Sans faire exception, l’été 2021 a été marqué par une forte répression contre les Palestiniens : assassinats, arrestations, démolitions de maisons, nettoyage ethnique à Jérusalem, bombardements réguliers de Gaza, tirs contre les pécheurs et les paysans de Gaza… La coalition qui a pris le pouvoir après avoir viré Netanyahou a annoncé ses intentions dès sa prise de fonction : aucune paix n’est envisagée avec les Palestiniens sur la base du droit international. On est dans la continuité de la politique d’occupation et de colonisation, assortie d’une répression féroce contre celles et ceux qui veulent s’y opposer. En somme, il s’agit d’un gouvernement qui poursuit les mêmes objectifs que l’ancien Premier ministre mais sans lui, devenu trop encombrant avec ses nombreuses casseroles.
Les crimes israéliens se sont même intensifiés durant cette période. Les colons, mécontents de ce nouveau gouvernement qu’ils considèrent comme « gauchiste », ont multiplié les agressions contre la population palestinienne et ont trouvé, en l’armée israélienne, un allié qui leur prête main-forte, assure leur protection et garantit leur impunité.
Version ouvertement mensongère
Cet allié, dont la gâchette est de plus en plus facile, a lui aussi multiplié les tirs pour tuer, parfois juste pour le plaisir. Mohammed al-Alami, 12 ans, était parti faire des courses avec son père et sa sœur lorsque leur voiture a été criblée de balles à Beit Omar, le 29 juillet. Il est mort après avoir été transporté à l’hôpital d’Hébron. C’est l’un des rares cas qui a donné lieu à l’ouverture d’une enquête interne : la version de l’armée, qui prétendait que la voiture ne s’était pas arrêtée à un point de contrôle, était indéfendable car ouvertement mensongère. Mais nous savons parfaitement que ce genre d’enquêtes internes ne sont faites que pour blanchir les crimes des soldats. Nous savons aussi que l’ONU, qui avait demandé à Israël d’enquêter sur ce crime, ne va pas assurer le suivi de sa requête.
Les autres victimes, sont vite tombées dans l’oubli et n’ont pas eu le « privilège » d’être citées par les médias israéliens et internationaux - pour qui la vie d’un Palestinien ne compte pas - ni celui de faire l’objet d’une enquête.
Le silence de la communauté internationale sur ces crimes ignobles mérite d’être remarqué. Silence également de la « gauche » israélienne, ravie de récupérer quelques miettes laissées par les partis de droite qui dominent la coalition au pouvoir, elle qui explique à chaque fois qu’on l’interroge sur son silence, qu’elle ne « fera pas de vagues » car elle ne veut surtout pas le retour de Netanyahou au pouvoir.
Seuls les associations et médias palestiniens, Haaretz, les ONG israéliennes (B’Tselem et Breaking the silence) et certaines ONG internationales ont protesté contre ces ignobles assassinats. Ce n’est qu’après une quarantaine de meurtres depuis début juin que ces protestations ont fini par convaincre le chef d’état-major de l’armée israélienne, le général Aviv Kochavi, de s’adresser à ses hommes en leur demandant gentiment de baisser un peu la cadence : « Nous vous soutiendrons lorsque vous utiliserez votre jugement, même s’il y a des erreurs, mais nous n’accepterons pas l’imprudence ». Le mot imprudence est trompeur et il a été ajouté juste pour faire croire que l’armée d’occupation israélienne a une morale. Le soldat israélien qui a abattu le plombier Shadi Omar Salim, 41 ans, près du village de Beita, alors qu’il s’apprêtait à réparer une valve du réseau d’approvisionnement en eau du village, a expliqué son crime par le fait qu’il pensait que la clé à molette que le plombier tenait dans sa main était une arme. Le crime est ainsi justifié, puisqu’il s’agit d’une… « erreur » !
Terroristes et légitime défense
Les autres crimes ne font même pas l’objet d’une tentative d’explication : il est admis de longue date que tirer sur des manifestants, non armés, qui protestent à Beita ou à Nabi Saleh contre l’expropriation de leur terre, ou à Gaza contre le blocus, c’est de la légitime défense. Les victimes, souvent des enfants, sont considérées comme des terroristes mettant en péril la sacro-sainte sécurité d’Israël.
Le journaliste Gideon Levy résumait ce silence par cette phrase, très juste, mais qui donne froid dans le dos : « Si les soldats tiraient sur les animaux errants avec autant de nonchalance que sur les Palestiniens, il y aurait un déluge d’indignation et ces soldats seraient poursuivis et sévèrement punis ». Depuis la demande de Kochavi de « faire baisser la température », il y a eu d’autres crimes, tous « justifiés ».
