Cela fait plus de cent jours qu’Israël a tué la journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh et a agressé la foule de Palestiniens en deuil et de porteurs de cercueils lors de ses funérailles deux jours plus tard.
100 jours, c’est bien plus qu’il n’en faut pour demander des comptes à un criminel. Dans le cas de Shireen Abu Akleh, cependant, cela n’a pas été suffisant.
Les collègues de Shireen sur Al Jazeera ont rejoint sa famille, ses collègues journalistes palestiniens, les membres du Congrès, les politiciens du monde entier, les groupes de défense des droits de l’homme et les syndicats de la presse pour demander aux États-Unis de lancer une enquête indépendante et transparente sur ce crime et de faire en sorte que justice soit faite et que les responsables répondent de leurs actes.
La dernière chose qu’ils voulaient, c’était que leurs appels ne soient toujours pas entendus après cent jours. Pire encore, ils ont été ignorés et rejetés.
Après que des plateformes d’information de premier plan comme le Washington Post, CNN, Al Jazeera et, tardivement, le New York Times ont démontré, par des preuves visuelles et indiscutables, qu’Israël était responsable du tir mortel, une lueur d’espoir s’est allumée, celle qu’Israël soit tenu de rendre des comptes. Comme on pouvait s’y attendre, l’impunité d’Israël a prospéré. La Maison Blanche maintient une position constante consistant à blanchir les mains d’Israël pour chaque Palestinien qu’il tue.
Bien que Shireen ait eu la double nationalité américaine et ait été tuée par un sniper israélien, le gouvernement américain s’est contenté de présenter ses "profondes condoléances" à sa famille trois jours après le meurtre, et n’a pris aucune mesure pour qu’Israël rende des comptes.
Depuis lors, l’administration Biden n’a fait qu’une déclaration de pure forme aux millions de personnes qui pleurent la perte de Shireen et a annoncé qu’elle n’était pas parvenue à une "conclusion globale de l’enquête."
De manière assez surprenante, le président Biden avait promis un soutien militaire de plusieurs milliards de dollars à l’armée israélienne lors de sa visite en Palestine le 15 juillet, et a refusé, bien qu’à quelques minutes de leur maison à Jérusalem, de rencontrer la famille Abu Akleh. Le frère, la nièce et le neveu de Shireen ont alors été contraints de se rendre à Washington pour faire pression en faveur d’une action américaine qui leur rendrait justice, pour revenir les mains vides.
Shireen n’était pas une figure médiatique palestinienne ordinaire. Je l’ai vue faire des reportages sur d’innombrables injustices, raids et attaques, souvent depuis les maisons des prisonniers et les tentes de protestation. Elle a été tuée alors qu’elle couvrait un raid militaire israélien sur le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie occupée. La seule chose qui a armé Shireen tout au long de sa vénérable carrière était un gilet de presse et un casque.
Elle a consacré sa vie à changer la cruelle réalité de son foyer et des gens qui vivent une occupation. Et elle a tout sacrifié pour cet unique objectif, solennellement et avec amour.
Quand Shireen a été tuée, elle ne tenait pas une arme. Elle ne tirait pas de roquette. Elle ne menaçait pas quelqu’un avec un couteau. Elle ne scandait même pas un slogan susceptible d’effrayer un sniper israélien. Elle avait les mains vides. Elle n’était une menace pour personne. Elle portait un gilet de presse et un casque. Elle était dans le camp de Jénine pour couvrir un raid militaire - pour faire son travail. Et elle a été tuée pour cela.
Je n’ai jamais manqué une occasion d’apprendre de Shireen et de copier sa bravoure et sa détermination au travail. C’est avec beaucoup de douleur et de colère que j’écris en hommage à son noble héritage et à son esprit omniprésent, à un moment où la responsabilité ou la justice n’a pas été rendue, ou n’est même pas en vue.
Elle n’était pas, et ne sera malheureusement pas, la dernière journaliste à perdre la vie pour avoir exposé un pouvoir incontestablement supérieur qui réprime le droit le plus fondamental auquel un journaliste puisse aspirer - la liberté de parole et d’expression.
Aujourd’hui, cent jours se sont écoulés depuis l’assassinat de Shireen Abu Akleh. Le monde n’a pas fait le strict minimum pour demander des comptes à Israël, qui continue de bénéficier de l’impunité et de la protection pour avoir versé le sang palestinien.
Nos collègues journalistes palestiniens nous rappellent une fois de plus que les attaques délibérées d’Israël contre la liberté des médias et de la presse sont aussi anciennes que les premiers jours de l’occupation de la Palestine. Mais avec persévérance et volonté, nous continuons à combattre les tentatives de dissimulation des injustices infligées quotidiennement en Palestine.
Nous pleurerons Shireen et perpétuerons son héritage malgré la crainte d’être les prochains. Et nous continuerons à résister et à dire la vérité, la vérité qu’Israël a caché en tuant Shireen et la vérité pour laquelle Shireen a sacrifié sa vie.
Traduction et mise en page : AFPS / DD