste Ehud Barak était Premier ministre et ministre de la défense. À la tête des organismes qui ont procédé à l’expulsion massive se trouvaient Shaul Mofaz, le chef d’état-major des FDI, Yaakov Or, le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, et Dov Zedaka, le chef de l’administration civile.
Cinq premiers ministres, neuf ministres de la défense, sept chefs d’état-major des FDI et huit coordinateurs des activités gouvernementales dans les territoires ont été en fonction depuis les premières requêtes déposées au début de l’année 2000 contre les expulsions.
Dans une ordonnance provisoire, les juges ont ordonné au gouvernement de permettre aux résidents expulsés de revenir jusqu’à ce qu’une décision soit rendue. Mais l’ordonnance provisoire ne mentionnait pas les bâtiments utilisés comme résidences, les grottes, les citernes d’eau et les bergeries déjà démolies par l’armée, et n’ordonnait pas leur reconstruction. Cela a permis à l’administration civile de considérer tout ce qui a été construit à Masafer Yatta comme une construction illégale. Depuis lors, les hameaux font régulièrement l’objet de démolitions, ainsi que de la confiscation de véhicules et de structures mobiles. L’administration civile empêche également les villages de se raccorder au réseau d’eau et d’électricité.
Pendant des années, le bureau du procureur de l’État et les FDI ont demandé de reporter leurs réponses aux requêtes. La réponse de l’État est finalement arrivée en avril 2012, indiquant que l’armée avait apporté quelques modifications au plan initial de la zone de tir et qu’elle avait exigé la démolition et l’évacuation de huit des douze villages. La réponse indiquait que Barak, qui était alors ministre de la défense, soutenait la position de l’armée. En conséquence, la Haute Cour de justice a ordonné le retrait des requêtes. Les deux nouvelles requêtes déposées en 2013 sont celles qui seront examinées mardi.
Douze juges, deux médiations ratées
Afin de tenter de résoudre le conflit, les juges ont proposé deux processus de médiation. Le premier médiateur, en 2004, n’était autre que Dov Zedaka, l’ancien chef de l’administration civile. Le second médiateur, en 2013, était l’ancien procureur général et juge de la Cour suprême à la retraite, Yitzhak Zamir. La première proposition aurait vu les résidents déplacés dans une autre zone, tandis que la seconde stipulait qu’ils devaient quitter leurs maisons et faire paître leurs troupeaux en coordination avec le calendrier d’exercices des FDI. Masafer Yatta s’est opposé aux deux propositions.
Douze juges de la Cour suprême, répartis en différents groupes, ont entendu les requêtes depuis 2000. Les premiers ont été l’ancien président de la Cour suprême, Aharon Barak, et les juges Dalia Dorner et Ayala Procaccia, qui ont ordonné que les personnes expulsées soient autorisées à revenir. Isaac Amit, Esther Hayut et Uzi Vogelman ont décidé en 2012 de retirer les requêtes initiales.
En août 2020, les juges Amit, Menachem Mazuz et Hanan Melcer - ces deux derniers approchant de la retraite - ont examiné les nouvelles requêtes. Le panel de trois juges a clairement indiqué qu’il préférait que les parties parviennent à un compromis. Les habitants des villages refusant de quitter leurs maisons et le gouvernement insistant sur le fait qu’il n’y a pas d’alternative à cette zone de tir, les avocats ont supposé que les juges étaient sur le point de rendre une décision.
Sept avocats du bureau du procureur de l’État ont représenté la position officielle selon laquelle les Palestiniens qui vivent dans la région sont des intrus et doivent être déplacés pour que la zone de tir soit pleinement activée : Mike Blass, Orit Koren, Eran Ettinger, Hila Gorni, Ilil Amir Kasif, Aner Helman et Itzchak Bart. En comparaison, les avocats des résidents de Masafer Yatta sont restés les mêmes : Dan Yakir de l’Association pour les droits civils en Israël et Shlomo Lecker.
Une autre avocate, Netta Amar-Shiff, qui travaillait pour l’IARC lorsque la première pétition a été soumise, a représenté ces dernières années le conseil de Masafer Yatta, qui comprend 14 villages, dont les huit destinés à la démolition. En février 2021, Amar-Shiff a soumis une demande d’inclusion du conseil local en tant qu’amicus curiae, un "ami de la cour". Elle a joint l’avis de plusieurs experts, dont un archéologue et un historien, ainsi que des témoignages et des déclarations sous serment décrivant la profondeur de l’attachement des villageois à la région et à leurs terres, et attestant de leur présence continue dans le temps.
Lors de l’audience de mardi, les juges David Mintz, Ofer Grosskopf et Isaac Amit devraient décider s’ils acceptent la demande du conseil, dirigé par Nidal Younis du village de Jinba, de se joindre à la procédure en tant qu’amicus curiae. Le gouvernement s’oppose à cette demande, bien qu’il estime que les documents soutiennent en fait la position selon laquelle la présence palestinienne dans le secteur de la zone de tir avant les années 1980 n’était que saisonnière. Comme deux des juges du panel actuel - Grosskopf et Mintz - n’ont jamais entendu l’affaire auparavant, la Haute Cour a accepté la demande de l’IARC que l’audience aborde à nouveau le fond des requêtes, et pas seulement la demande d’amicus curiae.
Le professeur Rassem Khamaisi, urbaniste et géographe urbain au Technion - Institut israélien de technologie à Haïfa, a préparé un plan directeur pour les villages. Dans son avis, qui est inclus dans la demande de participation en tant qu’amicus curiae, il écrit : "Malgré la déclaration de la zone militaire fermée 918, les villages et les communautés continuent d’exister de jure et de facto sur le terrain, sans qu’il y ait d’autre emplacement qui puisse servir et convenir à leurs besoins et à leurs modes de vie uniques. [Les résidents des villages] sont nés et ont grandi dans ces villages, ont construit des maisons, travaillé leurs terres, trouvé leurs moyens de subsistance, marié leurs enfants et légué leur patrimoine culturel à leurs enfants."
Traduction : AFPS