
Dans la bande de Gaza, l’UNRWA est un acteur social et humanitaire essentiel. Fondée en 1949 pour venir en aide aux quelque cinq millions de réfugiés palestiniens éparpillés entre plusieurs pays, l’agence des Nations unies s’occupe à la fois de questions de santé, d’éducation et de logement. Directeur des opérations dans la bande de Gaza depuis mai 2012, le Canadien Robert Turner s’apprête à quitter ses fonctions, le 7 juillet, jour même du premier anniversaire de l’opération israélienne Bordure protectrice. Il se dit « plus triste que soulagé » de partir. Dans un entretien au Monde, il revient sur la situation dans l’enclave palestinienne sous blocus israélien et égyptien.
Quel est l’état des lieux humanitaire, du point de vue de l’UNRWA, dans la bande de Gaza ?
Il est clair que les besoins ne diminuent pas. Ils sont les mêmes ou pires qu’avant la guerre de l’été 2014. L’impact du blocus se fait ressentir. Le nombre de personnes nécessitant une aide alimentaire continue à croître. Au dernier trimestre, il est passé de 868 000 à 876 000, sur une population de 1,3 million de réfugiés. A cela s’ajoutent 20 000 familles qui postulent à une aide. En admettant que la moitié d’entre elles est éligible, cela signifie qu’il faut ajouter environ 50 à 60 000 personnes aux statistiques actuelles.
Qu’en est-il de l’électricité et de l’eau ? La centrale électrique a été touchée par une frappe israélienne l’été dernier.
Oui, c’est le réservoir d’essence qui a été touché. Ils ont donc moins de capacité de stockage. Mais le problème essentiel de la centrale est financier : comment continuer à l’alimenter en essence. Même si la centrale fonctionne, ce n’est que à mi-temps, la moitié de la journée. Concernant l’eau, il y a eu une augmentation du flux en provenance d’Israël, ce qui est bienvenu. Mais le problème qui se pose, bien sûr, quand on a un immeuble d’habitation, c’est de disposer d’eau et d’électricité au même moment, pour remplir les réservoirs.
On ne parle que de statistiques, des heures pendant lesquelles le courant marche. Mais l’impact sur la psychologie et les structures sociales est énorme. Les mères se lèvent à une heure du matin pour laver le linge, afin que leurs enfants aient des vêtements propres à se mettre. Elles organisent leur vie en fonction du moment où elles auront de l’eau et de l’électricité, et se demandent s’ils en auront assez, s’ils pourront acheter de la nourriture.
De l’avis général, Israël a relâché la pression ces derniers mois, laissant davantage circuler les hommes et les matériaux…
Il y a un changement de politique significatif et bienvenu, qui doit être souligné. Mais cela n’a pas, pour l’heure, d’implications concrètes. C’est très positif que des produits de Gaza puissent être maintenant vendus en Cisjordanie. Mais cela ne se déroule pas à une échelle suffisante pour avoir un impact sur le chômage très élevé à Gaza. Les changements sont donc bienvenus, ils doivent s’étendre, mais ils ne constituent pas un substitut à la levée du blocus.
Une des questions les plus délicates que gère l’UNRWA est celle des réfugiés, qui ont vécu dans les écoles après la guerre et peinent à retrouver un toit. Où en est-on ?
Il n’y a pas de retour des réfugiés dans les écoles, où les conditions sont assez misérables : pas de vie privée, pas de possibilité de préparer un repas, d’avoir des activités sociales et des horaires normaux comme dans toute famille. C’est vrai que les conditions à l’extérieur ne sont pas aussi bonnes qu’elles devraient, mais on doit les comparer à celles dans les écoles.
On a pu fermer tous nos centres d’accueil avant le début du ramadan, ce qui est un grand succès. Les familles qui pouvaient prétendre à une aide financière pour un abri ou des réparations l’ont reçue en cash. Tout dépend de la taille des familles, mais en moyenne il s’agit d’une aide à la location de 220 dollars (197 euros) par mois. Ces dix derniers jours on est parvenu à verser ainsi 11 millions de dollars. Chaque famille a donc reçu un versement jusqu’à la fin janvier, ce qui a contribué à calmer les esprits. Nous devons à présent trouver les ressources pour prolonger cet effort.
Justement, vous avez dénoncé il y a quelques mois l’assèchement des ressources financières de l’UNRWA. Où en est-on ?
La situation est bien plus inquiétante et dramatique qu’alors. Notre fonds général, qui ne concerne pas nos activités d’urgence et humanitaires, couvre les écoles, les hôpitaux, le ramassage des poubelles. Ce fonds accuse un déficit de 100 millions de dollars. Rien ne nous indique aujourd’hui que nous allons parvenir à combler ce trou. Des décisions devront être prises, notamment sur la réouverture de nos écoles l’an prochain. Si la situation ne s’améliore pas de façon significative, nos écoles resteront closes le 1er septembre dans nos cinq zones d’activité. Je parle là de 700 écoles et 500 000 enfants.
Ça aura un énorme effet sur la stabilité en Jordanie, dans la bande de Gaza, en Cisjordanie, au Liban, en Syrie. Rien qu’à Gaza, c’est 248 000 enfants, dans 252 écoles. Nous n’avons pas l’argent en banque pour payer les salaires. La décision sera prise autour du 1er août. Les premières écoles doivent rouvrir en Jordanie vers le 18 août. Ce n’est pas qu’un problème de promesse de dons, mais de liquidités. Nous devons avoir l’argent sur nos comptes pour payer les salaires. Nous avons accompli des efforts significatifs pour réduire nos coûts, geler nos recrutements, diminuer le nombre de consultants étrangers, augmenter les tailles des classes. Mais le problème est structurel. Par exemple, les pays européens nous donnent la même somme qu’il y a trois ans, ce qui signifie que c’est 20 % de moins, soit des dizaines de millions de dollars manquant, en raison d’une différence dans le taux de conversion.
Vous êtes arrivés en 2012. Quel est l’état d’esprit de la population aujourd’hui ? Il y a beaucoup de spéculations sur une montée du djihadisme salafiste, nourri par le désespoir…
La situation est pire aujourd’hui. Il y a moins d’espoir. Je perçois un sentiment terrible dans la population. Les parents pensent que les enfants n’auront jamais l’occasion d’avoir une vie décente. Mais il n’y a pas de présence organisée de l’organisation Etat islamique, même si certains individus peuvent avoir des sympathies à son endroit.