Mireille Sève, AFPS - Pal Sol n°73
Comment exprimer notre solidarité alors même que dans un souci de préserver la santé des Palestiniens où qu’ils soient, et dans le cadre du respect de l’État d’urgence décrété en Palestine en raison du Covid-19, les responsables palestiniens avaient décidé d’annuler les manifestations populaires traditionnelles ?
Comment rester silencieux, alors que cette année particulièrement, la Nakba était totalement indissociable de l’augmentation des tensions dans les territoires occupés et de l’aggravation de la situation par suite du projet d’Israël, soutenu par les États-Unis, d’annexer de nouvelles parties importantes de la Cisjordanie ?
Malgré le confinement, pour l’AFPS, impossible de se résigner à passer cette date sans marquer notre soutien à nos ami.es. C’est ainsi qu’est née l’idée d’inviter quelques représentant.es de la Palestine afin qu’elles et ils puissent s’exprimer lors d’une visioconférence. Une grande première pour notre association !
En effet, pas si facile d’apprivoiser la technique et d’organiser la logistique pour que nous soyons virtuellement tous réunis, de Cisjordanie, de Jérusalem-Est ou de Gaza, de New York et de différentes villes de France. Un véritable tour de force pour les « amateurs » que nous sommes, de prévoir l’accueil, la fluidité et l’animation des prises de paroles ; de permettre les traductions simultanées en arabeanglais- français ; et de réunir les questions des auditeurs… Nombreux sont ceux qui ont offert sans compter leur temps, leurs savoirs et compétences, leur énergie, pour que ce projet puisse aboutir. Qu’elles et ils soient remercié.es à nouveau. Sans eux, les quelque 380 auditeurs en ligne n’auraient pas bénéficié de la richesse des témoignages portés jusqu’à nos domiciles.
Nous avions donc cinq invité.e.s. Chacun. e avec son point de vue particulier et sa spécificité, a pu s’exprimer librement à partir de questions identiques que nous leur avions posées préalablement :
- Qu’est-ce que la Nakba représente pour vous ?
- Comment vivez-vous la situation actuelle sur le terrain
- Comment analysez-vous les violations des droits ?
- Quelles sont vos armes, comment pouvez-vous les mettre en oeuvre ?
- Quelles sont pour vous les priorités ? Quel rôle attendez-vous de la solidarité internationale ?
C’est à partir de ces trois questions que Monther Amira, du camp d’Aida à Bethléem, coordonnateur des activités du centre des jeunes du camp, président du PSCC (comité de coordination de la lutte populaire), acteur de la résistance populaire ; Nada Awad, de Jérusalem-Est, juriste, responsable de plaidoyers à l’institut du Caire pour l’étude des droits de l’Homme (CIHRS), spécialiste des droits des Palestiniens de Jérusalem ; Majed Bamya, ambassadeur, en poste à New York, coordonnateur politique et conseiller juridique à la Mission de l’État de Palestine auprès des Nations Unies ; Rania Muhareb, de Jérusalem-Est, juriste à l’ONG palestinienne des droits de l’Homme Al Haq, spécialiste du droit international et humanitaire et Ayed Yaghi, de Gaza, directeur du PMRS Gaza (société palestinienne de secours médical), membre du comité de pilotage du réseau des ONG palestiniennes (PINGO) et membre du Conseil national de l’OLP, ont pu alternativement s’exprimer pendant près d’une heure quarante.
Écoutons-les !
La Nakba est une histoire familiale intime, mais elle appartient tout autant à la mémoire collective. Pour Majed « Elle guide mon engagement politique actuel ».
En même temps, la Nakba fait autant écho à une réalité qu’à un sentiment : dépossession, déplacements forcés, privations, remplacements (par les colons).
Non seulement la Nakba perdure, mais elle s’intensifie : « Elle se vit de façon répétitive et quotidienne » nous dit Monther.
Nada confie c’est « un évènement traumatisant dont je découvre relativement tard qu’il a éprouvé ma famille ».
Pour l’ensemble de nos intervenant.e.s, il s’agit d’une tragédie, d’une grande souffrance qui traverse toutes les familles palestiniennes et la société.
La Nakba est décrite comme un processus qui a pour objectif de vider la Palestine de ses habitant.e.s et dont l’ONU porte la responsabilité originelle. Catastrophe qui se poursuit encore aujourd’hui au travers des lois et de la politique d’Israël, qui permettent les transferts forcés.
