Mohammed al-Khatib, du village de Bil’in, profite de chaque occasion qui lui est offerte pour parler aux soldats, en hébreu. Même après qu’ils l’aient battu, allongé au sol et détenu, même après qu’un des soldats ait impérieusement posé son pied sur le dos de Mohammed, ce qui s’est produit lundi dernier près de la ville de Salfit, en Cisjordanie.
"J’aime parler aux jeunes soldats, leur expliquer l’occupation", a-t-il déclaré. "’Que voulez-vous dire par occupation’, demandent-ils, ’vous, les Palestiniens, vous pouvez faire ce que vous voulez’. Et je leur réponds : ’Vous ne me croyez pas qu’un Palestinien ne peut pas construire sur sa propre terre ? Vérifiez-le sur Internet. N’écoutez pas seulement vos officiers". Il parlait à Haaretz deux jours après avoir été détenu pendant une durée bien plus courte que celle habituellement prévue dans les circonstances décrites ci-dessous.
Khatib a oublié combien de fois il a été arrêté pour son activité dans les comités populaires luttant contre la barrière de séparation. Cette fois-ci, la raison de son arrestation était la cueillette des olives. Ces jours-ci, des groupes de volontaires se dispersent en Cisjordanie pour aider à la récolte des olives, en particulier dans les zones sujettes à la violence des Israéliens vivant dans les avant-postes illégaux adjacents.
Depuis le début de la saison de récolte de cette année, le 3 octobre, jusqu’au 16 octobre, les citoyens israéliens de Cisjordanie ont saboté la récolte à 18 reprises, soit en attaquant directement les agriculteurs, soit en coupant et cassant les arbres, soit en volant les récoltes.
Parmi les volontaires, on trouve un groupe appelé Faz3a, créé il y a un an. Khatib est l’un de ses initiateurs. Le groupe s’efforce de faire revivre la tradition de bénévolat et d’entraide qui caractérisait la société palestinienne dans les années 1970 et 1980.
Quand ce ne sont pas les colons qui tentent de perturber directement la cueillette des olives, c’est l’armée qui l’empêche d’avoir lieu. C’est ce qui s’est passé lundi dernier dans une oliveraie de la région d’al-Ras, près de Salfit, au nord de la colonie d’Ariel. Il y a un peu plus d’un an, un avant-poste illégal appelé Nof Avi y a été établi. Depuis lors, les propriétaires de l’oliveraie ne peuvent voir leur parcelle que de loin. Maintenant que les olives sont mûres, des volontaires ont été appelés à rejoindre les agriculteurs, en partant du principe qu’un grand nombre de personnes protégerait ces derniers de la violence israélienne et permettrait de terminer plus rapidement la récolte, avant que les olives ne soient volées.
Lorsque les volontaires sont arrivés vers 8h30 du matin, ils ont été surpris de trouver "un nombre hystérique de soldats", comme l’a raconté l’activiste israélien Gil Hamerschlag à Haaretz. Les soldats ont tendu un ruban entre des poteaux qu’ils avaient enfoncés dans le sol. Sur ce ruban étaient attachés plusieurs avis, en anglais et en arabe, déclarant que la zone était une zone militaire fermée. Selon les militants présents sur place, les soldats ne leur ont pas présenté un ordre de fermeture signé (qui a été présenté au tribunal le lendemain). Quoi qu’il en soit, les militants ont pris soin de rester en dehors de la zone marquée, décidant de se rendre au bosquet par une autre direction. Les soldats les en ont également empêchés.
Khatib dit qu’il ne s’attendait pas à ce que la zone soit fermée. "Il est vrai qu’au sommet de la colline, il y a un colon qui s’est approprié la colline. Mais nous étions venus pour protéger quelque chose de légal, comme la cueillette des olives, contre quelque chose d’illégal, la violence des colons. Si l’armée était vraiment inquiète de la sécurité de ce colon, pourquoi n’a-t-elle pas placé les soldats autour des structures illégales de l’avant-poste ? Pourquoi empêcher la cueillette des olives ? Tout tourne autour d’une décision du commandant.
