JB, AFPS - PalSol n°75
Silwan au coeur d’une politique globale du « Grand Jérusalem »
L’installation de l’ambassade étatsunienne a été un accélérateur des actes de colonisation et de nettoyage ethnique de Jérusalem par Israël. La municipalité poursuit l’objectif de redessiner la ville et d’y réduire à 30 % la population des Palestiniens.
Cette stratégie est confirmée par l’autorisation donnée à la construction de 6 500 unités d’habitation dans les colonies qui font partie du périmètre municipal israélien de Jérusalem (au nord, dans la colonie de Ramat Shlomo et au sud, dans la colonie de Givat Hamatos), ou qui le jouxtent (dans la zone E1 à l’est), une stratégie destinée à isoler les quartiers palestiniens du reste de la Cisjordanie.
À Jérusalem, l’année 2020 a aussi été marquée par une accélération des destructions : 165 structures dont 101 résidences ont été démolies (bilan de l’OCHA au 31 octobre).
Année noire pour les institutions palestiniennes
En juillet dernier plusieurs raids ont été menés par l’armée israélienne contre des centres culturels palestiniens, au cours desquels leurs directeurs ont été arrêtés. Par ailleurs, cédant à la pression israélienne, l’Union européenne a instauré un financement conditionnel des ONG, assimilant ces dernières à des éléments potentiellement liés au terrorisme.

Les arrestations à répétition du gouverneur illustrent l’objectif d’Israël : effacer l’identité culturelle, le patrimoine et la présence politique palestinienne à Jérusalem.
Un quartier stratégique pour l’autorité d’occupation et les colons
Silwan est un quartier palestinien de plus de 50 000 habitants, adossé au sud-est de la Vieille Ville. La population de Silwan est très modeste et enregistre l’indice socio-économique le plus bas de Jérusalem. Les Palestiniens paient des taxes locales très élevées, condition sine qua non du maintien de leur statut juridique de « résident permanent ». Mais en retour, le manque de services sociaux et d’infrastructures publiques dans les domaines éducatifs, sociaux, de la santé… est criant. Les familles vivent dans l’incertitude constante du devenir de leur logement.
Sous couvert d’hypothétiques revendications historiques et religieuses rassemblées au sein du projet de « Parc de la Cité de David », les fouilles archéologiques et les associations de colons radicaux « El Ad » et « Alteret Cohanim » agissent comme les deux bras actifs de l’autorité israélienne pour continuer la colonisation.
Aujourd’hui, 450 colons habitent Silwan regroupés dans 45 sites. Ils instaurent un climat de violence. Les arrestations fréquentes et les restrictions de mouvement créent un climat oppressant, pour obliger les Palestiniens à quitter la ville.
Règles urbaines et projets spécifiques de l’autorité d’occupation
De 1967 à 2017, sur l’ensemble de Jérusalem-Est, seuls 5 000 permis de construire ont été accordés à la population palestinienne qui est passée dans le même temps de 72 000 à 340 000 habitants. Ceci explique que près de 100 000 d’entre eux habitent des maisons construites sans permis et donc, menacées de démolition.
Depuis 1967 à Silwan, en dehors des projets des colons israéliens, la municipalité de Jérusalem a toujours refusé de voter un plan de développement global (Master plan). Par conséquent, aucune famille n’a la possibilité, « toute théorique », de déposer un permis de construire. Aucune route, aucun espace public n’ont été aménagés dans un quartier qui s’est densifié. La municipalité a toujours refusé les plans de développement alternatif élaborés par les habitants de Silwan à travers leurs comités.
Les démolitions se sont accélérées ces 10 dernières années. Par ailleurs, plusieurs centaines de familles sont menacées, à la suite des décisions de justice dont il convient de rappeler l’illégalité car contraires au droit international en cas d’occupation, au titre notamment de la ive convention de Genève de 1949.
Notons les expulsions, dépossessions illégales et menaces particulières dans plusieurs zones de Silwan :
- À Wadi Hilweh, sur la pente sud de la Vieille Ville, délégation a été donnée par l’autorité d’occupation, à l’association des colons El Al pour l’aménagement, puis l’extension, du « Parc archéologique de la Cité de David ». El Al a aussi fait valider par les autorités d’urbanisme le projet du centre Kedem, le plus grand centre touristique de Jérusalem. En 2019, la Cité de David a été visitée par 1 million de touristes et de scolaires. Elle sert de justification à la colonisation de Silwan. La poursuite de l’excavation du tunnel, ancienne voie souterraine d’assainissement de l’époque romaine, fragilise des maisons menacées d’effondrement et désormais trop dangereuses à occuper. L’ensemble de ces projets et l’instrumentalisation des fouilles sont contestés par une association d’archéologues israéliens Emek Shaveh [1] qui propose des visites alternatives et dénonce les annexions par les colons.
- À Al-Bustan, la municipalité a promulgué une directive visant à la confiscation de 70 % de la terre et la démolition de 88 maisons afin de permettre l’extension du « Parc de la Cité de David ». Cédant à la mobilisation locale et internationale, le maire de Jérusalem a retiré l’initiative. Mais le projet alternatif élaboré par les habitants d’Al-Bustan a été rejeté par la municipalité.
