Le projet d’Al Kamandjâti a 20 ans. Tout commence en 2002 à Angers avec la création de l’association Al Kamandjâti (le violoniste). Quatre ans plus tôt, Ramzi Aburedwan, altiste débutant de 18 ans, avait débarqué au Conservatoire à rayonnement régional pour un parcours complet de 7 ans, avec une bourse du consulat général de France à Jérusalem. Sans relâche depuis son arrivée, il a raconté la Palestine. Et surtout, il a embarqué de plus en plus de monde dans son rêve, y com- pris des professeurs du conservatoire : offrir aux enfants de son pays la possibilité de vivre le même épanouissement que lui, grâce à la musique. Et la mobilisation a été telle que, dès 2005, la première école de musique était inaugurée à Ramallah. La même année, médaille d’or du Conservatoire en poche, Ramzi rentrait en Palestine.
Vingt ans plus tard, sept écoles fonctionnent : à Ramallah, Jénine et Deir Ghassana, ainsi que dans quatre camps de réfugiés, en Palestine (Qalandia et Jalazon) et au Liban (Chatila et Bourj El-Barajneh). Elles accueillent près de 500 enfants : initiation musicale pour les plus jeunes puis, rapidement, apprentissage d’un instrument. Les élèves suivent également des classes de sol- fège, d’orchestre, ou de chorale. Aujourd’hui, les enseignants sont essentiellement palestiniens. Pour une bonne part, ce sont d’anciens élèves. Ils ont remplacé progressivement les musiciens eu- ropéens ou américains du début. Plusieurs sont venus en France dans différents conservatoires (Angers, Bordeaux, Toulouse…) pour devenir professeurs ou concertistes. L’association a réussi à créer un environnement où apprentissage, jeu et expression sont intrinsèquement liés. Une réponse adaptée aux besoins des enfants qui ont souvent rencontré des épisodes de violence traumatisants.
Une anecdote, extraite du livre Le Pouvoir de la musique, une enfance entre pierres et violon en Palestine de Sandy Tolan, rend compte des bienfaits de cet apprentissage. Un soir de 2008, le van qui ramenait d’un concert des enfants de l’école de musiques, est stoppé à un checkpoint volant. L’un des soldats, voyant l’étui à violon de Alá – 10 ans, exige qu’elle joue devant lui. Quelle attitude adopter face à cette injonction incongrue ? S’exécuter, afin de sortir rapidement de cette situation banalement humiliante ? Tolan raconte : « À cet instant, au poste de contrôle volant, Alá sortit calmement son violon, le plaça sous son menton, se leva et se mit à jouer. […] La regardant intensément depuis l’intérieur du van, Rasha sentit monter la fierté chez sa petite sœur, qui jouait sans s’inquiéter. Ils prétendent que nous n’avons aucune identité, mais Alá était en train de leur prouver qu’ils avaient tort. […] Désormais, Alá, Rasha et d’autres enfants d’Al Kamandjâti portaient leur musique comme on porte une armure, elle les protégeait des soldats ».
Dès 2010, un programme d’éducation musicale est proposé aux écoles publiques et à celles de l’UNRWA. Plus de 900 enfants le suivent chaque année. Ce programme s’appuie sur des outils pédagogiques conçus par l’équipe académique de l’association, en collaboration avec plusieurs experts de l’apprentissage en milieu scolaire. En parallèle, Al Kamandjâti organise régulièrement concerts et manifestations dans les villes, les camps de réfugiés et les écoles (sur YouTube, on trouve de nombreux extraits de ces événements). Depuis 2016, un Festival international a lieu au printemps. Dans sa dernière version « avant covid », en avril 2019, il s’est tenu dans 16 lieux différents, en Cisjordanie, à Jérusalem et à Gaza. 80 artistes issus de 18 pays y ont participé. Plus de 20 000 personnes ont été accueillies. Cette même année, deux camps d’été ont été organisés en Palestine et au Liban ; ils ont accueilli chacun de 30 à 40 élèves, encadrés par des professeurs palestiniens et internationaux. Enfin un nouveau projet « Al Fanfardjâti » a démarré. L’objectif est de créer une fanfare d’enfants. 6 professeurs et 100 enfants sont concernés. En 2020, le covid a durement touché les activités, mais l’association s’est attachée à ne pas s’éloigner de ses élèves et à les aider pendant cette épreuve : cours en visioconférence, concerts d’élèves en ligne, productions multiculturelles… Aujourd’hui, l’activité redémarre dans un contexte compliqué par la perte de nombreux financements européens qui, depuis bientôt trois ans, étouffe progressivement nombre d’associations et impose la réduction des projets.
En France, l’action se poursuit depuis Angers avec la collecte d’instruments de musique pour les écoles et l’accueil des étudiants les plus avancés dans plusieurs conservatoires. Des tour- nées de musiciens palestiniens sont organisées chaque année. L’année 2022, qui marque les 20 ans de l’association, est l’occasion de nombreux événements et concerts, avec en particulier la création de l’orchestre Arabo-andalou de l’Anjou (25 musiciens et choristes), le lancement du festival « Les Orientales en Anjou », l’accueil de la chorale d’enfants de Bethléem et d’Hebron « Amwaj » et, en novembre, la tournée en France des « Talents palestiniens du Liban » (renseignements : info@alka mandjati.org).
L’actualité de l’association est accessible sur son site inter- net, sur la page Facebook Al Kamandjâti France et la chaîne YouTube.
Bernard Devin, AFPS
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