« Arrêtez le siège ! » C’est en scandant ce slogan qu’une soixantaine de pacifistes tenteront ce jeudi de briser le blocus maritime de la bande de Gaza imposé par Israël depuis le putsch du Hamas en juin 2007. Notamment soutenus par la Fédération internationale des droits de l’homme, par Oxfam et par Médecins du monde, ces activistes sont Américains, Britanniques, Français, Tunisiens et même Israéliens. Ils ont embarqué à bord de deux bateaux de faible tonnage baptisés Free Gaza et Liberty.
Après un périple en Méditerranée, ces deux navires ont accosté mercredi à Larnaca (Chypre). « De là, nous mettrons le cap sur Gaza et nous ne céderons pas aux menaces », nous déclare Jeff Halper, un participant israélien à l’opération contacté par téléphone. « Nous n’imaginons pas que l’armée israélienne ouvre le feu sur nous. En revanche, il est probable que sa flotte tentera de nous éperonner et de nous placer en détention pour avoir pénétré sans autorisation dans une zone militaire fermée. »
« Refuser l’indifférence »
L’objectif déclaré des passagers de Free Gaza et de Liberty n’est pas de persuader le gouvernement israélien de changer de politique mais de rendre l’opération « Arrêtez le siège » le plus visible possible. Afin de rappeler la dégradation des conditions de vie dans la bande de Gaza. « Nous refusons l’indifférence. Nous voulons que la communauté internationale prenne conscience de la dureté du blocus israélien et des ravages qu’il provoque », nous déclare Awida, une Américano-Palestinienne embarquée sur le Liberty.
A Jérusalem, les dirigeants de l’Etat hébreu sont évidemment conscients de l’enjeu médiatique de l’opération. Le porte-parole de l’armée affirme d’ailleurs que « les Palestiniens de Gaza ne souffrent pas de faim puisque 90 camions chargés de nourriture et de produits divers pénètrent quotidiennement dans la bande de Gaza sauf lorsque les terroristes tirent des roquettes sur notre population civile. »
Depuis une semaine, le ministre israélien de la Défense, Ehoud Barak, est en tout cas informé quotidiennement des progrès de l’opération « Arrêtez le siège ». Lundi, il a ordonné au chef de l’état-major de Tsahal (l’armée) de « prendre les mesures adéquates pour empêcher ces trublions de nuire ». Dans la foulée, le quartier général de la Force navale israélienne a annoncé que les vedettes patrouillant le long de la bande de Gaza réagiraient « activement » si le Liberty et le Free Gaza ne répondaient pas à leurs sommations.
« Etant donné le climat préélectoral régnant en Israël, aucun responsable ne veut être soupçonné de faiblesse à l’égard des promoteurs d’« Arrêtez le siège », explique le chroniqueur politique Yoav Krakovky. Ehoud Barak en tête, ils multiplient tous les déclarations martiales mais cela n’ira pas beaucoup plus loin car personne ne veut prendre le risque d’une nouvelle affaire Greenpeace (ndlr : le bateau coulé par les services secrets français à Auckland en 1985). Au mieux, les activistes seront forcés de rebrousser chemin et au pire ils se retrouveront en prison. »
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A l’abordage du blocus de Gaza
Depuis deux semaines, les dortoirs de l’université de Nicosie sont occupés par des étudiants d’une moyenne d’âge d’environ 60 ans, originaires d’une dizaine de pays. Ils se préparent à la traversée Chypre-Gaza à bord d’un chalutier de poche et d’un petit voilier achetés pour l’occasion. Ce défi à hauts risques, dont le départ est imminent, est destiné à alerter l’opinion publique internationale sur le calvaire de la bande côtière palestinienne, étranglée depuis plus d’un an par le blocus israélien.
"Le monde doit se réveiller, dit Hedy Epstein, une rescapée de la Shoah âgée de 84 ans. L’armée israélienne est en train d’affamer la bande de Gaza, et l’Occident observe en silence, de peur d’être taxé d’antisémitisme. Les persécutés sont devenus des persécuteurs." Avec ses compagnons grisonnants, vétérans comme elle de la cause palestinienne, Hedy rêve d’atteindre Gaza et d’ouvrir la première ligne maritime à destination de l’enclave sablonneuse depuis son occupation par les troupes de l’Etat juif, en 1967.
Si les vedettes de l’armée israélienne s’interposent, les marins mutins du mouvement Free Gaza prévoient de rester en mer, espérant une mobilisation médiatique en leur faveur. "On ne mangera pas de filet mignon tous les jours mais on a de quoi tenir, dit la vieille dame indignée. Si le peuple de Gaza parvient à survivre, pourquoi ne ferions-nous pas de même ?"
Ce projet extravagant, digne d’une opération commando, émerge durant l’été 2006, à l’issue de la seconde guerre du Liban. Six mois plus tôt, en réaction à la victoire électorale du Hamas, l’armée israélienne a commencé à cadenasser la bande de Gaza. Galvanisé par la résistance imprévue du Hezbollah, un quatuor de militants pacifistes basés à Beyrouth, à Londres et en Californie, ressent le besoin de frapper un grand coup. "On faisait le constat qu’écrire des mails et participer à des manifestations ne suffisait plus, explique Ramzi Kyzia, un trentenaire américain d’origine libanaise qui se définit comme un "moushkalji" ("agitateur") professionnel. On se disait qu’il fallait travailler à la paix de façon aussi déterminée qu’Israël et les Etats-Unis travaillent à la guerre. Que notre action devait être proportionnée à la gravité de la crise."
