Après bientôt un an d’un étouffant blocus infligé à la Bande de Gaza par l’état-major militaire israélien, une trêve a été négociée entre le Hamas et Israël. Elle a abouti après des mois de fervents efforts diplomatiques de l’Egypte. Les tirs de roquettes depuis Gaza en direction de colonies israéliennes devaient cesser en échange d’une levée progressive du blocus. Un cessez-le-feu, s’il tenait pendant 6 mois, serait alors étendu à la Cisjordanie. Un soldat israélien détenu otage serait libéré dans le cadre d’un accord parallèle et échangé contre des prisonniers palestiniens. Des nouvelles négociations s’engageraient pour déterminer les conditions de l’ouverture des frontières entre l’Egypte et Gaza.
Le Hamas - et d’autres factions palestiniennes avec lui, s’était engagé à respecter l’accord. En plus du Hamas, seul le Jihad Islamique doit être pris au sérieux. Le Fatah, la faction liée au président Abbas, a depuis longtemps fermement condamné le tir de roquettes depuis Gaza.
Après 5 jours d’un cessez-le-feu tant attendu, Israël, en quelque sorte pour montrer sa « bonne volonté », a autorisé l’entrée à Gaza de cotons et de serviettes hygiéniques. Mais dans le même temps, Israël mena un raid matinal contre une auberge étudiante à Naplouse, tuant deux Palestiniens dans leurs lits.
En essayant de justifier ce que beaucoup ont vu comme une provocation éhontée, les portes paroles gouvernementaux israéliens ont encore une fois avancé l’argument de la « bombe à retardement ». Les deux hommes, tous les deux âgés d’une vingtaine d’années, furent accusés de préparer une attaque terroriste, déjouée seulement au tout dernier moment. Israël reçut immédiatement la réponse qu’il attendait. Des roquettes s’abattirent sur Sdérot, les deux premières tirées par le Jihad Islamique et la troisième par les brigades al-Aqsa du Fatah, qui qualifièrent la trêve signée avec Israël de trahison, accusant le Hamas d’être plus préoccupé par la survie de ses cadres à Gaza que par le sort des Palestiniens de Cisjordanie.
Le Hamas est dans les cordes. Privés de reconnaissance internationale, soumis à un embargo et avec des caisses vides, ses dirigeants considèrent qu’il est de leur responsabilité de répondre aux besoins d’une population étranglée et font face au même moment à l’immense tâche d’avoir à gouverner sans expérience préalable.
Comment bien diriger et consolider son pouvoir tout en réaffirmant son engagement fondamental pour la défense de la lutte armée contre l’occupation israélienne : voilà peut-être le dilemme le plus douloureux auquel doit faire face le Hamas.
Certains dirigeants pensent que la participation aux élections législatives de 2006 était en quelque sorte un piège – même si le Hamas a remporté une victoire indiscutable dans les urnes. Sur ce thème de la pureté doctrinale, des combattants des brigades d’al-Aqsa accusent aujourd’hui le Hamas d’avoir abandonné sa noble mission de résistance et de rechercher à sa place un compromis politique au rabais.
Beaucoup pensent que les tirs de roquettes desservent les Palestiniens et entravent leur recherche de justice, et que les milices rivales – en particulier les brigades d’al-Aqsa, cherchent à embarrasser le Hamas en secouant les querelles idéologiques.
Mais les dirigeants du Hamas, prônant désormais la retenue et désignant ceux qui rompent le cessez-le-feu de traître, doivent faire face à l’ironie de l’histoire. Il n’y a pas si longtemps, ce sont eux qui utilisaient le même langage sectaire pour traiter le président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas de collaborateur quand il demandait que cessent ce qu’il appelait de « futiles » tirs de roquettes.
Côté israélien, la violence quotidienne est le mode de fonctionnement par défaut de l’establishment militaire israélien : c’est un fait –dramatique - de plus en plus incontestable. Quelle que soit la fréquence à laquelle on parle de paix, elle reste en pratique un anathème, puisqu’elle signifierait la restitution de territoires occupés aux Palestiniens.
Israël est passé maître dans l’art de faire passer son intransigeance agressive pour de l’autodéfense. Les assassinats perpétrés la semaine dernière à Naplouse visaient à déclencher des répliques palestiniennes violentes. Cela a marché. Et ces représailles ont à leur tour permis de confirmer le discours central, tellement présent dans la couverture médiatique du conflit, qui dépeint les Israéliens en victimes perpétuelles et les Palestiniens en personnages fourbes et indignes de confiance.
Une telle stratégie de la part d’Israël n’est pas une nouveauté. L’actuelle intifada, déclenchée par la visite de l’ancien premier ministre israélien et criminel de guerre Ariel Sharon à la mosquée d’al-Aqsa à Jérusalem et qui s’est rapidement accélérée par le recours aux armes, a été le théâtre du vorace appétit israélien pour les terres palestiniennes en Cisjordanie. Et pendant que les colonies s’étendent et deviennent de plus en plus retranchées, Israël a réussi à donner aux Palestiniens le rôle des violents usurpateurs qui « ne manquent pas une occasion de manquer une occasion ».
Quand je m’entretiens avec des dirigeants du Hamas, j’essaie constamment de les alerter sur les desseins coloniaux d’Israël, et sur le besoin de changer de registre pour contourner et être plus malins que nos ennemis, accrochés à l’usage de la force. Je trouve toujours une écoute bienveillante.
Prise en tenaille entre un siège d’une barbarie médiévale imposé par l’armée israélienne et une guerre vicieuse et mutuellement destructrice entre factions palestiniennes, Gaza est au bord de l’implosion. Mais ses habitants ont démontré une incroyable force de caractère, puisant cette force dans la foi religieuse, dans des traditions de solidarité familiale, et dans une foi durable dans le caractère juste de la cause palestinienne. Mais la ténacité a ses limites.
Ce blocus doit cesser complètement et définitivement pour que les 1,5 millions d’habitants, qui ont enduré une sorte de supplice collectif, puissent avoir une chance de respirer. Pour que cela se produise, les dirigeants politiques de Ramallah et de Gaza doivent faire porter leurs efforts moins sur les règlements de comptes que sur les besoins des citoyens qu’ils représentent, diffuser des messages clés aux opinions publiques européennes et américaines, et définir une stratégie souple, argumentée et inflexible pour négocier avec Israël.