Date : 23 juin 2022
Soumis par :
Addameer Prisoner Support and Human Rights Association (Association de soutien aux prisonniers et de défense des droits de l’Homme)
Organisation Al-Haq - Le droit au service de l’humanité
Association France Palestine Solidarité
Centre Bisan pour la recherche et le développement
Institut du Caire pour les études sur les droits de l’Homme
Community Action Center - Université Al Quds
Defense for Children International - Palestine
Centre d’aide juridique et des droits de l’Homme de Jérusalem
ACAT France - Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture
Centre Palestinien des Droits de l’Homme
Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Institut Palestinien de Diplomatie Publique "The PIPD".
A l’attention de :
La Rapporteure Spéciale des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme dans le territoire palestinien occupé depuis 1967, Mme Francesca Albanese ;
Groupe de travail sur la détention arbitraire, Mme Leigh Toomey (Présidente-Rapporteure) ;
La Rapporteure spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, Mme. Mary Lawlor ;
La Rapporteure spéciale des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Mme Irene Khan ;
La Rapporteure spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, Mme E. Tendayi Achiume ;
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats, M. Diego García-Sayán ;
L’expert indépendant des Nations Unies sur les droits de l’Homme et la solidarité internationale, M. Obiora C. Okafor ; et
La Rapporteure spéciale des Nations Unies sur le droit à la vie privée, Mme Ana Brian Nougrères.
Introduction et résumé de l’affaire
Cet appel urgent présente une mise à jour concernant le cas de Salah Hammouri, avocat et défenseur des droits de l’Homme palestinien de 37 ans, initialement détaillé dans un appel urgent conjoint soumis aux procédures spéciales des Nations Unies le 21 mars 2022. Les forces d’occupation israéliennes ont arrêté Salah Hammouri le 7 mars 2022 lors d’un raid à l’aube à son domicile à Kufr Aqab, au nord de Jérusalem. Trois jours plus tard, le 10 mars 2022, le commandant militaire israélien a émis un ordre de détention administrative contre Salah pour trois mois, jusqu’au 6 juin 2022. [1]
Le 6 juin 2022, le matin de sa libération prévue de la prison d’Ofer, Salah a pris connaissance de l’ordre de renouvellement de sa détention administrative de trois mois par les médias disponibles dans sa cellule. Les autorités d’occupation israéliennes avaient émis un ordre de renouvellement le 2 juin 2022. Cependant, elles ont choisi de cacher cette information à Salah et à son avocat, et n’ont informé son avocat que quelques heures avant la date de libération.
Le 9 juin 2022, le tribunal militaire d’Ofer a confirmé l’ordre de renouvellement pour
trois mois supplémentaires, jusqu’au 5 septembre 2022. La détention administrative de Salah, sans inculpation ni procès, est fondée sur des "informations secrètes" et est toujours sujette à des renouvellements infinis.
Plus de 600 Palestiniens placés en détention administrative boycottent actuellement les tribunaux militaires israéliens pour protester contre la pratique illégale, systématique et arbitraire de la détention administrative par l’occupation israélienne. Salah se joint au boycott, refusant de participer aux procédures militaires liées à sa détention administrative et demandant à son avocat de faire de même.
Le renouvellement de l’ordre de détention administrative de Salah est représentatif du harcèlement systématique plus large et continu des autorités d’occupation israéliennes visant à supprimer les défenseurs palestiniens des droits humains et de la société civile. Salah, âgé de 37 ans, est un Palestinien-Français de Jérusalem, un défenseur des droits humains de longue date et un ancien prisonnier politique et employé de l’association Addameer Prisoner Support, association de défense des droits de l’Homme depuis 2014. En représailles au nécessaire travail d’Addameer en faveur des droits humains et de défense des prisonniers palestiniens, l’organisation a été criminalisée, mise hors la loi et désignée sans fondement comme "organisation terroriste" en octobre 2021 par le régime d’occupation et d’apartheid israélien, ainsi que cinq autres grandes organisations palestiniennes de la société civile et de défense des droits humains.