- À Wadi Yasul, le plan « green area » d’extension de la forêt explique les menaces de démolition de 44 maisons. Cinq infrastructures ont été démolies en 2020.
- À Batn al-Hawa, le tribunal du district vient de rejeter l’appel de 3 familles et de décider de leur expulsion de leurs maisons au profit de l’association des colons, Alteret Cohanim. Au total, 88 familles ont reçu des avis d’expulsion, soit près de 700 personnes, à la suite d’une décision de la Haute cour israélienne. Elle s’appuie sur la loi dite de « propriété des absents » (1970) qui stipule que leur maison a été construite sur un terrain appartenant, avant 1948, à des familles juives dédommagées pour aller habiter à Jérusalem-Ouest. Ces décisions contraires au droit international en territoire occupé permettent l’installation de nouveaux colons.

Sur le terrain : missions récentes à Silwan
Dans le cadre de la coopération décentralisée coordonnée par le RCDP [2], 15 collectivités territoriales françaises sont engagées depuis deux ans dans le programme JeR’Est, avec le centre social et culturel Al-Bustan. Des activités éducatives sont organisées en direction des enfants, des jeunes et de leurs familles. Cette coopération prolonge celles, déjà anciennes, d’ONG et d’associations comme L’Olivier (Corbeil-Essonnes).
Démolitions à Silwan
(Statistiques de l’OCHA)Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires BACH, ou OCHA (Office for the Coordination of Humanitarian Affairs), est un département du Secrétariat de l’ONU.
De 2009 à 2019 :
> 157 structures démolies, dont 46 résidences,
> 247 déplacées,
> 769 personnes affectées,
> Parmi les structures démolies : 46 résidences, 20 liées au cadre de vie, 2 liées aux services eau et assainissement, 34 structures liées à l’agriculture.
Sur l’année 2020 (au 31/10) :
> 17 structures démolies, dont 7 résidences,
> 49 personnes déplacées
> 68 personnes affectées
Plusieurs missions sur place de formateurs et d’élus locaux permettent de mieux appréhender les situations humaines complexes. D’abord, le poids du contexte général avec la hantise des expulsions, les discriminations dans l’accès aux services publics, en particulier à l’éducation et à la santé, qui marquent un fort ressenti d’exclusion et de déni d’humanité.
Ce contexte est exacerbé par un quotidien de violences subies, de la part des colons et de l’armée d’occupation, notamment les arrestations d’enfants et d’adolescents qui ont de lourdes conséquences psychologiques. La situation rapportée par deux travailleurs sociaux français sur place lors de l’arrestation d’un enfant condamné à rester enfermé chez lui sous la responsabilité imposée à ses parents par l’occupant, témoigne de graves conséquences intrafamiliales.
Le Centre social résonne de toutes ces exactions et le soutien aux familles prend une place centrale face à ces situations traumatiques. Il en est de même pour le soutien psychologique aux équipes de bénévoles.
Pourtant, les coopérants restent enthousiastes et portent haut l’ambition culturelle et sociale des actions réalisées, des rapports humains et fraternels, des moments de vie et des projets partagés. L’implication, le dynamisme de jeunes du quartier et l’engagement des femmes dans la vie du centre sont tout à fait exemplaires. Les capacités d’organisation et d’adaptation à l’évolution de la réalité quotidienne sont remarquables ; en cette période sanitaire de pandémie, l’organisation de la solidarité alimentaire ou le soutien éducatif aux enfants et jeunes déscolarisés sont particulièrement importants.
Silwan, quartier de résistance et de solidarité
Les menaces de démolition se sont accélérées, en particulier dans la zone de Batn al-Hawa. Le comité de défense vient d’installer, en décembre 2020, une grande tente de sit-in, de résistance et de solidarité, occupée et animée par les habitants. Ce lieu a permis des rencontres avec des délégations diplomatiques représentant des consulats (dont la France) et des ONG internationales. De nombreux entretiens sont accordés à la presse et aux médias nationaux et internationaux.
Cet acte n’est ni ponctuel, ni isolé. Il est l’une des formes de résistance pour combattre les expulsions et affirmer le droit de vivre à Silwan comme dans tout Jérusalem-Est, les Palestiniens restent chez eux ! Ils s’organisent dans le comité de défense de la terre à Silwan et développent la solidarité entre les habitants. Ils s’appuient sur le travail opiniâtre de la Civic Coalition, organisation des Droits de l’Homme, pour faire respecter les droits des populations occupées à travers des batailles juridiques devant les tribunaux. Ils communiquent à l’échelle internationale et appellent à l’action solidaire pour leurs droits et leur avenir.
Je voudrais remercier Zakaria Odeh, coordinateur de la Coalition civique pour les droits des Palestiniens à Jérusalem, qui m’a aidé à décrypter les enjeux de la situation et son actualité.
En conclusion, je tiens à relayer son message de remerciements à ceux qui le soutiennent et à la solidarité des militants français qui font pression sur le gouvernement français et sur l’Union européenne. Il faut que la France soit à l’initiative pour les droits et la protection du peuple palestinien.