Malgré les années, malgré la mort, pour toute une génération qui n’a pu réaliser son rêve, « une détermination intacte au retour demeure » précise Ayed.
Douleur supplémentaire, ce drame collectif dans lequel le droit au retour et à l’autodétermination sont niés, n’a jamais été jugé. Constat accablant d’une réalité, celle de l’impunité d’Israël. Des massacres, des crimes de guerres, 2/3 d’une population déplacée n’ont encore jamais été jugés, « aujourd’hui seule la CPI peut juger et rendre justice » dit Rania.
La conviction partagée par tous est que le peuple subit encore cette souffrance, que jugement et réparation sont indissociables et nécessaires pour que la privation de liberté puisse cesser.
La situation sur le terrain ?
Les maîtres mots sont, l’aggravation de la situation, les menaces amplifiées et l’adaptation indispensable des Palestiniens à l’évolution de cette situation locale et internationale.
Les Palestiniens et peut-être plus particulièrement les Gazaouis assiégés, subissent deux virus, celui du Covid-19 et celui de l’occupation. Pandémie et discrimination créent une situation qui s’aggrave avec une multiplication des attaques contre les droits de l’Homme, lesquelles s’ajoutent aux risques sanitaires et à l’augmentation du taux de chômage…
Nos intervenant.e.s dénoncent la façon dont les Israéliens exploitent la situation pour plus d’humiliations, de privations et une surveillance de masse. Ils vont jusqu’à saper les efforts de prévention des Palestiniens alors que le confinement paralyse la résistance palestinienne. L’objectif d’Israël depuis 48 est de s’étendre, sans fixer de frontière et en confinant les Palestiniens. Ainsi, de nombreux défis sont à affronter. Il faut être créatif, trouver de nouvelles formes de résistance, ne jamais abandonner…
La politique d’annexion est illégale selon de Droit international. Pourtant les critères ne cessent de s’étendre pour traiter les Palestiniens comme des immigrés dans leur pays et leur refuser la résidence. Que ce soit par des révocations sur la base d’une planification d’urbanisme discriminante, avec refus de permis de construire, ou des démolitions de maisons à Jérusalem-Est, ou des transferts de population de la zone C, avec là aussi des interdictions de construction et des ordres de démolitions. Il y a aussi la colonisation qui augmente, avec plus de 225 colonies (dont celles dites « sauvages »).
Ainsi, l’annexion annoncée en juillet sera selon Nada « la reconnaissance dans la loi israélienne de l’annexion qui est sur le terrain une réalité depuis de nombreuses années ».
« Nous considérons que la communauté internationale est responsable de l’annexion de la Cisjordanie » nous dit Ayed, soulignant l’immunité d’Israël et le manque de condamnation.
Tous sont d’accord sur le fait que le plan d’annexion va installer durablement un régime de ségrégation et d’apartheid. « L’annexion ne crée pas le régime d’apartheid mais cristallise un régime déjà en place, avec privation du droit de souveraineté, du droit au retour et accaparement des richesses » affirme Rania.
L’exception israélienne doit cesser. Ce n’est pas un acte précis qui est condamnable, mais l’intention qui conduit Israël à mener tous ces actes criminels lesquels doivent être vus comme un ensemble. L’annexion permet de tout mettre en perspective : volonté de diviser, politique discriminatoire, privatisation des terres et des ressources…
Aujourd’hui, c’est une guerre pour préserver l’identité palestinienne.
Majed précise : « En 1948 nous avons eu un grand risque de disparaître de la géographie et de l’histoire. Nous avons réussi dans l’histoire et relativement dans la géographie grâce à la résistance du peuple palestinien et à la solidarité internationale ». Il faut espérer trouver les moyens de continuer. « Les Palestiniens doivent affiner leur stratégie dans le nouvel ordre mondial » ajoute Monther qui appelle à « trouver de nouvelles formes de luttes et une solidarité internationale encore plus forte ».
« 70 ans c’est peut-être une raison de perdre patience, mais pas de perdre espoir ! » conclut Majed.
Et pour l’avenir ?
Nos invité.e.s partagent le constat qu’il s’agit d’être et d’agir sur tous les fronts ! À l’intérieur pour maintenir l’unité des Palestiniens, soutenir leur niveau de résilience et résister activement. Mais il faut également penser et construire des ponts avec les autres mouvements mondiaux qui luttent pour l’égalité sous toutes ses formes. Et encore d’élargir et renforcer la solidarité internationale.