Salah fait l’objet de persécutions israéliennes depuis qu’il a 15 ans, âge auquel il a été blessé par balle en 2000. Il a été arrêté pour la première fois à l’âge de 16 ans et est depuis lors confronté à un harcèlement judiciaire et administratif continu de la part des autorités d’occupation israéliennes, incluant six périodes d’emprisonnement et d’arrestations arbitraires, plusieurs interdictions de voyager, des cautions et des amendes exorbitantes, des assignations à résidence, la séparation avec sa famille, la surveillance et l’espionnage, et plus récemment, la révocation illégale de sa résidence permanente à Jérusalem et son expulsion forcée de Jérusalem le 18 octobre 2021, en plus de sa détention administrative arbitraire actuelle sujette à des renouvellements infinis.
La détention administrative comme forme de torture psychologique
Le droit international humanitaire autorise la détention administrative dans des circonstances spécifiques et étroitement définies. En vertu de l’article 78 de la Quatrième Convention de Genève, une puissance occupante n’est autorisée à recourir à la détention administrative que" pour des raisons impérieuses de sécurité ". [2] De plus, selon l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la détention administrative ne peut être ordonnée qu’au cas par cas, sans discrimination d’aucune sorte, soulignant que la détention administrative ne peut être utilisée comme substitut à des poursuites pénales lorsque les preuves sont insuffisantes pour obtenir une condamnation.
L’utilisation par Israël de la détention administrative dans une dimension collective et à grande échelle contrevient délibérément à ces restrictions et constitue de la détention arbitraire et injustifiée. Comme l’a déclaré Michael Lynk, ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme dans les territoires palestiniens, "l’utilisation par Israël de la détention administrative n’est pas conforme aux circonstances extrêmement limitées dans lesquelles elle est autorisée par le droit international humanitaire, et prive les détenus des garanties juridiques fondamentales du droit international des droits de l’Homme". C’est cette non-conformité que Salah subit actuellement avec le renouvellement de l’ordre de renouvellement de la détention administrative de trois mois.
La pratique des autorités d’occupation israéliennes consistant à prolonger les périodes de détention administrative de cette manière constitue également une forme de torture psychologique infligée aux détenus palestiniens. Lorsque les détenus commencent à penser qu’ils seront bientôt libérés, les autorités d’occupation israéliennes renouvellent souvent l’ordre de détention sans aucune charge. Plusieurs études sur les effets de la détention administrative démontrent que l’élément d’imprévisibilité, la perte de contrôle et l’absence d’une date de fin précise contribuent à créer une pression aiguë sur les détenus et leurs familles, les obligeant à vivre dans un "état d’attente permanent". Comme l’explique le psychologue Murad Amro, Centre de conseil palestinien (PCC), "la détention administrative peut être qualifiée de torture psychologique en raison du fait que le détenu doit faire face à des dimensions de l’inconnu. Dans le cas de la détention administrative, vous ne savez pas pourquoi vous êtes là, vous ne savez pas quand vous partirez ; le temps et l’espace sont hors de contrôle.
Lors d’une visite de prison effectuée par Addameer le 9 juin 2022, Salah Hammouri lui-même considéré le renouvellement de l’ordre de détention administrative comme une forme de pression psychologique. Selon ses mots : "Je comprends que mon arrestation arbitraire est une forme de pression psychologique continue et la continuation du harcèlement constant dont je fais l’objet. Cela fait également partie de la pression
que les autorités d’occupation israéliennes exercent pour me faire quitter Jérusalem. Pour que je prenne une telle décision de quitter Jérusalem et ma maison... Cela n’arrivera jamais. Ma décision n’est pas seulement la mienne - elle a des implications pour tous les Palestiniens résidant à Jérusalem."
Contrôle judiciaire : les tribunaux militaires israéliens et la confirmation des ordres de détention administrative
Au lieu d’offrir un procès impartial, indépendant et équitable, les tribunaux militaires israéliens servent à poursuivre des milliers de Palestiniens et à violer leur droit à un procès équitable garanti par les conventions internationales. Salah a rejoint plus de 600 détenus administratifs palestiniens en boycottant les tribunaux militaires israéliens pour protester contre la pratique illégale, systématique et arbitraire de la détention administrative. Le boycott inclut les tribunaux militaires israéliens à tous les niveaux, y compris les tribunaux de première instance, les cours d’appel et la Haute Cour civile israélienne. En conséquence, les détenus administratifs palestiniens refusent de participer aux procédures et aux audiences des tribunaux ; leurs avocats n’assistent plus ou ne participent plus aux procédures judiciaires en leur nom.
