[Les députés doivent se prononcer, mardi 3 décembre, sur une proposition de résolution visant à lutter contre l’antisémitisme, déposée par le député La République en marche (LRM) Sylvain Maillard. Controversé, ce texte propose que la France adopte, à la suite du Parlement européen, la définition de l’antisémitisme établie par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), en 2016. Celle-ci inclut « les manifestations de haine à l’égard de l’Etat d’Israël justifiées par la seule perception de ce dernier comme collectivité juive », rappelle le texte de M. Maillard.]
Tribune. Que l’Assemblée nationale se saisisse de la question de la lutte contre le racisme en France, et notamment de la lutte contre l’antisémitisme, quoi de plus normal ? Mais la proposition de résolution « pour lutter contre l’antisémitisme », souvent désignée par les termes résolution Maillard , mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 3 décembre, répond de manière très contestable à de vraies questions. Ce combat qui devait nous rassembler, et rassembler la population française autour de ses élus, fait aujourd’hui polémique.
Les différentes formes de racisme qui sévissent en France peuvent-elles avancer masquées ? La réponse est oui, à l’évidence, et c’est vrai pour toutes les formes de racisme. Mais faut-il pour cela stigmatiser une opinion politique, l’antisionisme, au risque de porter gravement atteinte à la liberté d’expression ? L’idée d’une loi sur le sujet a été très rapidement écartée. La faire revenir sous la forme d’une résolution parlementaire n’a pas plus de sens, sauf à croire que les textes votés par les députés ne porteraient pas à conséquence.
Pente dangereuse
La deuxième question posée par cette résolution est celle de la définition de l’antisémitisme. Faut-il définir l’antisémitisme, en prenant le risque d’avoir ensuite à définir chaque type de racisme ? On a évidemment le droit de se poser la question, mais la pente est dangereuse ; la législation française s’est jusqu’ici bien gardée de le faire, y compris la loi Gayssot qui réprime la négation de tous les crimes contre l’humanité quels qu’ils soient.
Et si l’on entend vraiment définir l’antisémitisme, quelle définition choisir ? C’est là qu’entre en jeu la définition de l’antisémitisme adoptée, en mai 2016, par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) dont l’adoption est au cœur de la résolution Maillard. Une définition d’apparence banale, mais associée à des « exemples » censés l’illustrer, dont une bonne moitié font référence à l’Etat d’Israël.
Le statut de ces exemples est particulièrement flou. Sont-ils inclus dans la résolution proposée au vote des députés, alors qu’ils n’ont pas été adoptés par l’IHRA, mais sont seulement cités comme « pouvant servir d’illustration » ? Et alors que toute référence à ces exemples a été volontairement retirée de la Déclaration du Conseil de l’Union européenne de décembre 2018 ? Sont-ils exclus de la résolution ? Mais qu’attend-on alors d’une définition aussi banale que celle qui a été adoptée par l’IHRA ? Dans les pays où la « définition IHRA » a été adoptée, et notamment au Royaume-Uni où cette adoption date de décembre 2016, cette définition a surtout été invoquée pour limiter le droit de réunion et faire peser le soupçon d’antisémitisme sur des expressions critiques de la politique israélienne.
Interventions constantes du gouvernement israélien
Quant au gouvernement israélien, il a été jusqu’à invoquer la définition IHRA pour qualifier de discriminatoire la décision de la Cour de justice de l’Union européenne sur l’étiquetage des produits des colonies israéliennes… Et ce, au moment même où l’administration des Etats-Unis déclare, contre toute évidence du droit international, que ces colonies ne sont pas illégales, et où le premier ministre israélien réaffirme sa volonté d’annexer la vallée du Jourdain. On voit ici le danger d’utiliser la référence à un Etat tiers dans des combats que nous devons mener en toute indépendance et en toute sincérité au sein de notre propre pays. Un danger ici décuplé par les interventions constantes du gouvernement israélien, auprès de l’Union européenne comme auprès de la France, pour faire adopter la définition IHRA.
Signataires de cet appel, nous sommes totalement engagés dans la lutte contre l’antisémitisme et toutes les autres formes de racisme, mais il nous est impossible de la mener sur des bases aussi incertaines, dangereuses pour nos libertés, et susceptibles d’affaiblir la crédibilité même de ce combat. C’est dans cet esprit que nous voterons contre la résolution Maillard si son examen est maintenu à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Mais sur un sujet qui devrait faire consensus, nous estimons bien préférable de retirer cette proposition de résolution dès lors qu’elle fait polémique. C’est la demande que nous adressons au président de l’Assemblée nationale. La lutte contre l’antisémitisme et contre toutes les autres formes de racisme appelle une autre démarche, tout aussi ambitieuse, associant largement les acteurs des services de l’Etat comme les organisations de la société civile. Nous sommes prêts à y prendre toute notre part.
Nadia Essayan, députée du Cher (Mouvement démocrate) ; Elsa Faucillon, députée des Hauts-de-Seine (Gauche démocrate et républicaine) ; Bruno Joncour, député des Côtes-d’Armor (Mouvement démocrate) ; Fadila Khattabi, députée de Côte-d’Or (La République en marche) ; Jean-Paul Lecoq, député de Seine-Maritime (Gauche démocrate et républicaine) ; Gwendal Rouillard, député du Morbilhan (La République en marche).