Photo : Au milieu des déplacements et de la guerre brutale, les professeurs de l’UNRWA utilisent tous les endroits possibles comme salle de classe pour fournir une éducation à des milliers d’enfants à Gaza, 17 mai 2024 © UNRWA
Lorsque le 29 juillet, le ministère palestinien de l’éducation et de l’enseignement supérieur a annoncé les résultats de l’examen général du lycée tawjihi, Sara a pleuré. Cette jeune femme de 18 ans a vu sur les réseaux sociaux les célébrations joyeuses d’autres étudiants de Cisjordanie occupée qui se réjouissaient de leur réussite.
"J’étais censée être heureuse à ce moment-là, en célébrant la fin de mes études secondaires", m’a-t-elle dit, les yeux pleins de larmes, lorsque je lui ai rendu visite dans la tente de sa famille à Gaza. "Je rêvais d’être parmi les meilleurs élèves et d’avoir des entretiens pour célébrer ma réussite."
Sara étudiait à l’école secondaire Zahrat Al-Madain, dans la ville de Gaza, et aspirait à devenir médecin. L’examen d’entrée à l’université, pour lequel elle aurait étudié durement pendant des mois, lui aurait permis de s’inscrire dans une faculté de médecine. Le résultat de l’examen est le principal critère d’admission dans les universités palestiniennes.
Au lieu de cela, Sara passe son temps à désespérer : sa maison et ses rêves d’un avenir meilleur ont été détruits par les bombardements israéliens.
Elle fait partie des 39 000 étudiants palestiniens de Gaza qui devaient passer l’examen d’entrée à l’université cette année, mais qui n’ont pas pu le faire.
Mais Sara fait partie des "chanceux". Parmi les élèves qui devaient terminer leurs études secondaires, au moins 450 ont été tués, selon le ministère palestinien de l’éducation. Plus de 5 000 autres élèves de différentes classes sont également morts dans l’agression génocidaire d’Israël sur Gaza, ainsi que plus de 260 enseignants.
Des dizaines de ces élèves de terminale ont probablement été tués dans les écoles, qui ont été transformées en abris pour les Palestiniens déplacés depuis le début de la guerre de Gaza. Il y a une sombre ironie dans le fait que les lieux d’apprentissage et d’éducation à Gaza ont été transformés en lieux de mort.
Depuis le mois de juillet, Israël a bombardé des écoles à 21 reprises, faisant un nombre considérable de victimes. Lors de la dernière attaque, l’école al-Tabin, dans la ville de Gaza, est devenue le cimetière de plus de 100 personnes, dont une majorité de femmes et d’enfants. Des rapports horribles décrivent des parents cherchant leurs enfants en vain, les bombes les ayant réduits en petits morceaux.
Selon les Nations unies, 93 % des 560 écoles de Gaza ont été détruites ou endommagées depuis le 7 octobre. Environ 340 ont été directement bombardées par l’armée israélienne. Il s’agit d’écoles gouvernementales et privées, ainsi que d’écoles gérées par les Nations unies elles-mêmes. Il est désormais clair qu’Israël prend systématiquement pour cible les écoles de Gaza, et il y a une raison à cela.
Pour les Palestiniens, les espaces éducatifs ont historiquement servi de centres vitaux pour l’apprentissage, l’activisme révolutionnaire, la conservation culturelle et la préservation des relations entre les terres palestiniennes coupées les unes des autres par la colonisation israélienne. Les écoles ont toujours joué un rôle crucial dans l’autonomisation et le mouvement de libération du peuple palestinien.
En d’autres termes, l’éducation est une forme de résistance palestinienne aux tentatives israéliennes d’effacement du peuple palestinien depuis la Nakba de 1948. Lorsque les milices juives ont procédé au nettoyage ethnique et à l’expulsion d’environ 750 000 Palestiniens de leur patrie, l’une des premières choses qu’ils ont faites en s’installant dans les camps de réfugiés a été d’ouvrir des écoles pour leurs enfants. L’éducation a été élevée au rang de valeur nationale. C’est ainsi que le secteur éducatif palestinien s’est développé au point d’afficher des taux d’alphabétisation parmi les plus élevés au monde.