À Jérusalem, la politique de nettoyage ethnique bat son plein. Selon l’ONG B’Tselem, en août 2021, 16 structures ont été démolies à Jérusalem-Est, dont certaines étaient en construction. Quatorze étaient des bâtiments résidentiels et 12 d’entre eux, qui appartenaient à 12 familles comptant 66 personnes au total, dont 39 mineurs, étaient habités. Deux autres bâtiments résidentiels étaient en construction, ou pas encore habités. Six de ces habitations ont été démolies par les autorités et huit ont été démolies par leurs propriétaires pour échapper au paiement- d’une facture exorbitante à la municipalité de l’occupation si elle faisait appel à ses propres bulldozers. En juillet, ce sont 39 Palestiniens de Jérusalem, dont 22 enfants qui se sont retrouvés sans toit.
Summum de l’injustice et de l’humiliation : démolir sa propre maison sous le regard de ses enfants après avoir mis toutes ses économies pour payer les frais de demande d’autorisation (systématiquement refusée pour les Palestiniens), ceux de la construction, ceux des avocats et ceux des pénalités pour construction illégale… pour se retrouver finalement sans domicile et profondément blessé dans son âme. La colonisation continue comme avant mais avec un léger changement de « style ».
2 200 nouveaux logements ont été annoncés début août dans les colonies en Cisjordanie. Pour faire avaler la pilule à l’« aile gauche » de la coalition gouvernementale mais aussi pour apparaître comme un véritable gouvernement de changement, il a été promis de permettre la construction de 1 000 logements pour les Palestiniens en Cisjordanie occupée. Certains, notamment en France et en Europe, ne manqueront pas de qualifier cette double décision, d’« offre généreuse » de la part d’Israël. Absurde, car, comme le fait remarquer Yariv Oppenheimer, membre du mouvement La Paix Maintenant en Israël, et ancien directeur de l’organisation, « les Palestiniens ne devraient même pas avoir à demander l’autorisation de construire ou non, parce qu’ils n’ont jamais élu ce gouvernement, c’est un territoire occupé. Dans une situation normale, les Palestiniens devraient pouvoir décider eux-mêmes s’ils peuvent construire ou non ».
Ce style, véhiculé essentiellement par Lapid et Gantz, n’est en effet pas nouveau. C’est le cœur même du plan Trump, cette supercherie nommée « paix par l’économie » qui a été mise en échec par les Palestiniens car ils savent que ce sont des promesses creuses pour les détourner de leur objectif principal, celui de conquérir leurs droits nationaux.
Acte citoyen
La population palestinienne a compris depuis l’échec des accords d’Oslo que, à l’exception d’une faible minorité, la classe politique israélienne ne veut pas d’une paix fondée sur le droit et la justice. Elle sait pertinemment que pour imposer son droit à l’autodétermination, elle ne peut compter que sur ses propres forces et sur le soutien du mouvement de solidarité et de l’opinion publique internationale. Cette population est prête au sacrifice pour obtenir ses droits. Elle l’a démontré à Sheikh Jarrah et dans l’ensemble de Jérusalem, mais aussi à Gaza, en Cisjordanie, en Israël et dans les camps de réfugiés en Jordanie et au Liban. Tout a été entrepris pour diviser cette population depuis 1948 et 1967 mais, ce qui s’est passé avant l’été partout où se trouvent des Palestiniens, prouve que ce peuple est uni. Il manque l’unité des forces palestiniennes organisées au sein d’une OLP forte et rénovée, et le respect des droits humains par les institutions palestiniennes qu’elles soient à Gaza ou en Cisjordanie.
La répression de manifestations pacifiques contre la politique de l’Autorité palestinienne ou contre celle de Gaza bafoue un droit fondamental. La demande d’une enquête sur la mort fin juin du militant Nizar Banat, alors qu’il était détenu par les forces de sécurité palestiniennes, est un acte citoyen qui doit être protégé dans un État de droit. Réclamer un calendrier pour les élections législatives et présidentielles qui étaient prévues- en mai et juillet et ont été reportées sans motif crédible, est une demande absolument légitime. La réussite de la lutte contre l’occupation israélienne exige, en préalable, le respect des droits humains par les responsables palestiniens.
La résistance palestinienne doit être soutenue. Elle porte en elle une gigantesque soif de liberté et de justice. En témoigne la formidable mobilisation pour soutenir les luttes des prisonniers politiques palestiniens et plus particulièrement les six évadés de Gilboa qui ébranlent un peu plus le mythe de l’invincibilité de l’État colonial.