"La veille, nous avons cueilli des olives dans les vergers de Beita. Pour cela, nous devions passer par un avant-poste [Evyatar]. L’armée ne nous a pas dérangés et il n’y a eu aucun problème. En d’autres termes, la décision de savoir s’il y a du calme ou pas est entre les mains du commandant militaire. Nous venons cueillir des olives, les tensions ne nous intéressent pas. Ce n’est pas une provocation, mais nous refusons de nous coordonner à l’avance avec l’armée pour atteindre un bosquet privé, uniquement parce qu’un colon s’est emparé d’une terre palestinienne. À cause de cet avant-poste, la terre n’a pas été labourée de toute l’année dans ce bosquet ; elle est pleine d’épines."
Khatib est arrivé un peu tard, disant qu’il n’avait pas vu le ruban adhésif délimitant la "zone militaire fermée". Il a vu des soldats lui refuser l’accès et a rejoint les autres militants. Khatib, qui a étudié le droit, raconte que pendant sa détention "un officier m’a dit que s’il y a un ordre de fermeture, cela signifie que c’est une terre israélienne. Il ne connaît rien à la loi. Quelle logique ! Le colon est celui qui enfreint la loi, je la respecte et vous prétendez que c’est moi qui la transgresse."
Bien que les militants se soient éloignés, les soldats se sont approchés d’eux et ont commencé à les pousser. J’ai discuté avec l’officier : "Pourquoi vous nous poussez ? J’ai le droit de cueillir des olives’. J’ai entendu un officier subalterne dire au commandant qu’il voulait arrêter deux personnes. Il a demandé la permission et l’a obtenue. Je leur ai dit : "Vous pouvez m’arrêter, mais qu’est-ce que j’ai fait ?" Il a dit que j’étais en détention. J’ai levé les bras. Quelques militants sont venus et m’ont sorti de là, puis quelques soldats se sont jetés sur moi, peut-être cinq ou six, et ont commencé à me frapper. Je n’ai rien senti à ce moment-là, mais plus tard, en détention, j’ai remarqué qu’il était difficile de bouger mon cou. Ils m’ont allongé sur le sol, face contre terre, et l’un d’entre eux a lourdement marché sur mon dos." Le photographe Matan Golan a eu l’impression que le major, que l’on voit dans une vidéo courir vers le soldat qui marche sur Khatib, n’était pas content de ce qui se passait, et en effet, quand il est arrivé, le pied avait été retiré du dos de Khatib. À ce moment-là, les soldats ont commencé à lancer des grenades paralysantes sur les volontaires.
En répondant à Haaretz, le porte-parole des Forces de défense israéliennes a maintenu qu’il y avait eu "une violente perturbation de l’ordre public près de la ferme [avant-poste illégal] de Nof Avi", et que les volontaires avaient violé un ordre de fermeture qui leur avait été présenté et avaient utilisé la violence contre les soldats. Le porte-parole a également déclaré que "les FDI ont répondu par des méthodes de démonstration-dispersion, arrêtant trois suspects. L’un d’entre eux s’est comporté violemment envers un soldat et a eu un comportement sauvage pendant son arrestation, tentant même de s’échapper. Les soldats ont donc dû faire usage de la force physique afin de compléter sa détention. Le comportement du soldat [qui lui a marché sur le dos] est inacceptable."
Il était 10 heures du matin lorsque les soldats ont menotté les mains de Khatib derrière son dos, lui ont bandé les yeux et l’ont emmené dans le bosquet, plus proche de l’avant-poste. Deux détenus israéliens, Hammerschlag et le militant David Shalev, étaient déjà assis là. Leurs mains étaient également menottées dans le dos, mais leurs yeux étaient découverts. Les deux hommes ont fait remarquer la différence de traitement et l’un des soldats a retiré le bandeau des yeux de Khatib. Au bout de deux heures et demie ou trois heures, pendant lesquelles les trois hommes étaient assis par terre, menottés, les soldats leur ont bandé les yeux et les ont fait monter dans une jeep qui les a emmenés au poste de police le plus proche, à Ariel.
