Ma promenade dans les collines de Ramallah avec un journaliste de la radio se passait bien. Le temps était doux, un bulbul gazouillait, les oliviers gris-vert parsemaient les pentes en terrasses. Nous avons trouvé des plantes natash, un chardon hautement politique puisque les tribunaux militaires israéliens l’utilisent comme preuve qu’une parcelle de terre donnée est abandonnée et tombe donc dans le domaine public et que l’on peut ainsi la confisquer pour l’offrir au « public » : les colons juifs.
Nous avons commencé notre promenade en haut de la colline toute proche de Masra’e Qibiliya, un village peu éloigné de l’Université de Birzeit. Alors que l’air frais caressait mon visage, je tentai d’expliquer les changements spectaculaires qui avaient modifié le paysage palestinien depuis 60 ans. Sur notre droite, le nouvel avant-poste juif de Horesh et, plus au nord, les colonies jumelles de Talmon B et C dominaient les collines de ce qui est pour moi la Palestine et pour les colons le « Grand Israël », Eretz Yisrael . Au creux de la vallée, le village palestinien multicentenaire de Ain Qenya avec sa source ancienne (Ain) est surplombé par la colonie de Dolev. Toutes ces colonies sont à l’est du mur d’annexion israélien.
Tandis que nous descendions, je pensais au discours du Président Bush à la Knesset à l’occasion du soixantième anniversaire de l’Etat d’Israël. Usant d’un langage religieux, il décrivit la fondation de cet Etat comme "la rédemption d’une promesse ancienne faite à Abraham, Moïse et David – une terre pour le peuple élu, Eretz Yisrael".
Le danger rôde dans les collines
Avant que je parte de chez moi ma femme m’avait fait promettre d’être prudent. Récemment un jeune Palestinien qui chassait les oiseaux a été blessé par balle, dans le dos, par des colons israéliens pas loin de l’endroit où nous nous promenions. Un autre homme, d’âge mûr celui là, qui se promenait près de sa maison un après midi a été tué par l’armée israélienne. Je choisis un itinéraire qui évitait le poste militaire et aussi la colline où se trouve Dolev .
A mi-pente nous nous sommes arrêtés pour prendre notre petit-déjeuner, un pique nique de fromage de chèvre de Naplouse et de tomates que nous avons dû manger sans les couper car je ne pouvais pas prendre le risque d’être arrêté sur la route en possession d’un couteau suisse.
Nous nous sommes assis à l’ombre d’une falaise que l’on nomme Urud el Hamam ("le lieu où se réunissent les pigeons"), puis nous avons continué à descendre la pente abrupte jusqu’à Ain Qenya. En chemin nous nous sommes arrêtés plusieurs fois, à l’écoute des bruits matinaux dans le village tout proche : le cri du coq, le marchand ambulant vantant ses produits mais aussi le son plus sinistre de la bétonnière qui déversait le béton pour de nouvelles constructions dans la colonie de Talmon au nord du village.
Qui vit réellement ici ?
Au moment même où nous sommes arrivés dans la rue principale –la seule- d’Ain Qenya, nous avons remarqué une voiture arrêtée au bord de la route. Le chauffeur portait une kippa tricotée et près de lui était assis un homme plus jeune, avec sur le côté de la tête les boucles des juifs ultra orthodoxes. Le chauffeur descendit sa vitre et demanda « Qui êtes vous ? »
J’ai cru qu’il nous prenait pour des Israéliens qui s’étaient égarés. Je lui dis, rassurant : "J’habite près d’ici". Me regardant droit dans les yeux, le colon m’a dit en mauvais anglais : "Moi, différent de toi, moi je vis ici, vraiment vis ici, pas comme toi". J’ai voulu savoir ce qu’il entendait par "pas comme toi", mais le colon n’a pas répondu, il a remonté sa vitre et commencé à composer le numéro de l’armée sur son téléphone mobile. Nous sommes restés debout, là, mal à l’aise, jusqu’à ce qu’un chauffeur palestinien dont le camion était garé pas loin nous fasse signe de le rejoindre et nous dise de sauter dans son véhicule.
"Ce colon vient de Dolev", nous dit notre chauffeur. "Il vient constamment dans le village pour faire des histoires. Quelque fois il bloque la rue avec sa voiture, ou il amène des colons plus jeunes qui jettent des pierres sur nos maisons et nos voitures".
Quand nous avons voulu tourner pour remonter la colline pour aller à Ramallah, le colon a fait un écart et a bloqué la route. Je me demandai quels mensonges il allait raconter à l’armée mais il nous a finalement laissé passer.
Après avoir passé le barrage militaire et être entré dans Ramallah j’eus le sentiment très net d’arriver dans un ghetto entouré de collines interdites à ses habitants. Alors que l’on me conduisait chez moi, dans ma maison qui surplombe ces collines, je me demandai combien de temps ça prendrait avant que des fanatiques m’empêchent de "vivre vraiment ici ".