Uri Shani, un universitaire qui préside aux destinées de la Water Authority (Mekorot), a lancé, en juillet, un véritable cri d’alarme : "Israël connaît la pire crise de l’eau de son existence." "Nous allons à la catastrophe", a-t-il averti, en précisant qu’un peu partout les signaux d’alerte s’étaient allumés.
Le lac de Tibériade, qui fournit un tiers de la consommation nationale, a atteint sa ligne rouge (213 mètres au-dessous du niveau de la mer). A l’automne, il pourrait atteindre la ligne noire au-dessous de laquelle ce grand réservoir serait en péril en raison des risques de salinisation et d’apparition d’algues toxiques. Uri Shani a fait un état des lieux de tous les bassins aquifères. Leur niveau n’a jamais été aussi bas. Le bassin de la côte a déjà atteint la ligne noire, ce qui signifie qu’il y a déjà eu des infiltrations d’eau de mer et que "des dégâts peut-être irréversibles ont été causés", a-t-il souligné.
Uri Shani a déjà prévenu que les prochaines années risquaient d’être pires. Une série de mesures ont été et vont être prises. L’arrosage public pourrait être interdit dès l’an prochain. "Israël deviendra jaune et il faudra apprendre à nager dans des piscines vides", a prévenu Uri Shani. Les quantités d’eau utilisées par l’agriculture seront réduites d’un tiers. Une campagne nationale a été lancée pour inciter la population à économiser l’eau. Son prix va augmenter. Depuis quatre ans, il pleut de moins en moins. Pour l’année 2008, le déficit prévu sera de 350 millions de mètres cubes. Et la consommation domestique augmente de 4 % par an.
Le manque de pluie frappe aussi durement la Cisjordanie. Un tiers en moins au cours du dernier hiver. "2008 a été déclarée année de sécheresse. La situation au sud et à l’est d’Hébron, à Bethléem, à Jénine est préoccupante", dit Ayman Rabie, responsable de l’organisation non gouvernementale (ONG) Palestinian Hydrology Group. L’approvisionnement venant d’Israël a été réduit de 20 à 30 %, affirme l’Office de coordination pour les affaires humanitaires de l’ONU (OCHA). Il y a désormais des coupures d’eau. Des camions-citernes pallient les manques, mais l’eau est quatre fois plus chère.
B’Tselem, organisation israélienne de défense des droits de l’homme, lance un cri d’alarme, indiquant que 20 % de la population de Cisjordanie n’est pas connectée au réseau et que les réserves de l’hiver sont épuisées. "J’ai demandé 8 millions de mètres cubes supplémentaires à Mekorot. Ils m’ont été refusés", s’inquiète Shaddad Al-Attili, responsable de la Palestinian Water Authority (PWA). Le déficit se situera cette année aux alentours de 69 millions de mètres cubes.
A Gaza, "c’est catastrophique", raconte M. Al-Attili, qui explique que la nappe phréatique est à un niveau critique, qu’elle est totalement polluée par l’eau de la mer et par les rejets des eaux usées qui ne sont pas traitées. "Seuls ceux qui ont les moyens peuvent s’acheter un appareil pour purifier l’eau. On va au-devant d’une catastrophe sanitaire", s’alarme Ayman Rabie.
L’eau est un enjeu majeur des négociations entre Palestiniens et Israéliens pour la création d’un Etat palestinien. Le processus d’Oslo avait laissé cette question capitale de côté. Les Israéliens consomment 3,5 fois plus d’eau que les Palestiniens et contrôlent complètement les ressources en eau de la Cisjordanie.
Shaddad Al-Attili avoue son impuissance. "Il n’est pas possible de creuser un puits sans l’autorisation d’Israël et les accords ne sont donnés que pour le bassin oriental, le plus profond, et quelquefois pour celui du nord, le moins fourni. Pour la nappe occidentale, la plus importante, c’est impossible. Or notre population a doublé depuis que l’Autorité palestinienne a été créée et notre allocation en eau est toujours la même. Nous mourrons de soif alors que les Israéliens pensent seulement à réduire leur consommation." Les Palestiniens veulent que leur eau leur soit rendue. "Israël alloue seulement 20 % de l’eau puisée en Cisjordanie et empêche la PWA de développer des ressources additionnelles", s’insurge B’Tselem.
Ayman Rabie raconte : "Il faut des permis pour creuser des puits à une profondeur requise, entreprendre des réhabilitations du réseau, construire un réservoir, commander des pompes ou des tuyaux. Et ces derniers ne doivent pas être d’une largeur supérieure à 8 inches (20 centimètres) pour que l’on n’ait pas trop d’eau." Ayman Rabie explique aussi que les colons font ce qu’ils veulent, qu’ils ont de l’eau 24 heures sur 24 et qu’il suffit de se promener en Cisjordanie pour voir le contraste entre les colonies vertes et les villages palestiniens arides.
Non seulement l’eau est rare, mais celle qui est utilisée souille les paysages et le sous-sol, car Israël ne donne pas d’autorisation pour la construction de centres de retraitement. 90 % des effluents sont rejetés non traités.
Shaddad Al-Attili enrage car, depuis plusieurs années, il ne peut utiliser l’argent alloué par la communauté internationale pour construire les unités de traitement des eaux. L’Agence française de développement a, par exemple, engagé 50 millions d’euros pour des projets qui restent gelés faute d’un accord israélien. "En fait, dit Ayman Rabie, nous aurions le feu vert si les colonies étaient autorisées à se connecter sur le réseau de retraitement des eaux, ce qui reviendrait à légaliser leur existence."
