Dans le camp de réfugiés de Jénine, somnolant en ce jeûne du ramadan, les barrages de pneus et les bennes de déchets fumantes sont déjà prêts pour bloquer les jeeps blindées israéliennes. Depuis plus d’une semaine, cette ville de Cisjordanie est l’épicentre de la réponse musclée aux attentats de la fin mars, dans lesquels 16 personnes, dont les assaillants, sont mortes. Deux d’entre eux étaient originaires de Jénine.
La ville de plus de 60 000 habitants est encerclée de checkpoints mobiles, et le poste-frontière de Jalameh est fermé. Depuis 2008, c’est pourtant par celui-ci qu’Israël tente de pousser la paix par le développement économique, en encourageant les liens avec les Palestiniens citoyens d’Israël.
Le marché principal dépeuplé
Le directeur général de la chambre de commerce, Mohammad Kmail, 34 ans, est le pur produit de l’optimisme produit par cette politique. Aujourd’hui, il est désabusé. "Pendant le Ramadan, on a plus de 12 000 visiteurs par jour. Plus de 65 % de l’économie de Jénine dépend des liens avec Israël. Aujourd’hui, il n’y a personne", dit Mohammad Kmail. "L’occupation israélienne ne cherche qu’à nous humilier".
Dans le marché principal, dépeuplé, le ressenti est évident. "Il y a des commerces ici qui n’ont rien vendu depuis une semaine", dit Hassan Turkman, 20 ans, qui tient un magasin de vêtements avec son père. "Mais nous sommes prêts à payer le prix – c’est aussi notre façon de résister".
"Le pain ne suffit pas pour vivre"
Le camp de réfugiés, où habite environ un cinquième de la population, a aussi profité du développement, mais les groupes armés ont toujours pignon sur rue. Israël y voit l’influence du Djihad islamique palestinien et, au-delà, de l’Iran.
Ce que conteste Jamal Hweel, ancien parlementaire proche de la famille de Raed Hazem, qui a tué trois Israéliens en ouvrant le feu dans un bar à Tel-Aviv, le 8 avril. "Le pain ne suffit pas pour vivre", explique-t-il. "Les colonies continuent à grandir, les Palestiniens citoyens d’Israël font toujours l’objet de discriminations, et les Israéliens continuent à élire des gouvernements de droite dure. On a l’impression de ne pas être vus".
Pourtant, Jamal Hweel ne croit pas à une troisième intifada. "Nous souffrons d’une crise de leadership", dit-il, très critique, comme beaucoup à Jénine, du gouvernement de Mahmoud Abbas, considéré comme corrompu, économiquement et idéologiquement. "Aujourd’hui, on s’en remet à des héros sans visages, comme le chef militaire du Hamas, et à des jeunes comme Raed. Vous les appelez des loups solitaires – pour nous, ce sont des lions".
Violents affrontements
Jeudi, les Israéliens ont annoncé que le checkpoint rouvrirait finalement dimanche, avec certaines restrictions – mais qu’il pourrait être refermé à n’importe quel moment. En attendant, les morts s’accumulent en Cisjordanie, tués par une armée israélienne fébrile à qui le Premier ministre Naftali Bennett a accordé toute sa confiance pour "battre le terrorisme". Vendredi matin, l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem a été le théâtre de violents affrontements – plus d’une centaine de Palestiniens ont été blessés, des dizaines arrêtées. Tout cela rappelle les premiers jours de la dernière guerre de mai 2021.