Pendant qu’ils attendaient dans une cellule de détention, ils ont entendu un officier de police parler avec l’un des soldats qui les avaient arrêtés, le seul encore présent. Ils ont eu l’impression que l’officier donnait des instructions au soldat sur la manière de façonner les preuves à l’appui de l’arrestation. Khatib dit qu’il se tenait près de la porte et qu’il a entendu l’officier de police expliquer au soldat que la violation d’un bouclage n’est pas un motif suffisant de détention, ce qui explique que le Palestinien ait agressé les soldats. Khatib dit que le soldat a dit qu’il n’avait agressé personne, qu’il avait seulement causé une perturbation, et le policier a dit que ce n’était pas suffisant. Hammerschlag dit avoir entendu l’officier demander si Khatib avait tiré sur le fusil du soldat, comme une allusion à ce qui pourrait être noté dans les preuves à l’appui de l’arrestation (le district de Judée et Samarie n’a pas fait de commentaire à ce sujet jusqu’à présent).
Après cela, les trois hommes ont été séparés. Les Israéliens ont été emmenés à la prison de Hadarim en Israël et Khatib dans un centre de détention de la base militaire de Hawara, au sud de Naplouse. La loi israélienne exige qu’un suspect soit présenté à un juge dans les 24 heures suivant son arrestation. La loi militaire en vigueur en Cisjordanie permet de détenir un suspect palestinien jusqu’à 96 heures sans le présenter à un juge. En fait, Hammerschlag et Shalev ont eu la possibilité d’être libérés sous certaines conditions alors qu’ils étaient encore à Ariel. Ils ont refusé, affirmant qu’ils n’avaient commis aucune transgression.
Leur refus d’être libérés immédiatement a facilité la tâche de l’avocate des trois hommes, Riham Nasra, du cabinet de Michal Pomeranz, qui a obtenu la libération de Khatib avant la fin des 96 heures. Lundi après-midi, elle a déposé une demande de libération immédiate, ce qui a obligé le secrétariat du tribunal militaire à convoquer une session d’audience plus tôt. Ce n’est pas une affaire banale. Étant donné l’abondance de prisonniers, les avocats de Cisjordanie se sont habitués à un minimum de quatre jours de détention, sans même essayer d’obtenir une libération plus tôt.
Mardi, les deux Israéliens ont été amenés devant un tribunal de Petah Tikva. La police a demandé une prolongation de la détention de Hammerschlag et un ordre interdisant à Shalev de se rendre dans l’oliveraie pendant 15 jours, afin que "l’enquête puisse être terminée." Nasra a montré une vidéo qui prouve la version des détenus. Si les soldats avaient eu une vidéo montrant le contraire, la police aurait été heureuse de la montrer. Le juge Liat Har Zion a conclu que la police pouvait terminer son enquête même si les deux personnes étaient libérées. Nasra a immédiatement envoyé le procès-verbal au tribunal militaire de Salem, dans le nord de la Cisjordanie, s’y est rendu en voiture et a exigé une décision immédiate sur la libération de Khatib. À 16 h 30, il a été décidé de tenir une séance à 16 h 45.
Khatib est resté au centre de détention de Hawara, participant à la session par vidéoconférence. Le juge, le lieutenant-colonel Samzar Shagog, a déclaré qu’il y avait "des motifs raisonnables de soupçonner que Khatib avait poussé des soldats et tenté de pénétrer dans une zone militaire fermée", mais il l’a libéré, Khatib devant verser une caution personnelle de 1 000 shekels (310 dollars).
Le mardi, à 18h30, Khatib a été libéré. Le vendredi et le samedi, il cueillait des olives à Burin.
Traduction : AFPS