Qu’est-ce qui vous paraît le plus important à retenir de la dernière élection en Israël ?
N. P. : Ma grand-mère, qui a toujours vote pour le Parti travailliste, ne cesse depuis que j’ai quitté Israël de réclamer mon retour. Elle est ce genre d’Israélienne très sioniste, attachée aux libertés démocratiques, électrice du centre-gauche afin de se considérer comme modérée. Lorsque je l’ai appelé après l’élection, elle m’a dit : « Nitzan, je ne te laisserai jamais revenir vivre ici. » Evidemment, ça n’a aucun rapport avec le fait que la situation des Palestiniens va empirer. Les Juifs qui votent au centre ou pour la gauche sioniste commencent, peu à peu, à saisir la situation d’apartheid avec des libertés restreintes, plus seulement contre les Palestiniens, mais aussi désormais a l’encontre des Juifs progressistes, des libéraux, des personnes LGBT ou des femmes.
Cette élection est à la fois surprenante et prévisible. Surprenante car les analyses parues avant l’élection convergeaient sur l’impossibilité de former une coalition stable en Israël. Il paraissait évident que d’autres élections devraient avoir lieu. Or, les résultats ne sont pas ceux attendues, avec notamment une percée de la liste Sionisme religieux (suprématiste juif) qui obtient quatorze sièges. Netanyahou a réalisé un coup de force en imposant le Likoud comme la mère de toutes les droites, allant jusqu’à rencontrer personnellement toutes les formations et tous les leaders de ce camp. En réalité, des 2021, des députés du Likoud m’expliquaient que toutes leurs actions étaient dirigées pour préparer leur retour aux commandes du pays. Il a donc fallu deux ans et demi à Israël pour se trouver une majorité parlementaire claire, qui a mon sens représente la véritable opinion publique israélienne.
Et c’est en cela que cette élection pouvait être prévisible. En observant l’évolution du discours public israélien depuis 2000, la seconde Intifada, puis l’arrivée au pouvoir de Netanyahou en 2009, on peut comprendre à quel point cette élection est une suite logique : chaque gouvernement est toujours plus à droite que le précédent. La coalition Bennett-Lapid n’a été qu’une parenthèse d’un an, rendue possible par la polarisation de la société autour de « Netanyahou : encore ou fin ? ».
Justement, les dernières études de l’Israel Democracy Institute affirment que 60 % des Juifs israéliens se positionnent à droite, et le pourcentage monte à près de 70 % si on ne regarde que les 18-24 ans…
N. P. : Rajoutons une donnée : 20 % de l’armée israélienne a voté pour le parti suprématiste juif Sionisme religieux. Il est impressionnant de constater a quel point les paroles et les comportements racistes, les propos haineux, se sont banalises en Israël. Néanmoins, si ces discours visaient, auparavant, essentiellement les Palestiniens des Territoires occupes ou les pays arabes voisins, ils ciblent aujourd’hui, et notamment depuis les évènements du printemps dernier (N.D.L.R. : les émeutes au sein des villes arabes d’Israël et les affrontements entre jeunes juifs et arabes dans les villes mixtes), les Palestiniens de l’intérieur (≪ Arabes israéliens ≫) et les Juifs de la gauche radicale. Ce qu’il faut voir là-dedans c’est d’abord une conséquence de la droitisation de cette société, ou ce qui est considère comme radical ou extrême change du fait que la boussole politique ne cesse de tirer à droite. Par exemple, le parti de gauche sioniste Meretz, issu du camp de la paix et qui n’est pas parvenu à obtenir des députés, est désormais vu comme ≪ gauche radicale ≫ par l’opinion publique israélienne.
Concernant la jeunesse, l’extrême droite en a fait son terrain de campagne privilégie, et cela a fonctionné, bien aide par un cursus scolaire profondément reforme sous l’ère Netanyahou, via les Ministres de l’Education Sa’ar (2009-2013) puis Bennett (2015-2019). Un juif de 18 ans en Israël a eu des cours de ≪ citoyenneté ≫ et d’histoire tires de manuels développes par ces ministères ou l’orientation est très nationaliste. Par exemple, parmi les visites proposées aux adolescents par le programme, il y a une balade à Hébron pour voir le Tombeau des patriarches et créer un lien de proximité avec les colons de la vieille ville. Des directeurs d’école ou des enseignants qui refusaient de suivre ces programmes ont été rappelés à l’ordre, contraints à la démission, voire licencies comme Adam Verete, accuse par un de ses élèves de soutenir en classe les Palestiniens. Un autre enseignant avait par exemple inscrit ses élèves a une visite à Hébron, mais il avait aussi prévu une rencontre, sur place avec Breaking the Silence. C’est remonte jusqu’à la Knesset ou le ministre a tranché en indiquant que ce type de rencontre n’était pas possible car contraire au programme officiel.
Si on revient également sur la période politique vécue par ces jeunes, c’est très significatif : ils sont nés pendant ou juste après la seconde Intifada, c’est-à-dire qu’ils n’ont jamais connu l’ouverture des sociétés apparue pendant Oslo. Ils ont été confrontés au retrait israélien de Gaza, qui apparait pour beaucoup comme un véritable traumatisme, un moment décisif de leur politisation. Ils ont grandi berces par un discours public de plus en plus haineux et raciste envers les Palestiniens, favorise par le règne Netanyahou (2009-2021). Leur imaginaire politique n’a été alimente que par une vision très parcellaire du peuple palestinien et un contexte en réalité très violent : les roquettes tirées depuis Gaza et les ≪ opérations ≫ de leur armée (2008 – 2012 – 2014), les attaques aux couteaux a Jérusalem… Construire son opinion politique, s’informer, se questionner, alors que l’ensemble du champ médiatique martèle que les ≪ Juifs ≫ doivent se protéger des ≪ Arabes ≫, n’aide pas à favoriser l’empathie ou l’ouverture vers l’Autre.