Ce n’est pas une coïncidence si la bande de Gaza, appauvrie, assiégée et régulièrement bombardée, a toujours été le foyer de certains des meilleurs élèves à l’examen du tawjihi. Les récits abondent d’étudiants de Gaza qui ont obtenu certaines des meilleures notes après avoir étudié à la lumière de lampes à huile ou de téléphones portables pendant des coupures d’électricité régulières ou en refusant de s’arrêter alors même qu’Israël bombardait l’enclave. Exceller dans ses études malgré tout est une forme de résistance, que les jeunes de Gaza en soient conscients ou non.
Aujourd’hui, Israël tente de détruire cette forme de résistance palestinienne en commettant un scolasticide. Il démantèle les institutions éducatives et culturelles afin d’éradiquer les voies par lesquelles les Palestiniens peuvent préserver et partager leur culture, leur savoir, leur histoire, leur identité et leurs valeurs à travers les générations. Le scolasticide est un aspect essentiel du génocide.
Pour les étudiants victimes de cette campagne génocidaire, la destruction du secteur de l’éducation a eu un impact dévastateur. Pour beaucoup d’entre eux, l’éducation était synonyme d’espoir que la vie pourrait s’améliorer, qu’ils pourraient sortir leur famille de la pauvreté grâce à un travail acharné.
J’ai pensé à la propagation du désespoir parmi les enfants et les jeunes de Gaza lorsque j’ai vu Ihsan, 18 ans, vendre des desserts faits à la main sous un soleil brûlant dans une rue poussiéreuse de Deir el-Balah. Je lui ai demandé pourquoi il était dehors en pleine chaleur. Il m’a répondu qu’il passait ses journées à vendre des desserts faits à la main pour gagner un peu d’argent afin d’aider sa famille à survivre.
"J’ai perdu mes rêves. Je rêvais de devenir ingénieur, d’ouvrir mon propre commerce, de travailler dans une entreprise, mais tous mes rêves ont été réduits en cendres", a-t-il déclaré avec désespoir.
Comme Sara, Ihsan aurait déjà passé l’examen de tawjihi et se réjouirait d’étudier à l’université.
Je vois à Gaza tant de jeunes gens brillants, comme Sara et Ihsan, qui étaient censés célébrer leur réussite au lycée et qui pleurent maintenant les rêves qui leur ont été violemment arrachés. Ceux qui auraient pu être les futurs médecins et ingénieurs de Gaza passent désormais leurs journées à lutter pour trouver de la nourriture et de l’eau afin de survivre à peine, alors qu’ils sont entourés par la mort et le désespoir.
Mais la résistance n’est pas totalement éteinte. L’aspiration à l’éducation des Palestiniens de la bande de Gaza détruite n’a pas disparu. Cela m’a été rappelé lorsque j’ai rendu visite à Masa, six ans, et à sa famille dans leur tente à Deir el-Balah. Alors que je parlais à sa mère, qui me racontait que son cœur se brisait chaque fois que sa fille pleurait parce qu’elle ne pouvait pas aller à l’école, Masa n’arrêtait pas de me supplier : "Maman, je veux aller à l’école. Allons au marché pour m’acheter un sac et un uniforme scolaire". Masa serait entrée en première année en septembre. Ce mois aurait été l’occasion d’acheter toutes les fournitures scolaires, un uniforme et un cartable, ce qui lui aurait procuré une immense joie.
Alors qu’aujourd’hui les appels des enfants palestiniens à aller à l’école laissent de nombreux parents le cœur brisé, cette soif d’éducation sera le moteur de la reconstruction du secteur de l’éducation à Gaza demain, lorsque cet enfer génocidaire sera terminé.
Dans une récente lettre ouverte, des centaines de chercheurs et de membres du personnel universitaire de Gaza ont souligné que "la reconstruction des institutions universitaires de Gaza n’est pas seulement une question d’éducation ; elle témoigne de notre résilience, de notre détermination et de notre engagement inébranlable à assurer un avenir aux générations futures".
En effet, de nombreux Palestiniens aspirent à reconstruire les établissements d’enseignement essentiels à leur vie communautaire et à leur libération, incarnant ainsi le principe de sumud, ou fermeté. Pour paraphraser la phrase de conclusion de cette lettre : De nombreuses écoles à Gaza, en particulier dans les camps de réfugiés, ont été construites à partir de tentes, et les Palestiniens - avec le soutien de leurs amis - les reconstruiront à nouveau à partir de tentes.
Traduction : AFPS