Moi qui ai toujours écrit, je n’ai pas pu écrire ; moi qui parle tant, je me suis tu. Tu es parti sans que je puisse te dire au revoir, sans un dernier mot, un dernier regard, un dernier sourire. Tu es parti en exil, l’exil que tu as tant détesté, que tu as combattu avec toutes tes forces. Je ressens maintenant le besoin de t’écrire, de te parler, de te déranger, toi qui mérites plus que quiconque un peu de repos. La Palestine a dû dire au revoir à son leader historique, à celui qui a incarné cette cause, ce combat et cette terre. Le monde a dit au revoir à un grand combattant, homme de paix prêchant inlassablement la coexistence et portant le rêve d’un avenir différent.
- © Joss Dray
Tu as mis la Palestine sur le devant de la scène internationale quand le monde cherchait à l’enterrer. Tu as assuré l’indépendance de cette cause quand certains cherchaient à l’accaparer. « La paix est un choix stratégique, pas un choix tactique », aimais-tu répéter. Tu as mené le peuple palestinien sur la voie de la paix tout en comprenant ses déceptions, ses souffrances, sa révolte. Tu as fait des choix difficiles sans jamais rompre le lien avec lui.
Tu as accepté une paix reposant sur deux Etats. Je fais partie des gens qui ne voulaient pas de cette paix, qui rêvaient de la Palestine que mes parents et grands-parents avaient connue. Je fais partie des gens qui ont accepté ton choix de faire la paix bien plus que la paix elle-même et tu m’as appris à la vouloir réellement.
Tu as incarné jusqu’à la confusion cette cause. On te dit ambigu, tu ne l’as pas été. Tu symbolisais à la fois notre désir de paix et notre révolte réelle. Ce n’est pas toi qui étais ambigu, c’est le monde ambigu ou hypocrite qui voulait la paix sans nous rendre nos droits, qui voulait que nous capitulions, ce que nous ne saurions faire. Tu as tant rêvé de paix, tu parlais sans cesse de coexistence. Ceux qui ont eu la chance de te rencontrer lisaient dans ton regard cet espoir et cet humanisme. Mais le monde a préféré accueillir Sharon et accepter ton emprisonnement. Président, tu as passé trois ans dans ce quartier général, emprisonné, encerclé. Ce quartier général, ils l’ont détruit pour te détruire. Ta réponse : un sourire et le refus de t’agenouiller.
J’ai grandi sur tes paroles, j’ai connu mon pays et je l’ai aimé à travers ton regard. Nous avons dû dire au revoir à tant de héros... Nous les avons enterrés dans nos exils, en attendant le retour, en attendant la dignité, en attendant la vie. Nous avons semé leurs tombeaux à chaque pas en donnant notre parole qu’ils rentreraient avec nous en Palestine. Tu les rejoins comme pour mieux les honorer, comme pour lier ton sort au leur. Tu reposes à Ramallah, mais la terre qui te couvre est de Jérusalem, là où, je te le promets, nous t’enterrerons. Tu reposes dans ton quartier général devenu ta prison, ta résistance et ta dernière leçon. Comme pour nous dire que devenant Président, tu n’avais pas cessé d’être un leader qui aimait partager les joies de son peuple, il est vrai assez rares, et qui a toujours partagé ses douleurs.
Au revoir Président, au revoir Arafat, au revoir Abou Ammar. Certains en lisant ces lignes se demanderont si tu ne mérites pas plus de critiques. Je sais que ça te ferait rire. Tu sais bien que nous savions te critiquer, tu nous y a habitués. C’est là ta vraie force, tu es humain et nous le savions ; tu avais des défauts et nous les connaissions mais cela ne nous a jamais empêchés de t’aimer. Tu avais deux hantises : l’amour de ton peuple et son destin, et l’Histoire. Ta mort a prouvé que tu n’as rien à craindre. La France, à laquelle nous serons éternellement reconnaissants, t’a réservé les honneurs d’un chef d’Etat et t’a permis de remporter ta dernière victoire sur le silence du monde. Ton peuple a voulu te dire au revoir en te portant, en envahissant ce quartier général damné, en pleurant, en priant, en criant, en te faisant cette même promesse. Nous t’enterrerons là où tu l’as voulu et le combat continue.
Tu nous laisses un héritage que le peuple tout entier doit porter, et nous devons nous en montrer dignes. Tu nous a menés jusqu’à notre terre et à présent tu nous confies ce rêve pour lequel tu as - nous avons - déjà tant sacrifié.
Pardon pour mes larmes, pardon pour mon désespoir, pardon pour mes doutes. Pardon à toi, porteur d’espoir, qui le premier m’as donné quelques certitudes. Nous n’oublierons ni la légende que nous respectons, ni l’homme que nous aimons. Nous te porterons jusqu’à Jérusalem, jusqu’à l’Etat, et nous mettrons fin à nos exils, à nos morts. Tu as lié ton sort à ceux-là qui sont enterrés dans une dernière demeure temporaire mais aussi à celui de ton peuple en reposant dans ta prison comme pour partager, même dans ta mort, le sort de ton peuple, comme pour ne pas être libre tant qu’il ne le sera pas. Alors nous te porterons à Jérusalem, jusqu’à l’Etat, et ce n’est que là que les vivants comme les morts seront LIBRES.