Après l’émission d’un ordre de détention administrative, un examen judiciaire de l’ordre doit avoir lieu dans les huit jours. La détention administrative n’étant pas assortie d’un véritable procès, l’examen judiciaire des dossiers de détention administrative est effectué par une cour de contrôle judiciaire devant un juge militaire et non par une commission. Actuellement, le juge militaire israélien conserve la décision d’inviter ou non l’officier de renseignement israélien, ce qui signifie, dans la plupart des cas, que le juge militaire décide sur la confirmation de l’ordre de détention administrative seulement en se familiarisant avec un résumé des preuves, sans lire tout le contenu du matériel secret, et sans examiner l’authenticité de l’information. Cette pratique constitue une violation de l’article 78 de la Quatrième Convention de Genève, qui stipule que la "Puissance occupante" doit confier l’examen des recours judiciaires soit à un "tribunal", soit à une "commission" où "la décision ne sera jamais laissée à un seul individu. Il s’agira d’une décision commune, ce qui offre aux personnes protégées une meilleure garantie de traitement équitable". [3]
Détention administrative dans un contexte de révocation de la résidence et de persécution continue
L’arrestation et la détention arbitraires de Salah Hammouri apparaissent d’autant plus urgentes et exceptionnelles à la lumière de la décision illégale du ministre israélien de l’Intérieur du 18 octobre 2021, de révoquer son statut de résident permanent à Jérusalem sur la base d’une " violation du devoir d’allégeance à l’État d’Israël ". [4] Le déclenchement de la révocation de son statut de résident en vertu de l’amendement n°30 à la loi sur l’entrée en Israël de 1952 entraîne de lourdes violations du droit international et lui fait courir un risque imminent d’expulsion forcée. [5] Elle viole directement l’article 45 du Règlement de La Haye et l’article 68(3) de la Convention de Genève (CGIV). Le transfert forcé qui en résulte viole l’article 49 de la CGIV. Ces violations correspondent à une violation grave des Conventions de Genève, le crime de guerre de transfert forcé de population et les crime contres l’humanité de déplacement forcé de population [6] et d’apartheid. [7]
Le cas de Salah Hammouri témoigne ainsi de la pratique généralisée et systématique du régime d’occupation et d’apartheid israélien de transfert illégal de population et de manipulation démographique, qui se manifeste par des lois, des politiques et des pratiques, afin de maintenir son régime institutionnalisé de domination raciale et d’oppression sur le peuple palestinien. Ces pratiques aboutissent en outre au déni des droits humains fondamentaux des Palestiniens, notamment les droits à la vie familiale, à la santé, à l’éducation, au travail et à de nombreux autres droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels.
De façon significative, en réponse au soutien international à Salah généré par les rapporteurs spéciaux des Nations Unies, des ONG et des organisations de défense des droits humains, les autorités d’occupation israéliennes ont systématiquement harcelé et pris pour cible Salah afin de réprimer davantage son droit à la liberté d’expression et de délégitimer son travail en tant que défenseur des droits humains. Le 8 novembre 2021, une enquête de Front Line Defenders, menée en collaboration avec le Citizen Lab et le Security Lab d’Amnesty International, a révélé que Salah Hammouri était l’un des six défenseurs palestiniens des droits humains à avoir été piraté par le notoirement connu logiciel espion Pegasus du groupe israélien NSO. [8]
A la lumière de cette découverte, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), la Ligue des droits de l’homme (LDH), et Salah ont déposé une plainte conjointe en France visant NSO Group pour infiltration illégale au motif d’une violation du droit à la vie privée en droit français.
