Matan Cohen a 17 ans.
Lycéen, il a signé la lettre
des lycéens refusant de
faire l’armée. Son père,
juif d’Irak, est enseignant.
Sa mère est d’origine
polonaise.
Mikhal Raz a 20 ans.
Après le lycée, elle a
participé à des activités
de soutien à caractère
social ainsi qu’à des
activités de solidarité
avec des bédouins. Elle a
refusé de faire l’armée et
a participé a des activités
contre l’occupation avec
New Profile (un groupe de
femmes qui dénonce la
militarisation de la société
israélienne).
« Ce qui gêne l’armée c’est qu’on brise la
barrière mentale avec les Palestiniens »
PLP : Vous pouvez nous présenter votre
groupe « Anarchistes contre le Mur » ?
Matan et Mikhal : Au départ nous étions
un petit groupe d’anarchistes, très actifs
dans d’autres groupes contre l’occupation.
Nous voulions quelque chose de
plus impliqué dans l’action. Puis d’autres,
différents de ceux du départ, nous ont
rejoints pour agir.
« Anarchists against the wall » a été créé
en 2003. Depuis deux ans il y a un travail
commun israélo-palestinien avec
des internationaux contre le Mur.
PLP : Quelle a été votre première lutte commune
avec des Palestiniens contre le Mur ?
Matan : Mas’ha fut ma première occasion
de rencontrer des Palestiniens et leur
famille comme des êtres humains. On
était précédemment allé en Cisjordanie
mais pas de manière aussi présente.
Mas’ha est à 10 kms de la ligne verte.
Le maire du village de Mas’ha avait
appris l’existence de notre groupe. Il
nous a proposé de venir voir le Mur et
ce qui se passait dans son village.
On me disait « n’y va pas c’est dangereux,
tu peux te faire battre, kidnapper
ou tuer ». Mais je me suis dis que c’était
l’âge où je devais prendre des risques.
Et je suis allé à Jayyous et à Mas’ha.
A Mas’ha 92% des terres agricoles étaient
annexées par le Mur, et sur ces terres
les Israéliens construisaient tout de suite
des maisons.
Après avoir vu cela on se reposait la
question de la sécurité : pourquoi déraciner
des oliviers (plus de 200.000), installer
des check points, développer les
colonies ? En quoi est-ce que ces maisons
et ce Mur étaient construits pour la
sécurité de Tel-Aviv ?
- © Lisa Nessan
A Mas’ha, c’est là que j’ai vraiment eu,
pour la première fois, des rencontres et
des échanges avec des Palestiniens.
C’est la première fois qu’un grand nombre
de Palestiniens voyaient des Israéliens
autres que les militaires. Ce sont maintenant
des amis.
Nous avons vu que le Mur les empêchait
de se faire soigner, de vivre. Je
me disais : « pourquoi je peux aller et
venir et pas eux ? ».
Nous avons installé à Mas’ha une tente
comme centre d’information, en invitant
les gens (Israéliens et Palestiniens) à y
venir. On y dormait le soir. C’était une
manière de rencontrer d’autres êtres
humains, de constater la réalité et de
dépasser la peur des Palestiniens inculquée
en Israël. L’armée est venue et
nous a dit qu’elle nous chasserait pour
construire le Mur. Nous leur avons dit que
nous étions non violents. Mais l’armée
détruisit quand même le centre d’information
et arrêta 40 personnes. Puis
nous sommes revenus et 50 personnes
furent encore arrêtées.
Il y avait une porte dans le Mur mais elle
était toujours fermée et les gens ne pouvaient
se déplacer. Ce que faisait Israël
ne faisait qu’augmenter la colère alors
les gens ont dit « nous ouvrirons cette
porte » (en décembre 2003).
La réaction fut très violente : un Israélien
a été presque tué et de plus les
secours ne venaient pas. On ne pensait
pas que les militaires tireraient à
balles réelles. Ce fut un choc en Israël,
c’était la première fois que l’armée tirait
sur un juif. L’armée s’excusa dans des
termes révélateurs : « on croyait que
c’était un arabe » ! C’était clair que le
Mur était la nouvelle frontière tracée par
Israël et que la terre était confisquée.
A Mas’ha j’ai compris que ce que craignait
l’armée c’est que les jeunes soient
informés.
- © Lisa Nessan
Ce qui les gêne c’est qu’on se batte
ensemble, avec les Palestiniens, que
les gens brisent la barrière mentale.
C’est ce qui nous a amenés à choisir
des méthodes non-violentes.
