Avec Antisionisme, une histoire juive, Béatrice Orès, Michèle Sibony et Sonia Fayman prouvent l’ineptie de cette affirmation en publiant une anthologie de textes antisionistes juifs.
Même si d’authentiques racistes se cachent parfois derrière la critique d’Israël, l’amalgame antisionisme/antisémitisme est avant tout un produit de propagande. Béatrice Orès, Michèle Sibony et Sonia Fayman analysent comment cette propagande a supplanté l’antisionisme juif. Elles montrent également en quoi le racialisme sioniste est une rupture, voire un danger, pour la culture juive.
L’ouvrage propose une lecture commentée de textes écrits entre 1885 et 2020. Ils déconstruisent, d’un point de vue juif – et souvent avant l’heure ! – les cinq thèmes récurrents des défenseurs d’Israël : le sionisme comme seule voix juive, son caractère ethno-national, Israël comme garant de la sécurité des juifs, la négation du colonialisme, et la nécessaire pureté raciale d’Israël.
On est surpris par la richesse et la diversité de ces prises de position. Et on se réjouit de cette publication en langue française qui passionnera tous ceux qui ne supportent pas la falsification de l’histoire et la chasse aux sorcières.
Trois questions à Sonia Fayman, co-auteure
Comment expliquer qu’alors que l’antisionisme juif était particulièrement puissant, il semble maintenant oublié ?
Sonia Fayman : Le génocide nazi est passé par là. Le « plus jamais ça » a été emblématiquement collé aux juifs rescapés par les représentants sionistes. Les juifs et les autres ont été assignés à reconnaître Israël comme le centre de la vie juive, comme le judaïsme lui-même. Cela s’est particulièrement manifesté en France qui avait accueilli une forte immigration juive d’Europe centrale et orientale et qui avait vu sa population juive, française comme étrangère, décimée par la vague nazie-vichyste. Le nouvel État israélien a été présenté comme planche de salut, d’autant que les États occidentaux rechignaient à accueillir les « personnes déplacées » et qu’Israël donnait toutes facilités aux juifs d’où qu’ils viennent. L’antisionisme juif n’a pas disparu mais des évolutions se sont faites, certains se rangeant aux côtés d’Israël au moment de la création de l’État. À mesure que l’État israélien s’est révélé pour ce qu’il est, l’antisionisme juif s’est exprimé de nouveau.
Comment comprendre que le sionisme, cette profonde rupture dans la culture juive, puisse se présenter comme un aboutissement naturel ?
S. F. : Les promoteurs du sionisme ont dû vaincre les réticences de différentes catégories de la population juive : religieux, bourgeois assimilés, militants internationalistes qui, pour des raisons spécifiques, refusaient l’idée d’une nation juive en Palestine. Ils l’ont emporté avec le soutien actif des puissances impérialistes qui ont poussé à l’implantation en Palestine pour se débarrasser de leurs juifs et pour assurer une présence de la « civilisation occidentale » dans une terre considérée par ces pays colonisateurs, comme barbare. Dire que c’est un aboutissement est peut-être exagéré. J’y vois plutôt une stratégie coloniale vantant son projet aux masses populaires juives opprimées ; pour certains, cela faisait écho au mythe de la terre immémoriale ; pour d’autres, désireux de se détacher du carcan traditionaliste et séduits par la perspective de la création d’un Juif nouveau, l’appel a pu être attractif. Mais plus attractifs encore étaient les pays d’Europe de l’Ouest et les États-Unis pour les juifs cherchant à fuir l’oppression.
Le livre fait plusieurs fois référence aux alliances entre sionistes et antisémites. Quel est votre commentaire ?
S. F. : Il y a d’abord une alliance objective dans le projet de faire sortir les juifs des pays où ils étaient opprimés par des politiques antisémites, en reprenant le mantra selon lequel les juifs sont nécessairement différents et qu’ils ne peuvent se fondre dans la population des pays où ils vivent. Les fondateurs du sionisme Herzl et Nordau véhiculaient ces représentations et avaient un grand mépris pour les masses juives. Ils ont soigneusement mis en œuvre une rupture avec l’héritage juif et ses cultures, s’alignant ainsi sur les représentations racistes européennes du Juif immuable. De plus, le sionisme ne s’est pas préoccupé de lutter contre l’antisémitisme dans le monde mais seulement de prendre pied en Palestine en organisant l’immigration. Enfin, la politique raciste de l’État d’Israël, soutenue par les puissants chrétiens sionistes, fait écho aux alliances des débuts du sionisme avec des antisémites et rapproche ses dirigeants de chefs d’État antisémites notoires comme Orban en Hongrie.
Propos recueillis par Bernard Devin