Le leader palestinien a conduit la lutte de son peuple dans des onditions inédites, incomparables à tous les points de vue aux autres expériences de libération nationale.
En premier lieu, la question palestinienne s’est trouvée liée à la "question juive", ancestrale, mondiale et maintes fois tragique, où se mêlent à la politique, l’Histoire, la Religion et beaucoup de mythes.
Elle est également intimement liée aux visées coloniales de l’Europe de la fin du 19ème siècle, à l’effondrement de l’Empire Ottoman et aux querelles ou entendements concernant le partage de la domination sur cette partie du monde. C’est dire sa complexité et sa spécificité.
Dans ce contexte, le peuple palestinien a été confronté à deux grands exodes, en 1948 et en 1967, et s’est retrouvé non seulement chassé de sa terre, dispersé aux quatre coins du monde dans des camps de réfugiés et dans des conditions misérables, sous le joug de régimes arabes répressifs et instrumentalisant la cause palestinienne à des fins
perverties, mais aussi devant un refus obstiné de reconnaître l’injustice historique suprême qui lui a été faite.
L’OLP, sous la direction de Abou Ammar, a dû confronter toutes ces donnes, les gérer et les digérer pour en tirer des conditions permettant d’une part l’établissement d’un cadre pour un mouvement de libération nationale et d’autre part le renversement de l’histoire : malgré la
misère des réfugiés, leur éparpillement, le déni matériel et
intellectuel de la possibilité d’une Palestine, naissait avec l’OLP combattante, "seul et unique représentant du peuple palestinien" une société palestinienne unie et l’entité politique qui lui correspondait.
C’est un long cheminement, tissé de résistance et de confrontations, de persévérances comme d’obstacles et d’échecs, mais aussi de changements sur la carte de la politique mondiale, qui a conduit à la recherche de
compromis permettant d’entrevoir une issue politique négociée.
Les accords d’Oslo sont nés dans ce sillon. Il n’y a que l’approche simpliste qui se permet de juger le "texte" et de lui trouver des lacunes et des torts - évidents - sans en percevoir le sens et la dynamique. Les accords d’Oslo ont ramené la question palestinienne en Palestine ! Des personnes physiques (par dizaines de milliers), les
leaders de cette lutte, et surtout son déroulement et la concrétisation mondiale, officielle, reconnue par tous ( y compris par Israël ) de l’existence d’une entité palestinienne. C’est, depuis 1948, le premier
"retour". Il est humain et politique.
Oslo est un moment unique et exceptionnel dans le parcours d’Israël, classe politique et société confondues, que la première Intifada héroïque a mis sous le choc. Le parcours d’Israël relève d’un colonialisme particulier, construit sur le déni de la Palestine et sur l’expansion et la domination.
L’arrivée d’Ariel Sharon au pouvoir annonce la liquidation de ce moment exceptionnel. Plébiscité et largement et durablement soutenu, ce dernier considère Oslo comme une "erreur historique" et dit venir "terminer 1948". Il le
fait à une cadence rapide et avec une détermination meurtrière, détruisant tout ce qui symbolise la Palestine.
Sa haine contre Yasser Arafat découle de cette source. Il a eu les mains libres pour accomplir sa besogne, concordant avec la domination de la version la plus guerrière, la plus agressive du néolibéralisme triomphant, celle de l’administration Bush et de sa guerre permanente et totale, la ressemblance entre les arguments et les méthodes employés en Palestine et en Iraq occupé est éloquente à ce égard.
Yasser Arafat a conquis sa carrure d’homme historique à travers tout cela. En se battant farouchement pour mettre du côté du "peuple palestinien" ( ainsi naissant des cendres de l’image du "pauvre réfugié") le droit international et l’évidence d’une cause juste. Il fallait à la fois énormément de courage, de lucidité, de solidité et
d’entêtement, de finesse et de souplesse... c’est ça le génie de Abou Ammar !