A l’avenir, Israël va devoir non seulement répartir l’eau plus équitablement mais aussi trouver des ressources supplémentaires pour éviter une pénurie croissante. En 2001, une commission de la Knesset avait déjà dressé un constat alarmant et demandé que des mesures soient prises, notamment pour la construction d’usines de dessalement de l’eau.
L’objectif était d’atteindre la production de 400 millions de mètres cubes en 2006. Aujourd’hui, 130 millions de mètres cubes proviennent de trois usines. Trois autres vont permettre d’augmenter la capacité à 500 millions de mètres cubes, en 2012, et 750 millions, en 2020. Il est aussi prévu de favoriser le retraitement des eaux usées qui alimentent en bonne partie l’agriculture.
Mohsé Perlmutter, de la société de protection de la nature, pense que "le plan d’urgence vient trop tard" et annonce des lendemains difficiles pour Israël. Surtout si les Palestiniens exigent le contrôle de leurs ressources en eau.
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Le projet de canal mer Rouge-mer Morte inquiète les écologistes
Photo : Tamar Dressler/IRIN
HERZELIYA, 4 août 2008 (IRIN) - Les associations de défense de l’environnement ont exprimé des préoccupations concernant le projet de construction d’un canal reliant la mer Rouge à la mer Morte, et visant à sauver cette dernière en y déversant les eaux de la première.
Selon les écologistes, en effet, trop peu de recherches ont été menées sur la question et les autres options possibles n’ont pas été envisagées.
« Nous nous inquiétons de ce qui arrivera à la mer Morte lorsque cette quantité d’eaux marines lui sera ajoutée », a déclaré Gidon Bromberg, de Friends of the Earth Moyen-Orient, lors d’une audience publique organisée le 30 juillet par la Banque mondiale à Herziliya, à la suite de deux autres audiences, tenues l’une à Ramallah, l’autre à Amman.
Selon M. Bromberg, on ignore également les répercussions qu’aura l’extraction de ces eaux sur la mer Rouge, et les problèmes qui risquent d’être causés par l’acheminement d’une telle quantité d’eau à travers le désert.
Certains experts ont notamment fait remarquer que cette région était connue pour son activité sismique.
Dans le cadre du projet mer Rouge-mer Morte, les eaux prélevées dans la mer Rouge seraient pour partie dessalées à des fins de consommation par les Israéliens, les Jordaniens et les Palestiniens. Le reste de ces eaux servirait à sauver la mer Morte.
La mer Morte en danger
Le niveau des eaux de la mer Morte continue de chuter à raison d’un mètre par an environ, et la mer Morte a perdu environ un tiers de son volume, essentiellement au cours des 30 dernières années.
En plus d’être un écosystème unique et riche en minéraux, la mer Morte est connue sous le nom de « mer de sel » en hébreu, pour sa teneur remarquablement élevée en sel.
Selon les écologistes, l’exploitation excessive des minéraux de la mer Morte, et l’assèchement et la pollution du Jourdain, sa source d’eau naturelle, ont contribué à la chute du niveau de ses eaux.
Si toutes les parties prenantes (les écologistes, les entreprises, les divers gouvernements et leurs citoyens) s’accordent à dire que la mer Morte doit être sauvée, il reste à savoir comment.
« Même avec ce conduit, qu’il soit construit ou non, le Jourdain doit être réhabilité », a souligné Nader el Khatib, écologiste palestinien de l’Organisation palestinienne pour le développement des eaux et de l’environnement.
L’écologiste doute également qu’il soit possible d’acheminer les eaux dessalées du Golfe d’Aqaba jusqu’en Cisjordanie et que cela constitue la solution la meilleure et la moins chère à la crise hydrique palestinienne.
En outre, s’il est vrai que la chute d’eaux dans cette région, la plus basse sur terre, permettrait de produire de l’hydro-électricité, la combustion de carburants fossiles resterait néanmoins nécessaire pour dessaler et distribuer l’eau, ajoutant aux préoccupations des écologistes.
Diverses idées ont déjà été suggérées par le passé concernant le dessalement de l’eau de la Méditerranée au profit de la Cisjordanie.
Mais de nombreux écologistes s’accordent à dire que sauver le Jourdain, dont les eaux sont également détournées par la Syrie, Israël et la Jordanie à des fins de consommation, est une option qui n’a pas été envisagée comme il se doit.
Une étude qui s’achèvera en 2010
Un responsable de la Banque mondiale a expliqué à IRIN que les questions soulevées étaient prises en considération dans le cadre d’une étude qui devrait être achevée en 2010.
Selon les écologistes, néanmoins, le comité qui envisage des solutions alternatives est composé de responsables des gouvernements et non d’experts indépendants.
« Nous nous opposons à ce que la Banque [mondiale] nomme, en collaboration avec les gouvernements, un groupe d’experts sélectionnés par les autorités des eaux », a déclaré M. Bromberg à IRIN, à l’issue de l’audience.
Au début de la semaine, le Parlement israélien avait formé une commission d’enquête indépendante, pour mener des recherches sur la crise hydrique israélienne, une mesure favorablement accueillie, entre autres, par les écologistes.
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