BENYAMIN NÉTANYAHOU est un parfait diplomate, un politicien habile, un dirigeant talentueux de l’armée.
Récemment un nouveau joyau a été ajouté à sa couronne : c’est aussi un conteur doué.
Il a donné la réponse à une question qui embarrasse les historiens depuis longtemps : quand et comment Adolf Hitler décida-t-il d’exterminer les Juifs ?
Il n’y avait aucune réponse qui fasse l’unanimité. Il y avait ceux qui pensaient que cela était déjà arrivé dans sa jeunesse à Vienne, d’autres supposaient que ce fut après la Première Guerre mondiale à Munich, ou lorsqu’il a écrit son livre Mein Kampf dans la prison de Landsberg en 1924.
Aujourd’hui Bibi a découvert les circonstances, l’endroit exact et le moment.
Cela s’est passé à Berlin, quand Adolf Hitler rencontra le Grand Mufti de Jérusalem, Hadj Muhammad Amin al-Husseini, le 28 novembre 1941.
Nétanyahou n’a pas condescendu jusqu’à nous dire comment il était arrivé à cette découverte révolutionnaire. Rien ne l’indique dans le protocole officiel de la rencontre Hitler-Husseini qui fut préparé par les Allemands, avec la rigueur qu’on leur connait. Et ce n’est pas mentionné non plus dans l’enregistrement par le Mufti lui-même dans son agenda privé saisi par les services secrets occidentaux. Les deux documents sont presque identiques.
QU’A DONC découvert Nétanyahou ?
Selon son récit, avant la rencontre, Hitler n’avait même pas pensé à exterminer les Juifs mais seulement à les expulser d’Europe, de préférence à Madagascar, alors colonie française. Mais c’est alors qu’est arrivé le Mufti qui lui dit quelque chose du genre ‟si vous les expulsez, ils viendront en Palestine. Mieux vaut les tuer tous en Europe.”
‟Quelle idée merveilleuse !” doit avoir répondu Hitler. ‟Pourquoi n’y ai-je pas pensé moi-même ?”
Une histoire fascinante. L’ennui c’est qu’elle ne contient pas une once de vérité. Dans le jargon de ces jours trumpiens, c’est une ‟vérité alternative”. Ou, dit simplement, un total mensonge. Pire, cela n’aurait pas pu se produire.
Si on a une connaissance minimale de l’époque, de ‟l’esprit de l’époque” et des personnalités concernées, on doit savoir que c’est un événement imaginé.
COMMENҪONS par le héros principal : Adolf Hitler.
Hitler avait une solide ‟Weltanschauung” (conception du monde). Il l’avait acquise dans sa jeunesse – sans qu’on sache clairement quand et où. On l’appela ‟antisémitisme”.
Notez bien : ‟antisémitisme”, pas ‟‟antijudaïsme”.
La différence est significative. L’antisémitisme faisait partie de la théorie de la race, qui prétendait être une science exacte et qui était à l’époque au sommet de sa popularité à travers le monde.
Ce ne fut pas un simple engouement idéologique, une invention de démagogues. C’était un domaine de la science considéré comme objectif de même que, disons, les mathématiques ou la géographie. Le postulat de base était que chaque race d’êtres humains, comme chaque espèce de chevaux ou de chiens, possède des caractères spécifiques, bons et mauvais.
Cette ‟science” était enseignée dans les universités, des professeurs réputés réalisaient des expériences, faisaient des mesures de crânes et analysaient la structure corporelle. Tout cela était très sérieux. Un certain nombre de Juifs s’y consacraient. Comme, par exemple, Arthur Ruppin, qui devint plus tard une figure importante de l’organisation de la colonisation sioniste en Palestine.
Selon la théorie allemande de la race, il y a une race supérieure, la race aryenne, originaire de l’Inde et de laquelle descendent les Allemands, et il y a des races inférieures, les ‟sémites” et les ‟slaves” par exemple. Pour les théoriciens de la race, ce n’est pas une affaire d’opinion. C’est un fait scientifique bien établi, un fait que l’on ne peut pas modifier.
Hitler croyait à toute cette absurdité, comme des Juifs pieux croient aux Écritures. Le Mufti était un sémite. Pas l’un de ces honnêtes princes du désert décrits dans les histoires du principal auteur allemand de livres pour enfants, Karl May (qui a surtout écrit sur les chefs indiens américains), mais un homme politique rusé, fuyant, qui n’était pas très avenant.
Hitler ne l’aimait pas du tout. Il ne voulait pas le recevoir, mais ses conseillers en propagande insistèrent. Il finit par le recevoir, s’entretint avec lui pendant une heure et demie, se fit photographier avec lui et n’accepta plus jamais de le rencontrer.