De plus, les circonstances des procédures de révocation de résidence en cours et de la détention arbitraire de Salah Hammouri créent un phénomène qui s’apparente à un "trou noir juridique" dans lequel le régime juridique israélien régissant son statut de Jérusalémite est suspendu. Ce "trou noir" est utilisé par les autorités d’occupation israéliennes pour établir de force la révocation de sa résidence comme un fait accompli, indépendamment des procédures judiciaires civiles en cours. Le cas de Salah établit donc un précédent dangereux permettant l’augmentation de l’utilisation de la révocation de résidence et de la détention administrative arbitraire par l’occupation israélienne. De plus, le 3 mars 2022, lors de l’examen du cinquième rapport périodique d’Israël sur sa mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies a pris note du cas de Salah en soulignant la politique arbitraire d’Israël de révocation de résidence basée sur la "violation de l’allégeance" pour contrôler la composition démographique de Jérusalem.
A la lumière de telles actions d’oppression, le 16 mai 2022, le Centre pour les droits constitutionnels et la Fédération Internationale pour les droits humains (FIDH) ont soumis une communication au Bureau du Procureur (BDP) de la Cour pénale internationale (CPI) au nom de M. Hammouri, décrivant en détail des années de persécution et les nouvelles tactiques de transfert forcé des Palestiniens de Jérusalem
occupée, une communication soutenue par 23 organisations de la société civile nationales, régionales et internationales.
Recommandations
En conséquence, il est impératif de remédier immédiatement et de toute urgence à l’arrestation arbitraire et à la révocation punitive de la résidence de Salah Hammouri, car cela représente une étape vers son application plus large contre les défenseurs des droits humains, la dissidence pacifique et les Palestiniens de Jérusalem plus généralement.
A la lumière de ce qui précède, nos organisations soumettent cet appel urgent pour l’intervention immédiate des mandats de la procédure spéciale de l’ONU concernés et les exhortent à :
I. Demander à Israël de libérer immédiatement et sans condition Salah Hammouri de sa détention administrative et de mettre un terme à sa persécution prolongée et à toutes les politiques et mesures d’intimidation et de harcèlement à son encontre ;
II. Exiger qu’Israël, en tant que puissance occupante, revienne sur sa décision de révoquer le statut de résident permanent de Salah Hammouri à Jérusalem ; réitérant l’illégalité de la révocation de résidence basée sur "violation de l’allégeance" ayant pour conséquence le transfert forcé de civils palestiniens ce qui constitue un crime de guerre et un crime contre l’humanité en vertu du Statut de Rome de la CPI ;
III. Appeler Israël à abroger immédiatement sa loi sur l’entrée en Israël (1952), qui a été utilisée pour poursuivre la politique israélienne de transfert de population et atteindre des objectifs démographiques à Jérusalem en violation des droits fondamentaux des Palestiniens, y compris leur droit à la liberté de mouvement et de résidence, et le droit de quitter leur pays et d’y retourner ;
IV. Exhorter Israël à cesser immédiatement toutes les pratiques et politiques visant à intimider et à réduire au silence les défenseurs des droits humains, en violation de leur droit à la liberté d’expression, notamment par le biais de la détention arbitraire, de la torture et d’autres mauvais traitements, des discours haineux et de l’incitation à la haine institutionnalisés, la révocation de résidence, les déportations et autres mesures coercitives ou punitives ;
V. Exiger l’ouverture immédiate d’une enquête sur l’infiltration illégale des téléphones de défenseurs des droits humains et de toutes les autres victimes qui ont été en contact avec le défenseur des droits humains ciblé ;
VI. Exiger un moratoire immédiat sur la vente, le transfert et l’utilisation de toutes les formes de technologie de surveillance, en particulier le logiciel espion Pegasus du Groupe NSO, jusqu’à une enquête indépendante et complète sur ses opérations en Palestine soit menée par les Nations-Unies pour identifier le périmètre de ses activités de surveillance menées à l’encontre des défenseurs palestiniens des droits humains, et
leurs liens avec le gouvernement israélien ; et
VII. Appeler à la justice internationale et à l’obligation de rendre des comptes, notamment devant la Cour pénale internationale, pour les violations généralisées et systématiques des droits de l’Homme commises par Israël et ses crimes internationaux présumés, y compris le crime de transfert de population et le crime d’apartheid qui constitue un crime contre l’humanité.