Je crois que parfois il faut utiliser la violence,
je ne suis pas pacifiste. Mais dans cette situation, on a choisi la non-violence.
La plupart des Israéliens, y compris la
majorité des jeunes qui va à l’armée,
croit que les Palestiniens sont tous des
terroristes, qu’ils veulent les tuer. Seule
une minorité va à la rencontre des Palestiniens.
Je voudrais que les jeunes, avant d’aller
à l’armée, viennent avec nous dans les
Territoires palestiniens occupés, même
sans être activiste. Je crois qu’ils ne sont
pas cruels par nature, mais qu’ils ne se
posent pas de questions, ne cherchent
pas à savoir. En Israël on n’est jamais
confronté à l’autre point de vue, on n’a
pas trop envie de savoir ce qu’est l’autre
car il est vu comme une menace.
La seule image qu’on a des Palestiniens
c’est celle de gens qui viennent se faire
sauter. Ils ne sont pas considérés comme
de vrais gens, ils sont déshumanisés.
En Israël, le soutien au Mur s’explique
par la peur, par le racisme du projet sioniste.
La paix n’est pas conçue comme une
rencontre avec l’autre mais comme la
contrainte sur l’autre. Paix ou guerre
c’est la même tentative d’imposer sa
politique à l’autre. Tous veulent la paix
mais ne se posent pas la question : que
dois-je faire pour avoir la paix ?
A Gaza ce n’est pas une paix mais une
décision unilatérale : « on » a décidé.
Mikhal : Les médias nous ont demandé
qui nous étions. C’est là que, certains
d’entre nous étant anarchistes et d’autres
communistes, l’on s’est donné comme
nom « Anarchistes contre le Mur ».
Les médias ne montraient pas qui déclenchait
la violence, mais faisaient croire
que l’armée se défendait contre des lanceurs
de pierres. Notre présence avec
caméras, etc. contribuait à montrer ce qui
se passait réellement.
La seule réponse de l’armée à la nonviolence,
le seul argument c’est les balles
de caoutchouc, les grenades lacrymogènes,
la force, la violence. Des jeunes
lançaient parfois des pierres en riposte.
Pour faire peur aux habitants l’armée
intervenait la nuit, jetait des grenades
lacrymogènes, faisait irruption dans les
habitations, bref terrorisait la population
pour la dissuader de manifester. Mais
la population continuait de manifester.
A Budrus une vraie victoire a été remportée.
Le Mur devait confisquer près
de 90% des terres du village. A l’issue
de la lutte, le Mur était presque sur la
« Ligne Verte ». A Budrus, les femmes
manifestaient en nombre. Cela n’arrivait
pas souvent ailleurs, les femmes restant
souvent à la maison.
PLP : Et votre participation à la lutte à
Bil’in ?
Matan : Des centaines de manifestations
ont eu lieu à Bil’in, Budrus (plus
de 150 manifestations dans ces deux
endroits très proches), Biddu, Beit Surrik
et d’autres encore. Aujourd’hui Bil’in
continue.
Beaucoup de villages (plus de 20) ont
résisté avec plus ou moins de ténacité
malgré la répression. L’armée tirait pour
tuer, beaucoup plus facilement quant il
n’y avait pas d’Israéliens présents ni de
témoins avec caméras prouvant qui commençait
la violence et qui faisait quoi.
D’où l’importance de l’intervention d’Israéliens
et d’internationaux pour « limiter »
la répression.
Lors des manifestations des provocateurs,
unité spéciale de l’armée habillée
en civil, jetaient des pierres. Puis ils arrêtaient
des Palestiniens en les accusant
de violences, de jets de pierres, ...
La moitié de notre groupe a subi des
poursuites judiciaires pour résistance
(10 personnes actuellement) et beaucoup
de Palestiniens sont emprisonnés.
Mikhal : Pourquoi Bil’in ? En fait on
est allé dans beaucoup de villages mais
en ce moment c’est un point important
de la construction du mur.
Et les villages ont des capacités plus ou
moins importantes de résistance. A Bil’in,
l’armée israélienne nous laissait manifester
pour se donner une image libérale.
Mais après, quand la lutte a pris de
l’extension, son attitude a changé.
L’armée fait beaucoup d’efforts pour
arrêter le mouvement, mais nous croyons
qu’ils n’y arriveront pas.
Ce qui est important c’est qu’il y a la
lutte. Et on est de plus en plus nombreux
à y participer.
Propos recueillis par Robert
Kissous, octobre 2005