Ce ne fut en rien le commencement d’une belle amitié.
LORS DE la rencontre, deux interprètes étaient présents. Le Mufti parlait le français – langue qu’il avait apprise enfant alors qu’il était élève de l’école franco-juive ‟Alliance”. Le Mufti avait été aussi étudiant à la célèbre université religieuse al-Azhar du Caire, mais n’avait jamais fini ses études à cette université.
Le clan Husseini est le plus prestigieux de Jérusalem. Il compte aujourd’hui environ 5000 membres. L’un de mes meilleurs amis était Faisal al-Husseini, un homme merveilleux avec lequel j’ai organisé plusieurs manifestations contre l’occupation et pour la paix.
Depuis des générations, des membres de la famille ont occupé la position de Mufti – la plus haute autorité religieuse de la ville, le troisième lieu saint de l’islam. Avant lui son père comme son demi-frère fut Mufti. Amin lui-même fit le pèlerinage de La Mecque déjà enfant. D’où le titre de Hadj.
Hadj Amin était un leader naturel. Depuis sa jeunesse il était célèbre comme nationaliste arabe et militant politique. Au cours de la Première Guerre mondiale il fut officier de l’armée ottomane, mais il ne prit part à aucun combat et déserta. Puis il fut actif dans la révolte arabe du Shérif de La Mecque (avec ‟Lawrence d’Arabie”), et fit campagne pour un État uni de Syrie, Palestine et Irak.
Très tôt il vit le danger de la colonisation sioniste en Palestine et il appela à la résistance. Lorsque la Palestine devint britannique, le Mufti organisa les affrontements armés de 1921, que l’on peut bien considérer comme la mère de la guerre qui se poursuit encore.
Côté juif, la personnalité marquante était Vladimir (Zeev) Jabotinsky, le père spirituel de l’actuel Likoud, qui avait prédit que la résistance arabe au projet sioniste ne cesserait jamais : aucun peuple indigène n’a jamais accepté pacifiquement une entreprise colonialiste. (Sa réponse était de construire un ‟Mur de fer” sioniste.)
Cédant à la pression locale, le premier Haut-commissaire britannique de la Palestine, le Juif Herbert Samuel, nomma le jeune leader rebelle Mufti de Jérusalem, espérant le calmer. Il allait être déçu. Après avoir organisé plusieurs vagues de ‟troubles”, le Mufti appela à la ‟Grande révolte” de 1936 contre les Britanniques et les sionistes, qui devint une campagne importante avec de nombreuses victimes.
Le Mufti dut fuir, d’abord au Liban, puis en Irak. Quand les Britanniques furent sur le point d’entrer à Bagdad, il s’enfuit en Italie, rencontra Benito Mussolini et participa à des émissions vers le monde arabe. On lui demanda de venir en Allemagne afin d’apporter son concours à une campagne de propagande pour se rallier le monde arabe. C’est alors qu’il rencontra Hitler.
Le Mufti avait préparé une déclaration qu’il espérait faire signer à Hitler. C’était un projet ambitieux de République Unie de Palestine, Syrie et Irak sous protectorat allemand, avec la nomination du Mufti comme dirigeant du monde arabe.
Hitler jeta un coup d’œil au papier et le mit de côté. Il refusa de le prendre en considération. D’abord, la France de Vichy était une alliée de l’Allemagne et Hitler n’envisageait pas que des colonies françaises soient arrachées à la France. De plus il n’aimait pas le Mufti.
Tout ce qu’il promit fut qu’une fois que l’armée allemande aurait atteint le sud du Caucase il ferait une telle annonce. À l’époque, la Wehrmacht était à l’entrée nord des portes du Caucase, très loin du sud. Elle n’y parvint jamais.
Dans la conversation, les Juifs n’apparurent pas du tout, à part la mention par le Mufti ‟des Britanniques, des Juifs et des Bolcheviques” comme l’ennemi, et une vague remarque d’Hitler que la ‟question juive” devait être résolue ‟pas à pas”.
La rencontre fut photographiée comme plus tard la rencontre du Mufti avec des volontaires musulmans des Waffen-SS. En tout et pour tout, le Mufti joua un rôle mineur dans l’action de propagande allemande en direction du monde arabe.
Tout le reste est le fruit de la vive imagination de Benyamin Nétanyahou – qui est né huit ans après l’événement.
[Article écrit en hébreu et en anglais, publié sur le site de Gush Shalom le 28 juillet 2018 – Traduit de l’anglais « Adolf and Amin » pour Confluences Méditerranée : FL/SW]