A force de remue-méninges sur Internet, l’idée folle surgit. "Et si on prenait un bateau pour Gaza ?" Le projet initial envisage un départ de New York, au pied de la statue de la Liberté. Il est ensuite question de Marseille, pour imiter l’Exodus, le navire rempli de survivants de la Shoah, parti du port de Sète, en 1947, et intercepté par la marine britannique devant les côtes du futur Etat d’Israël. Finalement, Ramzi et ses collègues - Paul Larudee, un accordeur de pianos de San Francisco, Greta Berlin, une consultante en relations publiques, et Bella Locke, une Anglaise - optent pour un trajet plus court, à partir de Chypre.
Commence alors un marathon pour lever des fonds. Compte tenu du caractère "subversif" de l’entreprise, il est vain d’imaginer louer des bateaux. Il faut les acheter. Les armateurs de Méditerranée n’ont pas oublié les déboires du Sol Phryne, un rafiot affrété, en 1988, par l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) et destiné à ramener sur leur terre natale une centaine de Palestiniens expulsés en 1948, lors de la création d’Israël. Le 16 février de cette année, quelques heures avant le départ, un engin explosif avait dévasté la coque du navire, ancré dans le port de Limassol, à Chypre, torpillant du même coup le rêve de retour des réfugiés. La veille, dans la même ville, trois responsables de l’OLP avaient été tués dans un attentat à la voiture piégée, attribué, là aussi, au Mossad, la ténébreuse centrale de renseignement israélienne.
Conscients de ne pouvoir compter que sur leur volontarisme, les patrons de Free Gaza lancent une vaste opération de souscription. "On a multiplié les présentations, dans les églises, les écoles, les associations, raconte Greta Berlin, 67 ans, une ancienne metteuse en scène de théâtre. Les donations ont varié, de 20 000 dollars pour la plus grosse à 1,50 dollar pour la plus petite." Au printemps, le financement paraît bouclé. Riad Hamad, un Libano-Américain, professeur d’informatique au Texas et responsable d’une association caritative spécialisée dans l’aide aux enfants de Gaza, a promis de verser 25 000 dollars. De quoi finaliser l’achat d’un navire turc.
Mais, le 14 avril, son corps est retrouvé, inanimé, dans un lac d’Austin. En dépit du fait que ses mains et ses jambes aient été liées, la police conclut à un suicide. Ses proches, au sein du mouvement propalestinien, incriminent le harcèlement du FBI et du fisc américain qui, quelques semaines plus tôt, avaient perquisitionné son domicile, dans le cadre d’une enquête pour fraude et blanchiment d’argent.
"Il n’a pas supporté la pression, dit Greta Berlin. Ses comptes ont été aussitôt gelés. En plus des 300 000 dollars que nous avions levés, nous avons dû emprunter 250 000 dollars pour finalement acheter en Grèce, début juin, deux bateaux." Leurs noms : Free Gaza et USS Liberty, en l’honneur du navire américain du même nom, coulé, en 1967, par l’aviation israélienne. Une "erreur", selon la version officielle, qui coûta la vie à trente-quatre marins.
Le 29 juillet, les initiateurs du projet sont rejoints à Chypre par une trentaine de militants, dont une nonne américaine de 81 ans, Ann Montgomery, un Palestinien de Gaza, interdit de séjour sur sa terre, Mushir Al-Farra, et l’anthropologue Jeff Halper, figure du mouvement anti-occupation israélien. Pendant deux semaines, ils attendent l’arrivée des bateaux, partis de Crète et ralentis par le mauvais temps. A leur bord, une dizaine d’activistes, dont Paul Larudee et la journaliste Lauren Booth, belle-soeur de Tony Blair.
Pour tromper l’ennui, les "chypriotes" cuisinent, visitent Nicosie, répètent quelques gestes de secourisme et, instruits par le sabotage de 1988, verrouillent à double tour les portes de leurs chambres. "Les Israéliens nous surveillent, assure Greta Berlin. Ils ont déjà tenté de brouiller le matériel de transmission satellite embarqué sur les bateaux. On a eu des visites louches sur le campus. On a même reçu des menaces téléphoniques. Une voix anonyme a dit au mari de Lauren Booth de prévenir leurs enfants que "Maman ne reviendra pas"".
En dépit de cette tension, les apprentis matelots tiennent bon. L’annonce par le quotidien Haaretz que la marine israélienne envisage d’arraisonner leur flottille ne les décourage pas. Après deux années de préparatifs épiques, tous ont le sentiment d’avoir déjà gagné. "Si les Israéliens nous arrêtent dans les eaux internationales, c’est un crime, dit Ramzi Kyzia. S’ils nous arrêtent dans les eaux de Gaza, c’est la preuve qu’en dépit de l’évacuation des colons ce territoire est toujours sous occupation. Or, en droit international, l’occupant doit s’assurer du bien-être de la population, ce que bien sûr Israël ne fait pas. Dans les deux cas, on est gagnants. On prend Israël en flagrant délit de violation du droit international."
Hedy Epstein, la super-mamie de la troupe, ne s’inquiète pas non plus. Avant de quitter son domicile, à Saint Louis, au Missouri, elle a pris des cours de natation à la piscine municipale. "Maintenant, je n’ai plus peur de mettre la tête sous l’eau, dit-elle. Je suis prête pour débarquer à Gaza."
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