Ces jeunes sont aussi approchés par les organisations d’extrême droite comme Im Tirtzu, la plus importante. Très active sur les réseaux sociaux et les campus israéliens, elle a notamment développé un programme Know your professor pour inciter les jeunes a dénoncer les enseignants qui soutiendraient des idées ≪ antinationalistes ≫.
Certains pourraient se demander si cela est vraiment nouveau ? Après tout, il a toujours été question en Israël de droits supérieurs accordes à la population juive, de racisme envers les Palestiniens etc. Je pense tout de même que les Israéliens ont tiré un trait sur le temps des ≪ excuses ≫, celui ou pour chaque propos ou acte risquant d’être mal considère en Occident, nos dirigeants s’excusaient, essayaient d’arrondir les angles, voire étaient ouverts à des initiatives diplomatiques pour redorer leur image. Tout cela est aujourd’hui terminé, et c’est complètement assumé par la classe politique.
Existe-t-il un discours alternatif en passe d’être audible par la société civile israélienne ?
N. P. : Evidemment qu’il existe : plusieurs dizaines d’organisations de la gauche radicale, des ONG, des médias alternatifs, des intellectuels, des journalistes de grands journaux comme Haaretz, s’attèlent quotidiennement à questionner le discours hégémonique. Est-ce entendu ? Je le crois, sinon la droite n’aurait pas lancé depuis 2009 toutes ces attaques à l’encontre de ces organisations et de leurs dirigeants.
Prenons Breaking the Silence : l’ONG compte à peine cinq salaries et pourtant elle est présentée comme très dangereuse dans les discours nationalistes. En réalité, c’est la capacite du message porte par l’ONG à traverser les frontières qui effraie les dirigeants israéliens. C’est aussi le cas lorsqu’ils voient les données de B’tselem, ou d’autres, être reprises à l’ONU ou dans des commissions d’Etats à travers le monde. Le paradoxe, toutefois, c’est que plus la critique internationale contre Israël est forte, plus l’opinion publique israélienne se renferme et prête l’oreille aux discours nationalistes ou à ceux qui attaquent les ONG israéliennes en les accusant d’être pour la plupart financées depuis l’étranger. C’est un véritable cercle vicieux.
Il faut aussi questionner l’échec de la gauche sioniste à demeurer une alternative crédible. Pour le comprendre, je dirais aujourd’hui que cela tient à son incapacité à proposer une analyse solide après les émeutes de 2021 dans les villes arabes israéliennes ou dites ≪ mixtes ≫. Ses dirigeants se sont contentes de regarder ailleurs, d’ignorer le sujet, laissant à la droite le champ libre pour ses appels racistes et belliqueux. La gauche sioniste ne fait que répéter en boucle ses slogans creux autour de ≪ la paix et la coexistence ≫ sans jamais s’intéresser à la réalité vécue par la population palestinienne d’Israël. Être arabe en Israël, c’est se confronter à une discrimination permanente, a un destin socio-économique précaire, a des violences régulières, et vivre dans une société séparée. Cette gauche a le même problème sur les Territoires occupes, ou elle continue de parler de ≪ deux Etats et de séparation ≫ quand la situation sur place a tellement évolué ces dernières décennies.
Qu’est-ce que tout cela augure de la « démocratie » en Israël ?
N. P. : Comment peut-on vivre dans un pays ou tant de populations ont des droits différents et inégaux, tout en se persuadant qu’il s’agit d’une démocratie ? C’est une question fondamentale en Israël. L’État se drape de grands slogans : « la seule démocratie du Moyen-Orient », ≪ Tsahal, armée la plus morale du monde » … Alors même que des dizaines d’enfants palestiniens sont tués, chaque année, par cette armée. Ne tergiversons pas : les Israéliens sont au courant de tout cela.
Il y a deux conceptions de la démocratie en Israël. La première s’inspire du libéralisme, en calquant notre vie politique sur celle de pays occidentaux : si tel ou telle action se fait aux États-Unis ou en Europe, alors ce ne peut qu’être démocratique. Sauf qu’il s’agit le plus souvent de prendre les pires dérives pratiquées dans ces États, y compris ceux qui y menacent la démocratie ! La seconde considère que le judaïsme étant une religion de bien et de morale, tout ce qui découle d’elle ne peut qu’être juste. Des lors, tant qu’Israël resterait un État fonde sur les principes du judaïsme, la démocratie y serait garantie. Bennett affirmait par exemple que plus Israël serait juif, plus il serait démocratique.
Les résultats des dernières élections annoncent une nouvelle étape caractérisée par la vision de Sionisme religieux – on ne cherche plus a justifier des pratiques coloniales, racistes et antidémocratiques en utilisant des beaux termes démocratiques, on souhaite tout simplement atteindre l’objectif du Grand Israël en garantissant la suprématie des
Juifs dans l’ensemble des territoires contrôles par Israël.
Propos recueillis par Thomas Vescovi