En écho : Injustice, solitude, ténacité et espoir…
Plusieurs interventions mettent en évidence l’importance du bilan de la situation actuelle, pour prendre en considération toutes les conséquences de l’impunité d’Israël.
Le constat est que les Palestiniens sont condamnés quelles que soient les formes de luttes qu’ils prônent. Toucher des cibles militaires, ce qui est autorisé par le Droit international ? Ils sont violents ! Manifester pacifiquement ? Ils sont attaqués et s’ils répliquent un doute existe, ne serait- ce pas eux qui ont commencé ? Même la résistance populaire non violente est criminalisée ! Appel au BDS ? On condamne l’action ! Ils se soumettent à la justice internationale (CPI) ? La Cour ne serait pas compétente car l’État de Palestine n’existe pas ! Les USA présentent un « deal » inacceptable ? Le reste du monde reste spectateur ! Ainsi, les Palestiniens ne sont pas jugés comme le reste du monde… Et le défaut de volonté politique des pays crée un problème majeur, « suite d’un soutien actif ou d’une négligence malveillante de nombreux pays du monde industrialisé » [1].
Pour Majed, la première chose à faire « est de défier cette absurdité et dire les choses telles qu’elles sont. Briser le tabou de l’exceptionnalisme autour d’Israël ». L’impunité d’Israël est à la source de la poursuite des violations commises contre les Palestiniens. Aucun des responsables israéliens de la Nakba n’a été jugé. Aucune mesure pour juger les crimes commis contre les Palestiniens. « Les simples condamnations des violations par la communauté internationale ne sont pas des solutions ou des actions susceptibles de mettre fin aux crimes d’apartheid, mais un soutien à ces politiques » pense Nada.
Il faut pourtant s’appuyer sur la résilience du peuple palestinien dont les divisions ajoutent à la crise. « Maintenir l’unité et trouver les moyens de soutenir les Palestiniens pour qu’ils puissent rester là où ils sont les plus menacés (Gaza, Jérusalem-Est, Vallée du Jourdain, zone C) sera décisif » affirme Ayed. Il s’agit de renforcer la résistance populaire devant l’occupation. Toutefois, pour Monther parler d’« un sentiment d’une grande solitude, un isolement, ne veut pas dire d’arrêter la résistance ». L’important est de ne pas perdre espoir. « Notre destin c’est d’être libre, il faut croire à ce destin » pense Majed. « Malgré l’injustice, nous sommes convaincus de la justesse de notre cause et de nos droits » continue Ayed, pourtant « la situation sur le terrain est très difficile et je dois essayer de ne pas être pessimiste ». Monther poursuit : « la raison de l’effondrement de la structure palestinienne c’est Oslo ».
Mais, tout doit être fait pour sortir de l’isolement, pour faire croître le mouvement de solidarité. Car, malgré les complicités internationales dénoncées, il reste toujours des hommes libres et une solidarité dans le monde. Nada l’affirme : une priorité est de « faire reconnaître que les atteintes forment une situation d’apartheid pour l’ensemble des Palestiniens, où qu’ils vivent ». Nos ami.e.s demandent aux sociétés civiles de se mobiliser pour mettre fin à l’apartheid et aux états tiers d’agir. Rania estime que « des mesures concrètes coercitives sont nécessaires telles que la reconnaissance de l’état d’apartheid, ou la reconstitution du comité spécial des Nations Unies contre l’apartheid ».
Mais aussi il faut imposer des sanctions. S’appuyer sur le mouvement d’appel au BDS. Il y a une obligation d’agir pour les États ! Pourtant, « la décision de prendre des sanctions contre Israël pour rétablir la justice, n’est toujours pas prise ! » nous rappelle-t-elle.
Le soutien des États tiers à l’enquête de la CPI est aussi un acte important alors que quatre pays s’opposent de façon directe à l’enquête sur la responsabilité d’Israël (Allemagne, Autriche, Hongrie, République tchèque).
Il est rappelé que les organisations internationales ont pu jouer un rôle dans les années 70 à 90. Aujourd’hui, il leur est demandé d’intervenir pour mettre fin à l’impunité d’Israël, étape nécessaire pour faire cesser les violations. Le soutien de la société civile est indispensable pour faire céder cette digue et que le Conseil de sécurité prenne enfin des mesures concrètes. De même, il faut que soient appliquées les résolutions et recommandations qui ont déjà été adoptées. Aucune recommandation ne l’a jamais été ! C’est la source de l’impunité d’Israël. Les États doivent prendre la mesure de leurs responsabilités.