Le génie de construire, avec la révolution, un État. Cet État était concrétisé, bien avant Oslo, avant la "terre", par l’OLP, et ce sur la scène politique internationale comme quotidiennement dans les mille détails de la vie des palestiniens. Cette construction était une urgence
vitale dans le contexte spécifique de la question palestinienne.
Il y a eu certainement des manquements, des erreurs, une permissivité qui a laissé s’installer de la corruption, des querelles d’intérêts, des solutions à la va-vite y compris parfois répressives...Il ne s’agit pas de les nier, encore moins de les justifier ou de minimiser leurs conséquences.
Mais il serait aveuglant de les laisser camoufler le parcours qui a duré et qui dure encore, depuis ce premier
jour de 1967 et l’annonce publique du Fatah (en gestation depuis bien des années), jusqu’à l’émotion immense qu’a soulevée la disparition de Yasser Arafat.
C’est une époque qui s’en va...
Le peuple palestinien, ainsi privé de son leader, continuera la lutte en intégrant cette nouvelle donne qui vient s’ajouter à l’extrême difficulté des conditions auxquelles il est confronté.
il est totalement légitime d’accuser le gouvernement israélien de l’assassinat de Yasser Arafat. Avec ou sans empoisonnement, les conditions de séquestration durant trois ans du leader palestinien à la Mouqata’a suffiraient pour causer la mort. C’était une issue préméditée
et d’ailleurs publiquement annoncée par les dirigeant israéliens.
Les Internationaux qui ont passé un mois aux côtés de Yasser Arafat, en avril 2002, lors de l’offensive de la réoccupation militaire de la Cisjordanie, peuvent l’attester, ainsi que tous ceux et celles qui ont continuer à lui rendre visite, les délégations officielles, les
missions civiles...
l’hommage qui est rendu à Yasser Arafat ne relève nullement de l’idôlatrie ou du culte de personnes, mais de la signification de ce qu’il représente dans un contexte précis de déni et d’émiettement. Il concrétise un symbole, un repère, et aussi une confiance Ô combien de fois mise à l’épreuve.
Et c’est pour ces mêmes raisons qu’il est stupide de s’adonner au jeu de "qui sera son successeur". Les hommes historiques ne naissent pas par décret. Désormais, une direction collégiale s’impose, dont le soucis majeur sera
de préserver les acquis du parcours et de continuer à mener la longue lutte qui attend encore le peuple palestinien.
Pour s’installer et pour se prévaloir de l’indispensable légitimité aux yeux des Palestiniens et du monde entier, cette direction se dirige vers l’organisation d’élections générales.
La situation créée par l’agression israélienne permanente et sans mesure en Palestine fait que ces élections ne pourront se dérouler que prises en charge internationalement, une prise en charge qui devrait être totale et s’exprimer sur tous les niveaux, du politique au pratique.
C’est un combat qu’il s’agit d’ajouter à nos agendas sur la Palestine, au même titre que celui de l’exigence d’une force de protection internationale pour le peuple palestinien, menacé dans son existence-même et pas uniquement via la destruction systématique de ses institutions politiques et civiles, au même titre que les campagnes pour le démantèlement du "mur", pour des sanctions à l’encontre d’Israël tant que sa politique bafoue le droit international... Il peut même être chronologiquement plus urgent.
Les membres des 97 ème, 98 ème et 99 ème missions civiles pour la protection du peuple palestinien, actuellement présents en Palestine pour la cueillette des olives, ont participé le vendredi 12 novembre aux obsèques du leader palestinien à Ramallah. Ils et elles ont vécu ce
moment inégalable, où le peuple palestinien, assassiné, affamé, emprisonné, retenu sur les checks-points et derrière le mur ... est sorti accueillir son leader.
Ils et elles ont vu ce que voulait dire la phrase favorite de Yasser Arafat : "Chaab el jabbarine", un peuple de
géants, un grand peuple.
... N’empêche que notre tristesse est immense !